Ecriture à cinq mains

Noël approchait, c’était clair et net à présent ! Oui, j’étais le genre de personnes à penser que lorsqu’Halloween était terminé, on passait automatiquement en mode Noël. Après tout, il fallait bien deux mois pour profiter de cette fête. Elle était tellement féérique. J’adorais porter mon bonnet de Noël les week-ends (en semaine, les professeurs me demandaient de le quitter, les rabats-joie !) et chantonner des chansons. Ça agaçait nombre de mes camarades, notamment les plus grincheux qui détestaient Noël. Billy était l’un d’entre eux. Il ne détestait pas Noël mais disons que cette année était spéciale. Il refusait de le fêter avec papa et je trouvais ça tellement dommage. J’en avais parlé à Edmund dans l’une de mes lettres qui m’avait dit qu’il essaierait de le convaincre, mais Billy étant tellement têtu, il n’écouterait ni Edmund ni moi.

Autre que Noël, j’avais commencé à prendre des cours avec le professeur Chastang. Il enseignait la Défense contre les Forces du Mal et était accessoirement le petit-ami de mon père. Je m’étais faite avoir, car, au fond je n’avais pas vraiment besoin de cours particuliers. Je voulais juste un moment tranquille avec le prince Iceni. Mais ce dernier m’avait repoussé, et le professeur Chastang avait sauté sur l’occasion. Avec lui, je revoyais toute sorte de sortilèges. Il me disait que ces cours me seraient utiles pour les BUSE, l’examen de fin d’année, même si je le soupçonnais de vouloir passer du temps avec moi par rapport à papa.

S’agissant du prince … c’était plutôt au point mort. Je voyais bien que je ne lui plaisais pas. Il faisait tout pour m’éviter, laissant même le professeur Chastang s’occuper de moi lors des séances du club de Duels. Je devais me faire une raison ! Je n’étais pas son genre. Même Lemony n’avait pas répondu à mes avances lors de la fête d’Halloween ! A croire que j’avais perdu le coup de main.

Heureusement, il restait mes amis. Sara par exemple. Elle était à l’heure actuelle assise face à moi, dans la Grande Salle, pendant que je rédigeais toutes mes notes sur mon journal intime. Bon, pas si intime que ça, je vous l’accorde. Flora Saunders était assise juste à côté de moi et pouvait, si elle le voulait, regarder par-dessus mon épaule pour voir ce que j’écrivais, et Sara, assise face à moi ne cessait de bavasser depuis que je lui avais parlé de ma dernière expérience amoureuse.


J’aimais bien Sara. C’était une amie de ma cousine, Alice, et était arrivée à Poudlard en septembre. Elle était douée pour tout savoir sur tout, Sara. J’adorais quand elle me relatait qu’elle avait surprise le professeur Slughorn peloter le professeur Trelawney. L’image était horrible, certes, mais Sara avait l’art d’être là toujours au bon moment.

« Tu sais si Ezra a une petite-amie ? » demandais-je, l’interrompant dans ses bavardages, ma plume posée sur mes lèvres. « Ezra Hemingway-Miller. » précisais-je en voyant qu’elle ne répondait pas. « Je devrais peut-être tenter ma chance avec lui … » Après tout, il fallait que je me remette en selle au plus vite si je voulais battre le record de petit-ami de ma marraine.

Un sourire se dessina sur les lèvres de Sara. Qu’y avait-il de drôle à ce que je venais de dire ? « Sans vouloir te vexer… t’es pas du tout son style. T’es un peu… trop féminine. » Je haussais un sourcil. Moi, féminine ? D’accord, j’aimais porter de jolies robes et me maquiller et me coiffer. Bon, oui, j’avais un look très féminin. Mais il y avait pire que moi. Ezra préférait-il un autre style ? « Qu’est-ce que tu veux dire ? » demandais-je. Après tout, Sara avait toujours pleins d’informations à donner, autant qu’elle précise plus ce qu’elle sous-entendait. « Je pensais que tout le monde savait, depuis le temps. Il est jamais sorti avec quelqu’un à Poudlard, c’est bien pour une raison. » A nouveau, je fronçais les sourcils avant que je ne comprenne. « Attends … tu veux dire que … Ezra aime les garçons ?! » Pour une info, ça s’en était une ! J’ignorais totalement ça de sa part. Pourtant … enfin, il faisait fantasmer pleins de filles. « Bon, il doit pas encore avoir compris lui-même – il a toujours été un peu lent – mais je crois que même sa mère a pigé le truc. C’est ma marraine, tu sais ? »

Je secouais la tête, vraiment sceptique à cette idée. « Mais … tu l’as déjà vu avec un mec ? » insistais-je, ignorant sa réplique sur sa marraine. Sara avait le don pour vite s’éparpiller. Mais l’information sur Ezra était bien plus intéressante ! « Et toi, Flora ? Est-ce que quelqu’un t’intéresse ? » Je levais les yeux au ciel avant d’éclater de rire. « Ne te fais pas avoir, Flo’. Sara va t’arracher les Véracrasse du nez et donner toute l’information à Poudlard avant que tu aies eu le temps de dire Quidditch. » Je jetais un coup d’œil à Sara avant de lui tirer la langue d’un geste très mature. « T’as peut-être un journal intime, comme Vicky ? » insista Sara, ce qui me fit à nouveau sourire. Mais Flora n’eut pas le temps de répondre que Lyra poussa un grand cri de surprise : « Nom d’un dragon ! » Lyra Mulligan. C’était une Gryffondor de 7ème année. Je ne la fréquentais pas beaucoup. C’était une fille trop discrète pour m’intéresser.

« Qu’est-ce qui t’arrive, Lyra ? Quelqu’un a mis un Strangulot dans ton verre ? » Voyant que nos trois têtes étaient tournées vers elle, elle s’approcha. « Vous avez lu le journal du jour ? » Elle passa derrière moi pour poser le journal au centre de la table. Je pris mon verre de jus de citrouille pour en boire une nouvelle gorgée. Il y avait plusieurs rubriques toutes aussi barbantes les unes que les autres. Je ne voyais pas ce qui avait pu retenir son attention. Mais alors Lyra posa son doigt sur un article sous une photo en noir et blanc. Une étudiante blonde marchait main dans la main avec … « Le prince Iceni s’est trouvé une copine nommée Fey Stanger, il paraît ! » Si j’avais pu, j’aurai surement lâché un grand cri à mon tour. Mais à la place, mon jus de citrouille ne passa pas correctement et je m’étouffais face à la nouvelle. « Qu … quoi ?! » J’attrapais impatiemment le journal entre mes mains, l’impression d’avoir été trahie. Bleddyn Iceni … avec une fille. Mon cerveau imaginait déjà Fey dans une robe blanche et le prince dans un beau costume noir, faisant le tour de l’Irlande dans un beau carrosse.

Mes mains se crispaient sur le papier journal et je ne remarquais même pas que Joey Davis était arrivée avec son air mélancolique. « J'aime bien le journalisme » déclara alors Flora. Mon regard déconfit quitta le journal des yeux pour regarder par-dessus. « Mais... Pourquoi dire des choses privées sur les gens célèbres, qu'est-ce que ça regarde les autres ? » « Parfaitement ! » lâchais-je, les dents serrées. Je relâchais le journal sur la table, furieuse. D’ailleurs, pourquoi j’étais furieuse ? Le prince faisait bien ce qu’il voulait. Il était libre. Il m’avait repoussé, il avait été clair. Il ne voulait pas de moi. Il en voulait une autre … Mon visage se décomposa à nouveau alors que j’enfouissais mon visage entre mes bras.

« Que se passe-t-il ? » Joey se penchait par-dessus Sara pour lire l’article à son tour. Fey Stanger … J’adorais cette fille en plus ! Elle était partie cette année à l’UMS. Je la trouvais tellement belle, tellement cool, tellement … tout. Et bien sûr elle avait su séduire le prince. Quelle chance elle avait … et que je n’avais pas … « Quel sens de l’information. » lâcha Joey, sarcastique. « Quelqu’un la connait ? » « C’est Fey, la fille du prof de Vol. Elle est géniale comme fille … Normal qu’elle ait attiré le prince … » Ma bouche collée contre la table, les filles n’avaient certainement pas du comprendre un traitre mot de ce que je venais de marmonner entre mes bras.

« Je n’aime pas lire le journal, ils laissent beaucoup trop d’espace aux commérages. » soupira Joey. Je sortis enfin la tête d’entre mes bras pour regarder la Serpentard. J’aimais bien Joey. Elle avait un sale caractère mais elle disait toujours des trucs intelligents. Bien plus que ce que pouvait dire Billy … « Si je devais écrire mon propre journal … » continua-t-elle. « … je parlerais de littérature, ou alors de certains objets moldus, j’ai lu quelque chose sur l’utilisation du canard en caoutchouc il y a quelques jours. C’était intéressant, Arthur Weasley avait écrit un article dessus… bon hors de propos soit, j’ai tendance à m’éparpiller désolée ! » La mine boudeuse, je haussais les épaules avant de me redresser avec un long soupir dépité. « Même un canard en caoutchouc n’est pas aussi digne d’intérêt que le prince Iceni. » dis-je d’un ton rêveur.

« Et vous vous aimeriez quoi comme rubrique ? » « Quoi ? » demandais-je de mon ton toujours rêveur. « Ah ! » Je m’exclamais avant de prendre conscience que j’avais toujours mon journal intime sous moi. Comment noter dessus une telle tragédie ? « Moi je rétablirai la vérité. » assénais-je. « Oui, Fey Stanger est la copine de Bleddyn Iceni. Mais peut-être que ce n’est pas ce qu’on croit ? Il faudrait les interviewer et leur demander clairement ce qu’il en est. » S’il y avait encore un maigre espoir de se dire que le prince n’était peut-être pas totalement en couple, je m’y accrochais. « Ou non ! » m’exclamais-je, gagnée par l’excitation d’un journal rien qu’à moi. « Je relaterai les potins de Poudlard. Comme ce que m’a raconté Sara. Vas-y, raconte-leur pour Slughorn !! ou ta théorie sur Ezra Hemingway-Miller ! » Soudain, la perspective de monter un journal me plaisait bien plus que de m’étendre sur le sujet du nouveau couple royal.

Bien du chemin avait été fait depuis cette première réunion informelle de notre club journal. J’y avais repensé de temps à autre, intriguée à l’idée de fonder quelque chose ici, de laisser ma propre marque à Poudlard. J’avais toujours écrit, mais pour moi. J’adorais ça mais est-ce que d’autres apprécieraient mon style d’écriture ? Est-ce que cela valait la peine d’être lue ?

Et puis, j’avais recroisé Lyra, qui m’avait reparlé de ce journal. Sara qui m’avait raconté les derniers potins. Flora qui, dans la salle commune, s’imaginait le format de notre journal. Et Joey qui était plus que motivée à nous réunir à nouveau. Et petit à petit les choses s’étaient faites. Sara et moi nous étions mis ensemble pour une rubrique people et j’avais été fière de co-écrire cet article. Bien sûr, Joey et Lyra, les plus âgées, avaient été là pour nous remettre les pieds sur Terre : il nous fallait l’accord de la directrice.

Notre rendez-vous était aujourd’hui. Les cours étaient terminés et nous étions désormais en week-end. Mais nous nous étions réunies toutes les cinq pour discuter une dernière fois de la maquette à présenter au professeur McGonagall.

En voyant Joey l’étaler sous nos yeux, j’avais comme l’impression qu’une éternité s’était passée depuis l’écriture de ses articles. Et pour cause : il y avait moins d’une semaine que j’étais devenue un loup-garou et moins de quelques heures que j’étais de retour à Poudlard. J’étais dans le brouillard et j’avais l’impression que les cours et le brouahah étaient tout droit sortis d’une autre dimension. Je dormais mal et je ne cessais de faire des cauchemars de cette Pleine Lune. Bleddyn avait dit que cela passerait et je me doutais que ce serait le cas. Il me faudrait du temps même si j’avais insisté pour reprendre au plus vite mes habitudes à Poudlard. J’avais besoin de normalité, de ma meilleure amie, de mes proches. Même si j’avais peur de moi et de ce que je pouvais faire, je gardais les paroles de Bleddyn en tête et je voulais surmonter ça. Et ça commençait par mener à bien ce projet de journal.

« Bon si je résume ! » commença Joey en nous regardant tour à tour. « Lyra tu as ta rubrique sur l’actualité culturelle sorcière en deuxième page, Sara et Vicky vous avez People et Potins en quatrième de couverture, Flora je t’ai mis pour l’instant en première page pour les actualités au sein du château et je serais en troisième page pour la culture moldue. »

Je hochais la tête. En tant normale, j’aurai sans doute interrompu Joey et râlé d’avoir été reléguée en dernière page mais je n’étais pas d’humeur à faire un quelconque commentaire. Je touchais du bout des doigts le papier d’un air pensif alors que Joey continuait ses explications.

« On pourra préciser que c’est un premier jet et que des modifications se feront au fur et à mesure pour lui montrer qu’on est ouvert aux suggestions, donc “adaptables à sa volonté“ si on veut. »

A nouveau, j’acquiesçais. Je ne savais pas comment ça s’était fait, mais Joey était vite devenue la tête pensante, Lyra à ses côtés. Sara et moi-même étions les plus dissipées tandis que Flora apparaissait comme la plus studieuse d’entre nous.

« J’espère tout de même qu’il n’y aura pas énormément à modifier et que ça ne dénaturera pas notre idée de départ. » dis-je, la tête appuyée dans une main.

Le professeur McGonagall était connue pour sa sévérité et son impartialité. Cependant, elle savait aussi se montrer juste et clémente quand les personnes faisaient preuves de bonne foi. Mon parrain m’avait déjà vanté ses qualités lorsque lui et mon père multipliaient les farces à Poudlard.

« Bon on n’a rien oublié ? Tout est correct vous pensez ? » reprit Joey.
« Ca m’a l’air … bien. » dis-je en regardant à mon tour les filles autour de la table. « Oh, il y a juste un truc ! »

Je lâchais ma tête pour fouiller dans l’une de mes poches de mon uniforme. Je récupérais un papier un peu froissé, issu d’un livre.

« J’ai trouvé ça dans le grenier de ma mère pendant les vacances de Noël, j’ai oublié de vous en parler. C’est hier, en sortant quelques affaires de ma valise que je l’ai retrouvé. »

En vérité, le papier aurait pu rester très longtemps ici si je n’avais pas jeté un nouveau coup d’œil à cette valise.

« C’est un sortilège en faites qui matérialise ce qu’une page décrit. » exposais-je en tentant tant bien que mal de défroisser la feuille.

L’écriture était manuscrite et pourtant soignée. Il y avait également un schéma, montrant le rendu, ici un mini-bateau qui sortait du livre l’île aux Gallions.

« Je me disais que pour une prochaine fois ça pouvait être intéressant pour l’article sur les moldus. Même pour d’autres en faites. Cela rendrait le texte plus vivant ! »

Je souris aux filles réunies autour de la table de la Grande Salle, écoutant leurs réactions.

18h30 sonna.

« On va être en retard, vite ! » m’exclamais-je en repliant ma feuille froissée.

Je sautais sur mes jambes, prête à courir dans les couloirs pour arriver en un temps record aux portes du bureau de la directrice. Être en retard ferait mauvais genre, non ?