Projet X version sorcier ~ avec Akutenshi Busujima

“Frost, où vas-tu ?”

Arrivait-il que cette famille l’écoute ? Probablement pas à en juger par le nombre de fois où il avait répété ses projets de la soirée, sans que personne ne soit capable de les retenir. Cette maison allait vraiment finir par le rendre dingue, il ne rêvait plus que d’une seule chose : la quitter définitivement. Frost se sentait comme un intrus dès qu’il y mettait un pied, en devant supporter les regards dégoûtés de son père et la fausse considération de sa mère. Il avait entendu qu’il existait des familles aimantes, des parents qui soutenaient leurs enfants peu importe leurs choix, leur monde devait être tellement plus reposant.
Planté dans le hall, cigarette entre les lèvres, chemise à moitié boutonnée et retroussée sur ses avant-bras contractés d’agacement, Frost mit une bonne dizaine de secondes à pivoter sur lui-même en direction de sa très chère mère, debout dans l’encadrement de la porte du salon. Les bras croisés sur son peignoir en soie noire, elle le regardait comme s'il s’apprêtait à faire la plus grosse bêtise de sa vie. Le jeune homme exaspéré retira la cigarette de sa bouche en retenant de justesse un soupir qui lui aurait certainement valu une punition exemplaire.

“Pour la dixième fois mère, je vais chez les Rowles, à la soirée de Delphina… Grinça-t-il en attrapant son manteau en cuir pendu au porte manteau.

-As-tu demandé la permission à ton père ?”

Celle-là, c’était la meilleure. Son père ? Mais quel père ? Il n’était jamais présent, il aurait fait beau voir que Frost lui rende des comptes. Cette hypocrisie lui tapait sur le système, il mourrait d’envie de lui répondre avec aplomb mais s’abstint, de peur d’en subir les conséquences.

“J’ai 18 ans mère, je n’ai pas besoin de sa permission pour sortir, ni de la vôtre par ailleurs ! Déclara-t-il en ouvrant la porte d’entrée. Je ne rentrerais peut-être pas ce soir, ne m’attendez pas.”

Et sur ces mots, sans laisser le temps à Angelice Rosier de répondre, il disparut à l’extérieur avant de transplaner directement dans une ruelle à Ormskirk. L’air frais eut au moins le mérite d’apaiser sa colère, il en avait assez qu’on le traite tantôt comme un enfant, tantôt comme un adulte alors qu’il n’était ni l’un, ni l’autre. Frost alluma sa cigarette, tira une bouffée de nicotine et sortit de sa cachette d’un pas assuré. Il n’y avait pas énormément de monde à cette heure, le peu de passants lui jetèrent un regard curieux avant de poursuivre leur route comme si de rien n’était. La maison de vacances de Wolfe et Adela Rowle se trouvait en périphérie de la ville, à l’écart des moldus, évidemment. Frost marcha une bonne vingtaine de minutes avant d’entendre les premiers échos de musique. Il croisa deux jeunes sorciers éméchés qui criaient comme des oies en titubant dans la rue, trop proche de notre Serpentard qui les fusilla du regard. Ils reculèrent d’instinct, intimidés par l’aura menaçante qui se dégageait du jeune homme dont les mèches de cheveux bruns barraient les yeux sombres. Il détestait les gens excessifs, incapables de se contrôler, d’un ridicule affligeant. Il parvint finalement à la résidence en pleine effervescence, désinvolte, une main dans la poche de son chino noir. Il ne fut pas surpris de voir tous les regards se tourner vers lui dans la cour, il avait tendance à faire cet effet là lorsqu’il apparaissait quelque part. Heureusement que les gens l’indifférait au plus haut point, sans quoi il se serait senti mal à l'aise. L’intérieur de la maison bouillonnait d’activité, il y avait une partie de bataille explosive dans le salon, un concert des Night Owl dans la pièce à vivre où une trentaine de sorciers dansaient et un atelier de chimistes dans la cuisine. Forrest Beetle s’amusait à mélanger tout un tas d’alcool et d’y infliger des sorts douteux pour les invités, sous l’expression hilare de ses petits copains idiots. Frost les contourna en grimaçant de dégoût, il avisa les bouteilles posées sur le plan de travail et choisit de se servir un Whisky pur feu.

“Salut Rosier, ça va ?”

Falcon Poults, le seul élève de Serpentard de 7e année qu’il parvenait à peu près à supporter. Le brun se contenta d’un petit hochement de tête pour toute réponse après avoir avalé une gorgée de sa boisson.

“Quelle soirée… Pour être honnête je m’attendais à quelque chose de plus… Classieux…

-Classieux ? Ricana Frost. Delphina ? A en juger par la quantité de gamins stupides dans cette maison, elle est au moins aussi médiocre que insipide.

-Toujours aussi aimable à ce que je vois, sourit Falcon en s’appuyant contre le plan de travail à côté de son “ami”.

-Je ne ménage pas les imbéciles, ce serait les encourager…”

Frost avisa Forrest qui venait de créer une sorte de blob visqueux infâme d’un oeil absent, en se demandant pourquoi il avait accepté de venir à cette fête. Finalement, c’était toujours mieux que d’être coincé au manoir. Il avala son verre cul sec sous le regard interrogatif de Falcon et s’en resservi un, presque à ras-bord.

“A défaut de trouver le moindre intérêt à cette soirée, autant la noyer dans un demi litre de Whisky…”

Cette soirée ne s’était pas améliorée avec l’alcool, Frost s’ennuyait ferme. il avait abandonné la cuisine pour le canapé du salon où personne n’osait plus s’asseoir depuis qu’il s’y était installé. Il aurait certainement savouré son influence si son esprit parvenait à aligner deux pensées claires consécutives. C’était vide de sens, bruyant, le taux d’alcoolémie battait des records, rendant les jeunes sorciers plus idiots les uns que les autres. Frost en avait assez, pourtant, la perspective de rentrer chez lui lui déplaisait davantage. Alors il restait là, assis, à attendre que le whisky détruise ses derniers neurones fonctionnels. De là où il se trouvait, notre Serpentard avait une vue complète sur les festivités dans le salon. Beaucoup de discussions, de rires, quelques parties de jeux indéterminés, un gamin qui trébuche sur le tapis, un verre qui s’écrase sur le chemisier d’une jolie blonde, une baffe, de la colère, de l’éphervescence, des ricanements… De l’immaturité. Et puis soudain, un acte immoral. Un étudiant de l’UMS saoul se collant à une jeune fille de son année, ignorant ses tentatives de le repousser. La panique monte, elle cherche du regard quelqu’un pour l’aider, désespérément. Il insiste, glisse ses mains sous sa robe tandis qu’elle se tord, essayant vainement de l’en empêcher.

Frost n’était pas particulièrement grand seigneur, cependant, il n’était pas du genre à regarder passivement une agression sans réagir. Il se hissa tant bien que mal sur ses pieds et en deux temps trois mouvements, malgré quelques pas chancelants, le Serpentard rejoignit l’inopportun, baguette en main. En le saisissant par la manche de sa veste floquée “Canons de Chudley”, il le tira en arrière avec force, l’obligeant à lâcher la pauvre jeune fille au bord des larmes.

“Ça va pas ? C’est quoi ton problème mec ? Cracha l’universitaire rouge de colère en se tournant vers son cadet pour lui faire face.

-Mon problème, c’est de devoir supporter des abrutis dans ton genre à chaque fois que je mets les pieds dans ce genre de soirées… Siffla Frost pas le moins du monde intimidé. Au-delà de ton QI que j’imagine quelque part entre le Troll et le Veracrasse, ta seule présence sur cette planète est une insulte à l’évolution.”

Visiblement, son petit discours ne plu pas beaucoup à son adversaire dont le teint vira dangereusement au cramoisie. N’importe qui à sa place aurait évité de provoquer un mastodonte d’un mètre quatre-vingt-dix pour une bonne centaine de kilos, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que Frost Rosier n’était pas n’importe qui. Un silence de mort régnait dans le salon, tous les étudiants s’étaient tus pour observer la confrontation. Le plus âgé des deux garçons saisit le plus jeune par le col et leva le poing, prêt à cogner. Notre Serpentard ne bougea pas d’un centimètre, le visage froid, illisible. Il attendit que l’autre recule son bras pour dégainer sa baguette et la planter dans la chair molle de sa gorge. Il entendit plusieurs exclamations de surprise derrière lui, tandis que son adversaire se tendait d’anticipation.

“J’imagine que ce qui te sert de cerveau a oublié de se poser une question essentielle, à savoir à qui tu as à faire, susurra Frost en enfonçant le bois d’If un peu plus profond dans son goitre.”

L’agresseur déglutit avant de risquer un regard interrogatif autour de lui. Les visages de ses compères exprimaient un effroi qui signifiait que, contrairement à lui, ils avaient parfaitement conscience de qui était ce jeune homme au regard sombre et à la veste en cuir dont l’attitude repoussait la plupart des gens.

“Mec, fais pas ça… Conseilla un garçon vêtu de la même veste aux couleurs des Canons de Chudley. C’est Frost Rosier…”

Il grimaça, hésita un instant avant de continuer.

“Le gars qui a détruit Denzel et Wibon l’année dernière…”

C’était une longue histoire, mais qui ne semblait pas inconnue à l’universitaire dont les yeux s’écarquillèrent brutalement. Il reporta son attention sur le 7e année et le relâcha.

“C’est toi qui t’es opposé à ton père et aux mangemorts pendant la guerre…?”

Un rictus malfaisant apparut au coin des lèvres de Frost, il adorait cette sensation de pouvoir.

“Ravi de voir que tu me connais au moins de réputation, si tel est le cas, tu dois savoir de quoi je suis capable… Argua-t-il en avançant d’un pas.

-Ouais… Ecoute mec, je veux pas de problèmes, bégaya l’autre en levant les mains en l’air.

-Tu aurais peut-être dû y penser avant de t’en prendre à une fille, plus jeune que toi qui plus est. Présente lui tes excuses et peut-être que je songerais à la possibilité de te laisser partir avec tous tes membres intacts.”

Nouveau déglutissement. Frost libéra la gorge de l’étudiant sans pour autant baisser sa garde. Celui-ci s’exécuta à contrecœur et s’excusa auprès de la jolie brune encore tremblante depuis leur altercation. Le silence se réinstalla, pesant, plusieurs secondes s’écoulèrent pendant lesquelles le Serpentard délibérait intérieurement. Devait-il le laisser partir ? Lui asséner un vilain sortilège dont il se souviendrait longtemps ? Mais en valait-il la peine ? Frost inspira profondément tout en abaissant sa baguette, l’air dégoûté.

“Casse-toi ! Ordonna-t-il. Je te préviens, si j’apprends que tu as touché à un cheveux d’une pauvre fille que ce soit ici ou ailleurs, je te retrouve et je te tue. Venant d’une famille de mangemorts, je sais parfaitement bien manier les sortilèges impardonnables, à ta place je m’en souviendrais.”

Et sur ces mots, il quitta le salon en laissant derrière lui une ambiance pesante. Les festivités reprirent rapidement, quoique de plus en plus violemment, l’alcool échauffant les esprits et donnant aux moins élaborés des sorciers présents des idées inconscientes. D’abord gentillets, avec des sortilèges de patronus jetés dans la maison et de la musique assourdissante, ils virèrent très vite à des pratiques beaucoup moins discrètes. Un énorme craquement à l’extérieur attira l’attention de notre Serpentard, cette histoire sentait le roussi et il préférait savoir à quoi s’en tenir. Il se précipita dans le jardin et manqua de tomber à la renverse en voyant un groupe de garçons allumer des feux d’artifices de Weasley, Farces pour sorciers facétieux. Dans le genre indiscret, il n’y avait pas mieux. Le premier prit la forme d’un gigantesque Zouwu, sautant sur le toit de la maison avant de bondir dans le ciel et de disparaître dans une explosion d’étincelles rouges et or. Comme si cela ne suffisait pas, deux dragons suivirent la créatures en déployant leurs ailes et en planant dans le ciel à une bonne trentaine de mètres d’altitude. Applaudissements et cris d'admiration encouragèrent d’autres lancers tous plus voyant les uns que les autres.

“Au nom de Merlin… Pesta Frost tandis que Falcon le rejoignait, sourire aux lèvres.

-Tu as l’air contrarié ! Se moqua le jeune homme encore plus ivre que lui. Tu devrais profiter du spectacle…

-Es-tu idiot ? S’indigna l’héritier Rosier en jetant un regard anxieux autour de lui. A ton avis, quelle va-t-être la conséquence d’un feu d’artifice sorcier à quelques kilomètres d’une ville moldue ?”

Falcon perdit son sourire aussi vite qu’il s’était installé sur son visage. Il allait répondre mais l’explosion de la cheminée le coupa dans son élan. Visiblement, la fusée avait dévié de sa trajectoire. Ils fixèrent un instant les flammes qui s’élevaient du côté droit du toit de la maison avant de se lancer un regard entendu : ils devaient partir et vite. Malheureusement pour eux, le ministère fut plus rapide. Plusieurs officiers de la brigade de police magique apparurent brusquement tout autour du jardin, encerclant les étudiants. Évidemment, très peu d’entre-eux se laissèrent faire et bientôt, les sortilèges de pétrifications volèrent un peu partout. Frost tenta un transplanage, en vain.

“Un maléfice d’antitransplanage, siffla-t-il.

-On est foutus… Gémit Falcon.

-A ta place, je ne resterais pas là !”

A peine l’avait-il averti que son compère fut frappé par un sortilège et s’écroula sur la pelouse, raide comme un piquet. Notre Serpentard n’attendit pas de subir le même sort et s’élança en direction de la haie qui délimitait le terrain des Rowles. S' il se faisait arrêter, il pouvait dire adieu à la lumière du jour, son père le torturerait jusqu’à la fin de ses études. Il para une attaque d’un protego et stupéfixia un officier avant d’escalader le haut buisson et sauter de l’autre côté. Il fallait qu’il trouve un endroit où il pourrait disparaître. Son attention se porta naturellement sur la forêt qui bordait l’arrière de la maison et il s’y engouffra. Frost courait à en perdre haleine, slalomant entre les arbres, jusqu’à ce que le bruit de la confrontation entre les étudiants et les représentants des forces de l’ordre ne soit plus qu’un écho lointain. Il n’avait pas la moindre idée de l’étendue du maléfice d’antitransplanage, il espérait néanmoins qu’il en trouverait rapidement la limite. L’adrénaline couplée au froid avait le mérite d’avoir évaporé les restes d’ivresse de son organisme. Cette fête était un désastre, il ne mettrait plus jamais les pieds chez les Rowles, il s’en faisait la promesse…

“Hey mec ! Frost Rosier c’est ça ?”

Est-ce qu’il le connaissait ? Frost avisa l’étranger d’un œil critique en cherchant dans sa mémoire où il aurait pu le rencontrer par le passé. Sa tête lui disait quelque chose, ce n’était pas comme si il y avait beaucoup d’asiatiques dans son entourage. Il l’avait déjà vu ça c’était certain, où en revanche, il ne parvenait pas à s’en souvenir. Le Serpentard de 7e année se contenta d’un hochement de tête pour toute réponse, il avait appris à se méfier des inconnus.

“Alors comme ça, t’as aussi réussi à te tirer ? J’imagine que le transplanage rate chez toi aussi !”

Il y avait quelque chose dans l’attitude de ce gars qui intriguait Frost. En excluant sa posture courbée et sa façon de pencher la tête sur le côté pendant qu’il parlait, son regard brillait d’une lueur d’intelligence ou de folie, il n’était pas certain du qualificatif à adopter. En temps normal, l’Héritier Rosier aurait certainement passé son chemin, mais cette fois, les circonstances changeaient la donne. Ils ne seraient pas trop de deux si quelques officiers suivaient leur traces. C’est pour cette raison qu’il accepta d’emboîter le pas à l’étudiant, malgré sa réticence à se sociabiliser.

“Et tu es ? Demanda-t-il en jetant derrière eux un regard attentif.”

Frost se demandait tout de même comment ce gars le connaissait. Il y avait plusieurs possibilités : de réputation ou de nom simplement, après l’avoir vu s’en prendre à l’autre snargalouf dans le salon par exemple. Il préférait la seconde option, son histoire avait été suffisamment étalée dans les journaux comme ça, il en avait assez d’être considéré comme un traître à son sang. Cette pensée le ramena à un article qu’il avait lu dans la gazette, il lui semblait qu’il avait vu la photo d’un garçon qui ressemblait trait pour trait à son nouvel acolyte. Peu importait en réalité, Frost ne se souciait pas beaucoup de ces histoires. D’expérience, il savait pertinemment qu’une réputation pouvait faire beaucoup de mal. Il respectait les désirs des autres de ne pas s’identifier à ce qu’on disait d’eux, ainsi il ne contribuait jamais à propager une rumeur. Après s’être assuré que personne ne les suivaient, le Serpentard plongea une main dans le pan de sa veste et en sortit son paquet de cigarette.

“Quelle soirée pitoyable, soupira-t-il en glissant le bâtonnet de tabac entre ses lèvres et en l’allumant d’un coup de baguette. J’aurais dû m’en douter, les Rowles sont d’une stupidité affligeante, il aurait été surprenant que leur fille ait hérité du gène de l’intelligence.”

Il n’aimait pas cette famille, des Sangs-purs extrémistes comme ses parents, aveuglés par le pouvoir. Bien-sûr, il appréciait les soirées des gens riches, surtout parce qu’il y avait toujours moyen de boire de l’alcool hors de prix et de s’isoler dans les recoins les plus paumés de leurs maisons gigantesques. Malheureusement, ils ne faisaient pas dans la démesure qu’en termes d’architecture, c’était bien là le problème.

“Cigarette ? Proposa-t-il en lui tendant son paquet ouvert.”

Frost sentait le dilemme poindre, il n’avait pas la moindre envie de traîner dehors toute la nuit mais en même temps, il détestait l’idée de rentrer au manoir. Lorsqu’il parviendrait à sortir du rayon du maléfice antitransplanage, il lui faudrait prendre une décision qui lui casserait les pieds de toute façon. La pleine lune leur offrait un éclairage sommaire, c’était assez silencieux et au final, plutôt reposant. Frost n’aurait jamais imaginé pouvoir marcher dans une forêt en pleine nuit avec un étudiant et apprécier le moment.

“Tu es à l’UMS c’est bien ça ?”

“Mais bon, si tu attends de l’intelligence chez les autres, tu seras souvent déçu.”

Ça, c’était évident. Ses relations quasi inexistantes pouvaient en témoigner. Frost se sentait parfois comme un calamar géant dans un lac rempli de boullus, trop différent pour même avoir envie de s’intégrer. Il ne répondit pas à Akutenshi, épiloguer sur des évidences l’ennuyait profondément.

“Ouais. 3e année, arts visuels sorciers. Mais qu’importe, je ne suis que rarement présent aux cours.”

Arts Visuels Sorciers, la même filière que son frère Orion. Décidément, il s’entendait bien avec les artistes.

“Et toi? Tu n’es pas à l’UMS, si? D’ailleurs,  je me demande si je ne suis pas censé te connaître, tout court. Les gens ont réagi à ton nom tout à l’heure. Même le balèze que tu as provoqué. Vous avez parlé de ton daron et de mangemort, mais j’ai bité. T’es connu toi un peu, nan? C’pas que je vais me prosterner si t’es une star, mais ça m’intrigue.”

Si Frost fut surprit que Akutenshi lui demande qui il était, il n’en montra rien. C’était bien la première fois que quelqu’un s’interrogeait à son sujet. Tout le monde savait toujours d’où il venait et ce qu’il avait vécu, il ne prenait même plus la peine de se présenter. La gazette s’était chargée d’en faire un martyr, tout comme Orion et Aphrodite d’ailleurs qui fuyaient les mondanités depuis lors. Personne ne lui demandait jamais son avis, ce qu’il pensait de la guerre, de sa famille, des principes de pureté du sang qui lui pourrissaient la vie depuis l’enfance. Non, il s’appelait Rosier et en temps que Rosier, il devait correspondre à l’image de sa famille. D’un côté il était un traître et un lâche, de l’autre c’était un sang-pur malfaisant, il n’y avait pas de demi-mesure. C’était inédit pour lui d’avoir la possibilité de parler de sa vie et de son expérience. Akutenshi semblait sincèrement s’intéresser à son histoire, Frost avait l’habitude des faux-semblants, de la manipulation et des médisances, pourtant tout ce qu’il voyait sur le visage de ce garçon, c’était de la curiosité. Il tira une longue taffe sur sa cigarette, souffla un épais nuage de fumée et se décida enfin à répondre.

“Je suis en 7e année à Poudlard. Je suis surpris que tu n’ai jamais entendu parler de moi, avoua-t-il le regard perdu dans le vide. Je suis loin d’être une star, ce serait même plutôt l’inverse. Ma famille correspond parfaitement à l’image qu’on se fait des Sangs-purs aux idées archaïques, violents et intolérants. J’ai grandi dans un cadre particulier, très noble, très rigide, très stricte, avec la nécessité de devoir répondre aux impératifs que supposent être sang-pur. Quand tu-sais-qui est revenu, il a fallu faire un choix. J’ai deux frères et une sœur, seul l’un de mes frères à accepté de s’engager et de devenir mangemort. Les autres, tout comme moi, ont été contraints de passer du côté des ténèbres par la force. Nous nous sommes enfuis de chez nous pour ne pas avoir à le faire…”

Pause. Frost remonte dans le passé. Les souvenirs s’entrechoquent avec violence. Orion contorsionné sur le sol, son père au-dessus de lui, baguette tendue dans sa direction. Les cris, la douleur, la sensation de faire face à quelque chose d’infiniment plus grand qu’eux. Il n’oublierait jamais.

“Malheureusement la nouvelle de l'embrigadement des Rosiers s’est très vite répandue et de ce fait, nous sommes devenus mangemorts supposés comme beaucoup d’autres. Je me suis battu un nombre de fois incalculable, j’ai dû parfaire mes capacités en sortilège pour être capable de me défendre et défendre mon frère. Du côté des Sangs-purs, nous étions des traîtres et de ce fait, nous étions traqués. A la fin de la guerre, la gazette a publié un article à notre sujet qui attestait que nous n’avions pas prêté allégeance au seigneur des ténèbres, pendant le jugement de mon père et mon frère. Ils ont été relaxés, mon frère et ma soeur ont décidé de ne pas retourner vivre au manoir, moi en revanche, je n’ai pas eu le choix…”

Nouvelle pause. C’était étrange de parler de tout ça, Frost réalisait qu’il n’avait jamais eu l’occasion de le faire et les émotions qui le saisissait rendaient les explications difficiles.

“On aurait pu croire que l’article permettrait aux gens de mieux nous considérer mais ce ne fut pas le cas, poursuivit-il en soupirant. Pour une bonne moitié de la société sorcière anglaise, nous sommes des mangemorts latents. L’autre se veut indulgente tout en restant méfiante. Je ne suis pas célèbre, mon histoire l’est. J’ai appris à ne jamais laisser l’opportunité aux gens de m’atteindre avant que je ne le fasse. Ça n’a pas amélioré ma réputation mais honnêtement je m’en fout, rares sont ceux que je trouve suffisamment intéressants pour remettre en question mon mode de fonctionnement…”

Frost était étonnamment lucide, il avait eu le temps d’y réfléchir.

“La plupart des élèves de Poudlard et de l’UMS ont peur de faire face à quelqu’un qui a été en contact avec la magie noire et les sortilèges impardonnables, souligna-t-il en faisant disparaître son mégot entre ses doigts, dans un petit nuage de flammes bleues. Pour être honnête, j’aime l’idée d’être craint parce que je sais que personne n’osera s’en prendre à moi ou à mon frère tant que c’est le cas.”

Mais qui dit vivre dans la haine, dit vivre sans amour. Frost était un être humain, malgré sa propension à s’agacer de tout et n’importe quoi, l’amitié lui manquait. Néanmoins, il ne l’aurait jamais admis. Quelques secondes s’écoulèrent, silencieuses mais pas pesantes. Le Serpentard enfouit ses mains dans les poches de son chino, empli d’un sentiment de légèreté qu’il ne parvenait pas à déterminer.

“Il me semble avoir lu quelque part quelque chose à ton sujet, tu as aussi ta part de célébrité, je me trompe ?”

“Y aura toujours un boug quelque part qu’aura pas peur de te tenir tête. Genre, perso, tu me fais pas peur…”

Frost esquissa un rictus, amusé par la réponse d’Akutenshi.

“Peut-être que tu devrais avoir peur… Susurra-t-il taquin.”

La manière dont le jeune homme s’embrouilla par la suite soutira au Serpentard un véritable sourire, le genre qu’on voyait rarement sur son visage. Il se surprit même à trouver l’asiatique amusant, lui qui ne trouvait jamais personne amusant, c’était inédit. Il lui faisait un peu penser à Orion sous certains aspects. Il arrivait que son frère lui manque, c’était un rayon de soleil dans sa vie morne et conflictuelle. Il avait cette maladresse et ce lunatisme touchant qui cachait une intelligence hors norme, Frost pouvait lui parler des heures sans se lasser. De son point de vue, Alabaster aurait dû se concentrer sur Orion au moins autant que sur lui lorsqu’ils étaient enfant, il ne s’était jamais senti plus intelligent que son frère. Il le retrouvait en Akutenshi, ils étaient différents évidemment mais il y avait ce petit quelque chose qui résonnait de la même manière. C’était sûrement pour cette raison que Frost se sentait bien avec ce gars qu’il connaissait à peine, qu’il se sentait suffisamment à l’aise pour lui parler de son histoire.

“J’ai été adopté par une idiote avec qui je ne m’entends absolument pas. La même idiote qui m’a avoué que j’étais de sang-pur y a un moment… Mais j’ai décidé de le faire entendre publiquement il y a peu, seulement parce que ça m’aide à retrouver qui je suis. J’en ai ras le cul de devoir supporter la grognasse qui me sert de mère adoptive. Seulement, je connais que le nom de ma mère biologique, mes parents sont crevés et je fais sûrement partie de la famille de mon pire ennemi. Autant dire que c’est super fun.”

Le souvenir de l’article revenait au fur et à mesure qu’Akutenshi lui racontait son histoire. Ce devait-être étrange d’apprendre ça comme ça, du jour au lendemain. Frost se demandait comment il réagirait si on lui apprenait qu’il avait été adopté. Ce serait peut-être mieux que de descendre de la famille Rosier au final… Si on excluait l’héritage.

“J’suis sûr que Mao--- fin, ma mère adoptive - est liée à la merde qu’est arrivé à mes parents. Je peux pas l’expliquer… Mais je le sens. Dès que je connaîtrais mon histoire, je ne sais pas si je reprendrais mon véritable nom, mais ce qui est sûr c’est que je vais écraser cette pétasse.”

Ouch. Alors ça c’était du lourd. S’il s’avérait qu’Akutenshi avait raison au sujet de sa mère adoptive, ça ferait un sacré scandale. Il lui semblait qu’il avait entendu une histoire de meurtre au japon, de la bouche de son père. Lui qui connaissait des familles de sang-purs tout autour du globe, les faits divers allaient bon train. Frost fronça les sourcils, pensif.

“Busujima est un nom de famille Japonais je me trompe ? Mon père est en contact avec plusieurs familles de sang-purs Japonaises, j’ai entendu quelques histoires de meurtres, ce ne serait pas improbable, répondit-il. Si tel est le cas, tu dois être recherché là-bas.”

Le japon n’étant pas réputé laxiste, il imaginait l’ampleur qu’une affaire de ce genre pouvait prendre. Frost comprenait Akutenshi mieux que personne, lui aussi vivait avec un meurtrier… Deux en réalité. Mais au moins lui, il pouvait le prouver.

“Sinon, dis moi Rosier… Y a-t-il une raison à ta venue ici? Je veux dire… A la fête? Tu as dit que la personne qui l'a organisé était débile et que ça n’était pas une surprise, alors tu n’es sûrement pas venu pour ses beaux yeux. Moi je suis venu pour la poudre et pour fuir Mao, par exemple. Et toi?

-Pour une raison similaire, c’était toujours mieux que de rester au manoir avec mes parents et mon veracrasse de frère, grimaça le plus jeune. Je rêve du jour où je pourrais me tirer, il ne me reste plus que six mois à les supporter, ensuite je pourrais justifier mon départ grâce à l’université…”

Il hésita avant de poursuivre.

“Je sais ce que tu penses, je suis majeur, je pourrais très bien prendre un appartement et laisser tout ce merdier derrière moi mais… À défaut d’apprécier ma famille, je suis attaché à sa fortune, j’aimerais en hériter d’une partie, sachant que mon frère et ma soeur ne sont déjà plus sur le testament, je me dis que si je tiens encore un peu, je pourrais profiter d’un beau petit pactol.”

Matérialiste ? Oh que oui. Frost aimait l’argent. Il aimait avoir un certain confort de vie, il aimait s’habiller, boire des alcools hors de prix, vivre dans de grandes maisons (voir des manoirs), il considérait sa fortune suffisamment importante pour prendre sur lui et rester jusqu’à l’université. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’était de passer un minimum de temps chez lui. Alors quand il y avait une soirée quelque part ou un événement quelconque, il sautait presque toujours sur l’occasion.

“Tu penses que tes parents biologiques t’ont laissé un héritage ?”

“Cela dit, si tu as des histoires de meurtre, je suis toujours intéressé.”

Des histoires de meurtres chez les sang-purs, Frost en avait à la pelle. A croire que, peu importe l’endroit du monde, ils finissaient toujours par se trucider les uns les autres. Il avait lui-même failli faire partie des statistiques, Cyrus ne l’avait pas loupé pendant la guerre, il en gardait une gigantesque cicatrice qu’il avait fait recouvrir par un tatouage quelques mois auparavant. La remarque d’Akutenshi lui fit hausser un sourcil qui signifiait “Oh vraiment ?”, mais qui trahissait son propre intérêt sur le sujet. Le ciel se couvrait au fur et à mesure que les deux garçons avançaient dans la forêt, au point qu’ils se retrouvèrent bientôt dans l'obscurité complète. Frost pouvait compter sur sa vue de renard pour le guider mais il supposait que son ami marchait à l’aveuglette, il lança donc un lumos. Ils s’étaient pas mal éloignés de la maison, la limite du maléfice d'anti transplanage ne devait plus être très loin. Le Serpentard écoutait les explications de son acolyte silencieusement, en hochant la tête de temps à autre pour confirmer son attention.

“Hey, tu sais mec, si t’as pas envie de rentrer chez toi bientôt, tu pourrais passer chez moi. Rester en tête à tête avec Mao est souvent désagréable, alors si ça te dis…”

Cette fois, Frost ne cacha pas sa surprise. Il s’arrêta net, sonné par la proposition d’Akutenshi. Du plus loin qu’il s’en souvienne, hors fêtes et excepté ses cousins, personne ne l’avait jamais invité à passer la soirée chez lui. Etait-il en train de se faire un ami ? Il n’avait pas envie de rentrer chez lui, la perspective de croiser son frère ou ses parents lui donnait la nausée. Ceci étant dit, même dans le cas où il aurait apprécié sa famille, il aurait certainement accepté de passer du temps avec l’étudiant.

“Ça me surprend que tu veuilles passer la soirée avec moi, déclara-t-il. Je crois bien que tu es la première personne à m’inviter chez toi.”

Après tout ce qu’il avait déjà dit à Akutenshi, il était inutile de lui mentir.

“Mais j’accepte avec plaisir, si ça peut m’éviter de rentrer au manoir, je suis preneur ! acquiesça-t-il. Et puis je suis curieux, je me demande à quoi ressemble la terrible Mao.”

Frost était encore trop fier pour admettre qu’il aimait passer du temps avec lui. Il allait repartir quand un craquement au loin l’arrêta dans son mouvement. Il saisit la manche d’Akutenshi et l’immobilisa à son tour. Son ouïe de renard lui permettait d’entendre le moindre petit bruit suspect mais pour ça, ils devaient rester le plus silencieux possible. Nouveau craquement, léger, suivit par le bruissement caractéristiques des feuilles mortes foulées par les pas d’un Homme. Frost pivota brusquement, baguette en main. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’un rayon de lumière bleu ne se précipite dans sa direction, déchirant l’obscurité. Le Serpentard le para d’un protego, tandis qu’un autre le visait à sa gauche, il l’évita de justesse.

“Hominum Revelio ! Lança-t-il.”

Les silhouettes de trois sorciers se dessinèrent derrière les arbres.

“Fais chier… Cracha-t-il. Ils sont plus nombreux que nous, cours !”

Et sur ces mots, Frost prit ses jambes à son cou. Il avait beau être entraîné, trois agents de la police magique auraient certainement le dessus, il n’était pas prêt à prendre le risque de finir la nuit au ministère de la justice magique. Mais où s’arrêtait ce maléfice, au nom de Merlin ? En temps normal, il se serait transformé en renard et il aurait abandonné là le jeune homme à ses côtés, seul contre trois sorciers. Pourtant, après ce qu’ils avaient partagé, il ne le pourrait pas, même s’il le voulait.

“Incarcerem !”

Touché. Un de moins. L’agent ne tarderait pas à se libérer mais il lui faudrait un moment pour les rattraper. En tous cas, c’est ce qu’il pensait. Malheureusement pour lui, ils avaient de bons réflexes et en deux temps trois mouvements, ils étaient de nouveau au complet et ils gagnaient du terrain. Frost réalisa qu’ils ne pourraient pas s’en sortir, pas en comptant uniquement sur les sortilèges de magie classique. Il n’aimait pas particulièrement faire usage de magie noire mais parfois, la fin justifiait les moyens. Le Serpentard pivota sur lui-même, faisant face aux trois agents à quelques mètres de là et d’un geste assuré, brandit sa baguette.

“Protectae Amelis… Souffla-t-il sur un ton inquiétant.”

A l’entente de la formule du sortilège, les hommes de main du ministère se figèrent sur place. Une barrière d’ombre se dressa entre eux et les deux garçons, impénétrable. Frost baissa sa baguette lentement, ses adversaires ne tenteraient rien en sachant qu’il faisait usage de la magie noire. Il l’utilisait rarement, en dernier recours seulement, quand il n’avait pas d’autre choix, comme ce soir-là. Il allait se remettre en marche lorsqu’il aperçut du coin de l'œil un scintillement léger. Elle était là, la limite du maléfice.

“Là ! S’exclama le Serpentard en la pointant du doigt.”

Enfin ils allaient pouvoir quitter cette forêt de malheur. Ils dépassèrent la ligne floue et dans un craquement sonore, disparurent dans la nuit…

“On dirait qu’on s’en est sortis. Joli.”

Frost tituba en arrière, encore sonné par la course poursuite et le transplanage. Il ne risquait pas d’oublier une soirée pareille. Akutenshi avait l’air de s’amuser, à en juger par son sourire satisfait, l’adrénaline devait lui plaire.

“Bienvenue chez moi, en fait.”

Le manoir Busujima dégageait une aura particulière, inquiétante, un peu malsaine. Le Serpentard supposait qu’il ressentait l’énergie de Mao à travers les murs de sa maison, comme il ressentait l’énergie de la plupart des gens lorsqu’il entrait chez eux. Maintenant qu’il connaissait un peu mieux Akutenshi, il pouvait affirmer que ça ne venait pas de lui. Somptueux, le hall du manoir était aussi spacieux que froid, avec ses couleurs qui rappelaient à Frost celles de sa maison à Poudlard. Au moins, il n’était pas dépaysé. Il suivit son nouvel ami sans un mot, en observant la décoration. Les différents portraits lui jetèrent un regard tantôt interrogatif, tantôt méfiant, ils s’accordaient à merveille avec ceux de ses propres ancêtres. Lorsqu’ils entrèrent dans ce qui semblait être un salon, Frost détailla la pièce comme il avait l’habitude de le faire dans les lieux qu’il ne connaissait pas. Quelques secondes lui suffirent pour mémoriser ce qui s’y trouvait, il reporta ensuite son attention sur la jolie femme qui venait de se lever de son fauteuil pour enlacer Akutenshi dont l’expression corporelle trahissait l’inconfort. Le Serpentard esquissa une grimace, il savait que trop bien ce que son ami ressentait.

“J’ai invité quelqu’un.”

Frost pria tous les dieux qu’il connaissait pour que Mao ne l’étreigne pas à son tour. Heureusement, elle n’en fit rien. Elle se contenta d’un sourire.

“Enchantée ! Je m’appelle Mao Busujima ! Je suis si heureuse que mon Aku se soit fait un ami !”

Bon sang, tout chez cette femme transpirait l’hypocrisie. Notre Serpentard l’avisa d’un œil froid et hautain, comme il savait si bien le faire, et finalement, lui accorda une poignée de main par politesse.

“Frost Rosier, répondit-il.”

Il su au moment même où il déclina son identité que Mao réagirait comme la plupart des gens le concernant. Son visage pâlit à vue d'œil et la lueur chaleureuse dans son regard disparut, laissant place à l’inquiétude. C’était tellement prévisible que Frost pinça les lèvres d’exaspération, elle avait beau tenter de paraître à nouveau amicale, tout dans son attitude trahissait sa désapprobation. Sa petite conversation en Japonais termina d’agacer l’héritier Rosier, il détestait qu’on parle dans son dos. Il attendit patiemment qu’ils aient terminé pour répondre à son bienvenu aussi artificielle que tout le reste.

“Je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine, je sais pertinemment que vous désapprouvez ma présence ici, feindre la bienséance ne vous rend pas plus honnête, lâcha-t-il froidement. Vous devriez apprendre à ne pas juger les gens sans les connaîtres.”

Frost voulait faire disparaître son petit sourire poli qu’il trouvait malhonnête. Sous prétexte de bienséance, la plupart des gens se permettaient des comportements déplacés et il détestait ça. Il comprenait pourquoi Akutenshi ne la supportait pas, elle représentait à merveille ce que l’humanité faisait de pire, des gens faussement bienveillants qui vendraient leur mère pour un peu de considération. Frost les trouvaient pitoyables.

“A ta guise, je n’ai pas très faim, je fumerais bien une cigarette en revanche…”

Il espérait que son ami les conduiraient dans un endroit où ils pourraient avoir la paix, Mao lui tapait déjà sur le système et il serait préférable pour tout le monde qu’il s’en éloigne avant de dire quelque chose de fâcheux.

Frost suivit docilement Akutenshi à l’étage en analysant ce qui l’entourait. C’était un bel intérieur mais il ne parvenait pas à se détacher de ce sentiment de malaise, de cette énergie désagréable qui déteignait de Mao et avait fini par imprégner les murs de sa maison. C’était un peu pareil chez lui, il y faisait toujours sombre et froid, l’ambiance qui y régnait donnait des frissons à quiconque osait passer la porte d’entrée. Il grimpa les escaliers quatre à quatre, heureux de s’éloigner de la maîtresse de maison, motivé par la perspective de fumer une cigarette. La chambre d’Akutenshi était élégante, à son image, sombre et sophistiquée. Il aimait bien ce genre de décoration moderne, chez lui les meubles dataient d’un siècle minimum. Les siens témoignaient de sa fortune et de son bon goût, deux qualités que Frost respectait. Il retira sa veste en cuir et la déposa sur le dossier d’un fauteuil, dévoilant la chemise blanche qu’il portait en dessous, faite sur mesure par Ackerly Chameleon, styliste renommé.

“Sois honoré de découvrir mon antre, personne à part ma mère et toi ne l’a déjà vue.”

Effectivement, c’était un moment spécial pour l’un comme pour l’autre.

“Jolie chambre, se contenta-t-il de répondre en hochant la tête.

-Regarde, pour fumer tu peux te poser près de la fenêtre.”

Quelques fauteuils, des petits coussins moelleux, que rêver de mieux ? Frost se laissa lourdement tomber sur le petit canapé adjacent à la fenêtre en soupirant d’aise. Enfin il pouvait se poser sans craindre que la police ou un étudiant bourré ne rompe son moment de calme. Il dégaina sa baguette, lança un accio sur son paquet de cigarette rangé dans la poche de sa veste, en glissa une entre ses lèvres et ouvrit la fenêtre afin de ne pas enfumer la chambre. Akutenshi vint d’ailleurs s’asseoir à côté de lui, muni d’un sachet de sucreries diverses et variées.  Frost alluma sa cigarette d’un coup de baguette et l’observa engloutir une plume en sucre, amusé par son attrait pour les choses simples.

“T’en veux ?”

Ceci étant dit, lui-même se laissait facilement tenter par un peu de chocolat. Il loucha une seconde sur les chocoballes en se demandant s’il était raisonnable de se goinfrer en public. Mais après tout, Akutenshi n’était pas n’importe qui, il ne le jugerait certainement pas sur ses manières. Frost plongea donc sa main dans le paquet ouvert et engloutit la confiserie, il avait presque oublié à quel point elles étaient délicieuses.

“Je n’ai pas mangé de sucrerie depuis des lustres, avoua-t-il amusé par sa propre audace. je n’y pense jamais, celles-ci sont vraiment bonnes.”

Et pour illustrer sa déclaration, le Serpentard chipa une autre chocoballe. La brise fraîche de Décembre souleva quelques mèches de ses cheveux bruns, c’était tellement agréable de déposer les armes, d’abandonner un peu l’image du garçon insensible pour celle d’un jeune homme de 18 ans parfaitement normal. Il tira sur sa cigarette en observant la pleine lune, ronde et lumineuse. Perdu dans sa contemplation, il en oublia presque la présence d’Akutenshi, et je dis bien presque.

“Alors, t’en dis quoi du manoir ?”

Question piège pour une personne lambda mais parfaitement innocente dans la bouche de l’asiatique. Frost commençait à comprendre comment il fonctionnait, il n’attendait pas une réponse visant à flatter son égo mais une analyse honnête. Le jeune homme fronça les sourcils, signe qu’il réfléchissait. C’était toujours compliqué pour lui de rassembler et organiser ses pensées, tout semblait plus clair dans son esprit que de vive voix.

“Esthétiquement parlant, je le trouve à la hauteur des familles de sang-purs, il est spacieux, noble, très bien décoré, on voit qu’il a été construit sur un modèle aristocratique, déclara-t-il en observant les moulures au plafond et les meubles. Pour ce qui est de ce qu’il dégage… C’est une énergie désagréable, pas la tienne de toute évidence mais celle de Mao, sauf ici où l’atmosphère est plus légère.”

Frost avait l’habitude que ses critiques, quel qu’elles soient, déplaisent aux gens à qui il les soumettaient. Il n’était pas du genre à mentir ou enjoliver la réalité, s’il pensait quelque chose et qu’on lui posait la question, il répondait franchement.

“Et puis Mao et toi vous vous entendez bien on dirait ! C’est une jolie histoire qui commence ! T’as raison d’avoir dit ce que tu lui as dit. C’est une sale conne.

-Elle correspond à l’image des sang-purs Anglais, hypocrites, opportunistes, jugeants, rien qui ne m’étonne mais ça me tape sur le système, argua le Serpentard en soufflant un nuage de fumée.

-Et du coup, maintenant qu’on est posés tranquille et qu’on n’a plus la police au cul, dis moi Frost… T’es qui, au juste ?”

La question le prit de court, il n’avait pas la moindre idée de ce qu’Akutenshi voulait dire par là. L’asiatique sembla réaliser son trouble puisqu’il précisa.

“Genre je sais qui est Frost Rosier. La famille de bourge présumée mauvaise avec tout le cliché autour. Les frères et sœurs. Mais Frost tout court? Genre, t’aime quoi dans la vie? T’as une ambition qui n'a rien à voir avec ta famille? T’as une petite amie? Ou un petit ami, j’en ai rien à foutre au final… ? T’as une passion? J’sais pas, il est comment Frost sans le “Rosier” derrière?”

Ouch, Frost ne put une nouvelle fois pas cacher sa surprise. Il haussa les sourcils, analysant les tenants et les aboutissants de ses questions. Qui était-il ? Il avait commencé à se poser la question après la guerre, une fois libéré de l’emprise de son père et de l’angoisse perpétuelle de voir Orion se faire réduire en bouillie. Il continuait à en chercher la réponse. La douloureuse constatation de n’avoir pour centres d’intérêts que ceux qu’Alabaster avait choisis pour lui n’avaient pas aidé à lui faire prendre conscience de son individualité. Il passait son temps à se demander si ce qu’il aimait lui appartenait vraiment ou si ce n’était qu’une conséquence de son éducation. Frost poussa un profond soupir en consumant les derniers millimètres de sa cigarette.

“J’aime les chocoballes, ça au moins je peux dire que ça m’appartient, pour le reste c’est assez délicat… Confia-t-il en riant jaune. Beaucoup de mes goûts et mes comportements ont été dictés par mon père, j’essaye encore de déterminer lesquels sont réels pour moi. Je pense pouvoir affirmer que j’aime le piano, j’ai toujours plaisir à en jouer. Pour ce qui est de mes projets d’avenir, je suis paumé de chez paumé, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas ce qui me correspondrait le mieux honnêtement. En revanche je veux vraiment aller à l’Université, faire des études supérieures.”

Il s’interrompt, le temps de se réinstaller correctement dans le canapé, bras croisés.

“J’aime le calme, je suis plutôt attiré par les gens intelligents et posés, mâtures en sommes, d’où ma solitude, plaisanta-t-il en grignotant une chocoballe. Mais être seul ne me déplaît pas tant que ça, je suis quelqu’un d’indépendant. J’adore les animaux, je continue à me demander comment j’ai bien pu hériter de ce penchant. Je joue au quidditch et je pense que je suis plutôt bon dans ce domaine, comme batteur en tous cas. Je fume comme un dragon, héritage de la guerre et j’ai tendance à boire plus que je ne le devrais…”

Nouvelle pause, il en savait finalement pas mal à son propre sujet, Frost se surprit lui-même à avoir des envies et plaisirs dans la vie.

“Quant à ma vie amoureuse, hétérosexuelle, je suis plus du genre à papillonner qu’à me poser, je n’ai pas à me plaindre ceci dit, j’ai toujours eu du succès avec les femmes… Je ne sais pas si elles sont attirées par la réputation, le mystère ou le danger mais j’en profite tant que je le peux.”

Et c’était peu dire, s’il avait voulu, il aurait pu avoir une fille dans son lit tous les soirs sans aucun problème. Frost savait qu’il devait ce succès à l’image qu’il dégageait et son histoire de mauvais garçon rebel mais franchement, c’était bien le seul avantage à tout ça.

“Et toi ? J’ai cru comprendre que l’Université ça ne te passionne pas, mon frère est dans la même filière que toi il se peut que tu le connaisse, il s'appelle Orion… Le seul être valable dans ma famille de cinglés.”

Rien de ce que Akutenshi lui confia ne surprit Frost. Ses intérêts, sa vie amoureuse et son passé à Poudlard correspondaient à sa personnalité. Cette constatation soutira un petit sourire amusé au Serpentard, il l’avait bien jugé. Il était évident que cette maison ressemblait plus à Mao qu’à son fils adoptif, le résultat aurait certainement du charme lorsque celui-ci en hériterait, à sa mort. Le passage sur la drogue lui faisait penser à sa propre inclinaison, l’alcool n’en était pas si loin après tout. La guerre avait laissé des traces chez de nombreux sorciers, lui y comprit. Frost se demandait rarement quelles seraient les conséquences de ses actes, que ce soit sur sa santé ou sur sa vie en règle générale. Pourtant parfois, il supposait que ça finirait par lui jouer des tours. Akutenshi paraissait particulièrement dégoûté par les échanges physiques avec d’autres personnes, la mysophobie devait être terriblement handicapante et Frost se sentait chanceux de n’avoir aucune aversion pour les microbes et la saleté… Dans la limite du raisonnable évidemment. Ceci expliquait pourquoi sa chambre était aussi propre. Le Serpentard observa son ami retirer sa chemise interrogatif, ce geste le surprit, il le croyait pudique, à tort. Il dévoila un tatouage sur son épaule que Frost trouva franchement captivant, à l’image de son ancienne maison, la sienne en l'occurrence : Serpentard.

“J’ai fait ça à une fête, quand j’étais en seconde année à l’UMS. Franchement, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. J’étais tellement défoncé que j’ai zéro souvenir de ce qui m’a mené à ce résultat… Mais ça doit avoir un lien avec Serpentard. Ou juste le fait que je trouve les serpents plutôt classes. T’aurais vu la gueule de Mao quand j’suis rentré torse poil avec ça.

-J’aime beaucoup, déclara l'héritier Rosier en se penchant afin de mieux l’observer. Le Serpent est un symbole puissant…”

Jugeant qu’Akutenshi lui avait fait une faveur en lui montrant son tatouage, Frost décida de lui rendre la pareille. Il trouvait étrange de se déshabiller devant un autre garçon et se sentait un peu mal à l’aise en retirant sa propre chemise. Contrairement à l’asiatique, ses nombreux entraînements de quidditch avaient façonné son corps suffisamment pour lui permettre d’exhiber des épaules solides. Frost n’était pas un bodybuilder, loin de là, mais il pouvait se vanter d’être tout de même agréable à regarder. Il se leva du petit canapé et pivota sur lui-même afin de montrer à Akutenshi le tatouage qui recouvrait la quasi-totalité de son dos. C’était un tatouage particulier, un tatouage magique, capable de se mouvoir bien que très légèrement. Ainsi, les volutes de magie qui constituaient le renard noir ondulaient gracieusement tandis que les touches d’or et de cuivre scintillaient sur la peau albâtre du jeune homme de18 ans à peine.


Frost savait que son ami ne pouvait voir ce qui se trouvait en dessous, néanmoins, il avait l’impression du contraire.

“Je l’ai fait il y a un an, pour cacher une cicatrice, révéla-t-il un tantinet mal à l’aise. Vestige d’une blessure infligée par mon adorable Frère, Cyrus…”

Il réenfila sa chemise en essayant de paraître indifférent.

“Le renard a une importance particulière dans ma vie, je suis un animagus, poursuivit-il en se rasseyant. C’est également mon patronus. Je crois que j’ai un lien spirituel fort avec cet animal.”

Avait-il volontairement éludé le passage de la confrontation avec son frère ? Absolument. Ce n’était pas quelque chose dont il parlait facilement.

“Et toi, est-ce que tu arrives à former un patronus ? Demanda-t-il soudainement curieux.”

Quel animal pourrait le mieux correspondre à Akutenshi ? Alors là, il n’en avait pas la moindre idée.

“Ils sont difficiles à faire apparaître…”

Frost allait poursuivre sa phrase lorsqu’une ombre dans le ciel attira son attention. Il fronça les sourcils, quelque chose lui disait que ce hibou lui était adressé. Il attendit que l’oiseau se pose sur le rebord de la fenêtre pour récupérer le parchemin accroché à sa patte. Il n’avait même pas besoin de le lire pour savoir qui le lui avait envoyé. Avalon, le grand duc de sa mère, était un bon indicateur. Frost s’empressa de consulter le mot, l’air profondément exaspéré. Comme il s’y attendait, Angelice Rosier le sommait de rentrer immédiatement au manoir, sous peine de devoir rendre des comptes à son père. Le jeune homme retint un juron, il se sentait enchaîné, contraint, et il détestait ça.

“Ma mère… Se contenta-t-il d’informer en se levant. Je dois rentrer…”

Frost aimait passer du temps avec Akutenshi, il serait resté la nuit entière avec grand plaisir s’il avait pu. Le jeune homme récupéra sa veste d’un geste las, en soupirant, démoralisé. Il en tuerait peut-être un avant d’entrer à l’UMS, vu comment c’était parti.

“C’était une soirée très agréable, je te remercie de m’avoir invité, déclara-t-il en se postant devant lui. Je t’enverrais un hibou dans les prochains jours, nous pourrions organiser quelque chose avant la fin des vacances ? Je n’aime pas terminer une bonne conversation de cette manière.”

Vu le peu de bonnes conversations qu’il avait échangé dans sa vie, il n’aimait pas terminer une bonne conversation tout court.

“Je t’inviterais bien au manoir mais je ne pense pas que tu apprécierais le cadre mangemort, même si ton statut de sang-pur plairait assurément à mon père. Je te souhaite bon courage avec Mao…”

Et sur ces mots, il récupéra sa baguette, adressa un petit signe de la main à Akutenshi et transplana. Frost se sentait chanceux d’avoir rencontré quelqu’un d’aussi intéressant, avec qui il pouvait parler et se sentir à l’aise. Il espérait sincèrement que son nouvel ami accepterait son invitation et qu’ils pourraient approfondir leur relation naissante. En attendant, il avait une mère à affronter, un frère à surveiller, un père à éviter et par dessus tout, deux semaines de vacances à supporter…