Rome ne s'est pas faite en un jour

   Après une première semaine de cours en sixième année à Poudlard, Ulysses sentait qu’il allait pouvoir respirer. Alors, bien sûr, il ne fallait pas se relâcher complètement et interrompre les efforts ! Mais après deux ans de cinquième année, deux années avec un diplôme à décrocher à la fin de l’année, dont une année durant laquelle il avait dû travailler deux fois plus afin de combler les lacunes qu’il avait sur ses camarades, lacunes qu’il devait à son transfert d’écoles et aux différences de programme, eh bien… cette sixième année s’annonçait plus calme.
   
   Déjà, l’emploi du temps était moins rempli, puisqu’il n’avait conservé que la moitié des cours, dont ses trois options. Ensuite, il n’y avait pas cette pression immense d’obtenir une note suffisante pour pouvoir avoir le choix de conserver ou non la matière l’année suivante. Non pas qu’il avait besoin de cette menace pour viser les meilleures mentions, mais c’était toujours un enjeu en plus. Puis il avait rattrapé pas mal de son retard l’année précédente, donc cette année allait définitivement lui demander plus de travail, même si le niveau des cours et des devoirs se corsait.
   
   En parlant de devoirs, la professeure d’italien leur avait déjà annoncé qu’il y aurait, encore et toujours, un exposé à préparer. Les sujets étaient plus ou moins libres, mais l’exposé devait être fait en binôme, et ils devaient durer entre cinq et dix minutes chacun. Il n’y avait pas eu besoin de beaucoup d’hésitation avant qu’Ulysses ne se tourne vers Indiana. Et en ce samedi après-midi, ils se retrouvaient à la bibliothèque pour faire des recherches et préciser le thème de leur exposé. Ulysses avait déjà proposé de partir sur l’architecture, un thème intéressant à ses yeux, et d’autant plus aux yeux d’Indiana, de ce qu’il avait compris.
   
   Ne trouvant Indiana à aucune table, il déambula dans les allées de la bibliothèque jusqu’à le trouver déjà occupé à réunir des livres. Ulysses devrait travailler sa ponctualité. Il observa son camarade un temps, avec deux livres en équilibre précaire dans ses bras. Puis, sans surprise, un livre finit par se faire la malle. Ulysses lança un accio pour le rattraper avant qu’Indiana ne puisse le faire.
   
   “Ciao, cucciolo,” dit Ulysses en se rapprochant d’Indiana.
   
   Ulysses devrait travailler sur sa ponctualité, oui. Mais ses talents de flirts dans trois langues différentes étaient bien plus intéressants à travailler que la ponctualité. Plus amusants, aussi. “Cucciolo”, il avait appris, était plutôt utilisé par les mecs relous qui accostent les filles qui, franchement, n’avaient rien demandé. C’était donc un mot qu’il n’utilisait jamais avec les filles, ou alors seulement ses amies de Beauxbâtons qui savaient que c’était juste pour rire. Et Indiana, qui en avait vu d’autres depuis qu’Ulysses lui parlait. Parfois c’était “ciao caro”, un peu plus neutre. Un peu gay quand même, s’il devait en croire son correspondant Italien. Ulysses se permettait de le faire parce qu’ils savaient tous les deux que ce n’était pas sérieux, et Ulysses ne s’attendait pas du tout à ce quiconque réponde un jour avec un réel intérêt à ce genre flirt
   
   “Je crois que tu as perdu ce livre,” continua-t-il en souriant. “Comment tu vas ?”

   Quand Indiana ne réagit pas du tout au « cucciolo », Ulysses se demande vaguement s’il réagira un jour à un de ses flirts pourris. Ne serait-ce qu’un soupir exaspéré, un petit rire, des yeux au ciel, quelque chose. Quoi qu’il en soit, tant qu’Indy ne lui demande pas d’arrêter… Ulysses ne voit aucun signe que ça le dérange non plus. L’idée qu’Indiana ne comprend juste pas ce qu’Ulysses dit ne lui effleure pas l’esprit. Après tout, Indiana est bilingue, n’est-ce pas ? C’est juste qu’ils savent tous les deux que ce n’est pas sérieux, que ça ne mènera jamais à rien, et qu’Indiana ne prend pas la peine de commenter, c’est tout.

« Pince m’aurait pas raté, cette fois. J’ai l’impression qu’elle veut me lancer un mauvais sort à chaque fois que je mets un pied ici. Elle m’aurait sûrement virée si tu n’avais pas été là. »

Ulysses hausse les sourcils. Le silence est important, mais quand même, on ne peut pas virer quelqu’un pour maladresse congénitale. Bon, cela étant dit, Ulysses n’irait pas tenir tête à madame Pince directement. Ce serait un coup à se faire virer avec, et stratégiquement, si l’un n’a plus accès à la bibliothèque, mieux vaut que l’autre joue le rôle de la taupe, voyez-vous. Ils pourraient toujours aller voir leur directrice de maison… C’est une dame sympathique, si l’on demande à Ulysses. Après tout, quand elle a appris qu’Ulysses n’avait jamais fait de métamorphose avant l’année des BUSES, elle a proposé que sa fille, une étudiante à l’université, aide Ulysses ! Et Luna est quand même très stylée… impressionnante et inspirante.

De retour à la vie réelle et au moment présent, après ses pensées d’un instant, Ulysses secoue la tête pour juger la sévérité de Pince. Puis il rend le livre à Indiana, qui le remet dans un équilibre précaire sur la pile. Ulysses se tient prêt à les rattraper. Il demande à son Indy comment il va, par politesse, sans s’attendre à une vraie réponse au premier abord. Cela dit, le « parfait » suivi du rire nerveux le fait hausser un sourcil. Ce serait presque suspect, dites donc. Mais Indiana enchaîne, et c’est une bonne nouvelle qui déboule.

« Je sais pas vraiment si je suis censé te le dire, mais j’ai participé aux sélections de Quidditch pour notre équipe. Je serais le nouveau Gardien ! »

Malgré le chuchotement, la fierté s’entend sans mal dans la voix d’Indiana. C’est comme s’il avait réussi à s’exclamer en chuchotant. Presque plus impressionnant que d’avoir réussi les sélections. Après tout, Indiana réussit tout ce qu’il entreprend, non ?

« Wah, félicitations ! » Ulysses répond avec un grand sourire. C’est que la joie est contagieuse. « Les autres équipes ne pourront plus jamais marquer face à nous, maintenant. »

Sans vouloir lui mettre la pression. En même temps, est-ce possible de rajouter de la pression sur les épaules d’Indiana ? Lui qui veut être le meilleur de sa promo se met déjà la pression tout seul, n’est-ce pas ?

« Et… toi ? » Indiana retourne la politesse, en calmant sa grande joie avec une difficulté apparente.

« Ça va ! C’était la première séance du club de duel ce matin, on peut dire que c’était intéressant. On a eu droit à une surprise royale. »

Et pour être royal… rien de moins que Sa Majesté le prince et Grand Général de l’armée d’Irlande Bleddyn Iceni. Ulysses l’avait déjà croisé de loin quelques fois lors de réunions de sangs-purs. De loin, bien sûr, puisqu’il n’avait jamais osé approcher aucun des trois enfants Iceni. Trop intimidant. Puis en France, les personnes royales, ça faisait déjà un moment qu’elles n’avaient plus de vrai pouvoir sur le pays, alors Ulysses se faisait une idée de loin. Il se fait encore une idée de loin, toujours incertain quand à son opinion de la royauté.

« Est-ce que tu veux que je te tienne les livres ? » Ulysses propose avec un regard insistant sur la pile qui menace de s’écrouler. « Je ne veux pas ruiner tes espoirs, si tu crois en toi, pas de soucis. On peut au moins partager la charge ? »

Au passage, Ulysses se demande quels livres Indiana a déjà retiré des étagères. Vise-t-il une époque particulière ? Une région, un style ? Il attend juste de pouvoir voir les couvertures, ou juste les dos, des livres. Histoire de savoir dans quel genre de livres Ulysses peut commencer à chercher également…

« Vus tous les livres que tu as pris, t’es sûr qu’il en faut plus ? »

Peut-être qu’ils peuvent commencer à les étudier avant de reprendre les recherches dans une direction plus spécifique, qui sait ?

Ulysses n’ayant jamais été un grand fan de Quidditch, n’avait donc jamais tenté d’en rejoindre l’équipe, que ce soit à Beauxbâtons ou à Poudlard. En même temps, il savait que ça avait un tantinet déçu sa mère et son père, mais bon. Ce n’était juste pas son truc. Il n’avait jamais été sport co, ayant toujours préféré l’escrime et la course à pieds. Côté balais, ce qui l’avait toujours intéressé, c’était les courses de balais. Avec les progrès dans le domaine, les balais allaient de plus en plus vite, et le sport devenait de plus en plus dangereux… surtout dans la catégorie tout permis, où les sorciers pouvaient lancer des sorts pour affecter l’environnement, créer des obstacles… Dangereux, mais fascinant. Un jour, peut-être, Ulysses participerait à une telle course. Pour l’instant, il faudrait déjà qu’il remonte sur un balais un jour !

Malgré le peu d’intérêt pour le Quidditch, il n’avait pas besoin de prétendre être content pour Indiana. Puis il y avait quelque chose d’un peu chauvin, à savoir que l’équipe de Serpentard avait un excellent niveau, savoir que leur maison pourrait peut-être ramener la coupe de Quidditch et la Coupe des Quatre Maisons dans la salle commune. Ce serait génial. Peu importait le sport, peu importait la discipline, gagner était toujours amplement satisfaisant.

La discussion vira ensuite sur le club de duel, dont la première séance avait eu lieu le matin même. Le teasing d’Ulysses marcha à peu près, puisqu’Indiana en demande plus, même si distraitement, plus concentré sur ses livres. Comme Ulysses le remarqua, il proposa de partager la charge des livres, sans vouloir froisser son ami… qui fut loin d’être froissé.

« La surprise royale, » expliqua Ulysses en récupérant la moitié des livres que portait Indiana, « c’était le prince irlandais, Bleddyn Iceni. Enfin, pardon, Sa Majesté le prince et Grand Général de l’armée d’Irlande Bleddyn Iceni. » C’était si long. C’était un prince quoi. « Il assistera le professeur Chastang. Ils ne voulaient pas le dire pour que pas trop de monde vienne, ce qui me paraît une bonne chose. »

Quand la conversation avança encore un peu et en arriva enfin au sujet de l’exposé, Arsène parla de l’architecture étrusque. Ulysses fronça les sourcils légèrement. Les termes lui disaient quelque chose, mais de là à savoir précisément… Eh bien les lectures seraient utiles ! Et voilà qu’Indiana posa un livre de plus sur la pile d’Ulysses. L’architecture générale grecque et orientale… Hmm ça partait un peu dans tous les sens, cette histoire : intéressant. Au moins, on ne pourrait pas dire de cet exposé qu’il était trop facile et n’avait pas demandé de recherche ou de préparation.

« Tu penses qu’on en a trop ? »

Ulysses fit une moue en haussant les épaules. Ce n’était pas tout à fait ce qu’il avait en tête, mais c’était une façon de dire les choses.

« Peut-être qu’il faudrait commencer à regarder dedans, relever les infos… et les remettre en place, comme ça on aurait plus d’espace pour chercher de nouveau livres ! »

« Exactement ce que j’avais en tête ! Puis commencer à lire ces livres pourraient peut-être nous aider à affiner nos recherches, aussi, plutôt que de partir vraiment dans toutes les directions de suite. »

Les deux garçons se dirigèrent vers une table pour poser leurs livres. Ulysses sortit un parchemin et sa plume pour commencer à prendre notes des différents livres consultés avant même de prendre des notes de ce qui était dans lesdits livres. Il s’était pris une remarque un jour sur le fait qu’il n’avait pas mis de source pour un exposé, et depuis, il mettait un point d’honeur à avoir une bibliographie en règles, quitte à ce qu’elle soit plus propre que le reste du devoir… ou presque.

« En toute honnêteté, » dit Ulysses en attrapant le premier livre de la pile, « je te suis, je te fais confiance, mais je sens que j’ai un Poudlard Express de retard sur toi sur le sujet. »

Un Poudlard Express, oui, pas n’importe quel train, un qui ne passe qu’en Septembre, et en Janvier dans un sens, Décembre et fin Juin-début Juillet dans l’autre. Pas facile de juste prendre le suivant pour rattraper le retard.

Ulysses n’arrivait pas à dire qu’il avait peur d’être plus un boulet qu’utile dans ce devoir à deux. Bien sûr, il était prêt à faire des efforts et se donner pour essayer de rattraper ledit retard et être utile dans la partie recherches, puis surtout pour être plus utile après…

Parce qu’Ulysses avait bien conscience qu’Indiana était passionné d’architecture et d’histoire et tout ça, pendant qu’Ulysses appréciait la matière sans forcément s’y plonger plus sérieusement dans son temps libre. Alors il suivait la direction choisie par Indiana, mais il n’allait pas faire le mort sur le côté sous prétexte qu’il ne maitrisait pas aussi bien le sujet. Même s’il n’y avait pas de doute qu’Indiana pourrait s’en sortir parfaitement tout seul.