Samedi 9 février 2002 – 16h22Le
démon blanc. C’était un surnom bien étrange pour l’homme qui était présent dans ma cuisine. Il n’avait ni la hargne dans le regard ni le physique d’un serviteur du diable. Mais il était convaincant et ne semblait pas lâcher l’affaire. Que ferait-il encore ici sinon ? Blanc pour la pureté ? L’était-il vraiment ? Ou n’utilisait-il pas, comme d’autres, des moyens à cacher pour remporter ses plaidoiries ? Le
sauveur mystérieux semblait mieux lui convenir. Il ignorait totalement les raisons de mes remerciements. L'humilité faisait-elle parti de la longue liste de ses qualités ? J’en avais presque la tête qui tournait. C’était presque trop beau pour être vrai. Comment ne pas se méfier ? Comment accepter sans rechigner l’aide qu’il me tendait ? Mais c’était un avocat réputé, il ne pouvait tremper dans des affaires louches. Il était un ami de la famille, bien avant que tout ne tourne au vinaigre.
« Pour rien. Mais, si jamais tu le croises… Préviens-moi, d'accord ? » Angelo Scott. Non je ne le connaissais pas mais je ne voyais pas ce qu’Andrew pouvait craindre en lui. Il semblait aussi solide qu’un roc mais peut-être était-ce seulement ce qu’il voulait montrer ? Qu’avait cet Angelo de terrifiant ? Pourquoi était-ce une menace qu’il traine avec mon père ? Mais je ne me sentais pas légitime de poser ses questions, Andrew semblait embêté d’aborder ce sujet et je ne voulais pas le froisser. Je hochais alors seulement la tête, préférant risquer une questions sur ses autres frères et sœurs. Je le sentis désarçonné par le choix du sujet. Était-ce sensible ou surprenant seulement ?
« … Ils sont cinq, et je suis l'aîné. Après moi, il y a ma sœur Anya ; puis Calvin, qui travaille dans une boutique ; puis Anthony et Alice, ils sont jumeaux. Alice est en train de monter son propre bar. Enfin, il y a Angelo, qui est étudiant à l'UMS. » Aucun de ces noms ne m’était familier.
« Je ne suis pas très proche d'eux, sauf d'Alice. » Intéressant. Étrange. Il ne semblait pas très famille pour quelqu'un qui voulait sauver la mienne.
« Ce n’est pas la position la plus facile. » Il me lança un regard interrogateur.
« La place de l’ainée. C’est beaucoup de responsabilités et souvent le remplaçant des parents. » Je pensais à Alec. Il semblait avoir déserté cette fonction auprès de Papa mais il était toujours là pour moi.
Mais revenons à nos moutons ! Cela avançait-il du côté de mon père ?
« Je l'ai vu trois fois. La première fois à sa boutique, nous nous sommes disputés. La seconde fois, pour lui remettre une invitation à un dîner. La troisième fois, à ce fameux dîner qui ne tourna pas comme je l'espérais. » Je ne pensais pas qu’autant de tentatives avaient été nécessaires. Surtout que cela ne semblait pas aboutir à quoi que ce soit de concret. J’étais bien naïve de croire à la facilité.
« Il a accepté de venir au dîner, c’est rare. Disons que c’est un premier pas. » Il sembla s’excuser du regard avant de me conforter dans mon espoir.
« Je ne compte pas laisser tomber, tu sais ? Surtout après ce que tu m'a confié. » Je tenais à m’excuser de ces confidences, surtout maintenant qu’il y faisait référence. Je ne savais pas vraiment ce que j’attendais de son aide. Qu’est-ce qui pouvait encore changer ? Puis il prit ma main et mon regard resta un instant bloqué par ce geste avant de rencontrer le sien qui ne semblait ne pas vouloir me lâcher.
« Je suis là, certes, pour toi, mais de mon plein gré. Je veux vous aider, ton frère et toi, à renouer avec ton père. Pour le moment, James est très… Hermétique, à mes visites, mes propos. Il a une volonté de fer pour refuser tout aide… » Qu’avions-nous fait pour mériter pareille aide ? Sa sincérité nue me désarçonna. Je ne comprenais vraiment pas ce qui le poussait à faire tout ça. N'avait-il pas mieux à faire ?
Ma main, sous la sienne, se réchauffa instantanément, et je crains un instant d'en brûler sa paume. Je me retins de la bouger.
« Tu penses pouvoir lui faire changer d’avis ? » J’étais bien plus inquiète à ce sujet, jamais Papa ne se détournerait de ses habitudes, surtout pour un ami revenu de je ne sais où. Quel discours avait-il pu lui servir ?
« Il oublie que je suis avocat, et que je fais toujours tout pour obtenir ce que je veux. Et là, je veux qu'il se rende compte qu'il court à sa perte. N'oublie pas de me prévenir, si tu sens des changements chez lui, ou quoique ce soit qui pourrait sortir de l'ordinaire… » En effet, il ne semblait pas prêt d’abandonner l’affaire. Cela ne me rassurait pas totalement néanmoins.
“Il court à sa perte“, ces mots ne me disaient rien qui vaille. J’ignorais les manigances exactes de mon père mais pas leurs existences.
« Je crains bien de ne pas t’être très utile de ce côté-là, il est bien doué pour cacher les choses. Mais je ferais de mon mieux. » Je sirotais mon thé quelques secondes, il avait retiré sa main. Une sensation de chaleur me resta sur la main, étrange mais pas moins agréable.
« Joséphine ? » Pouvait-il lire dans les pensées ? Pitié non ! Je me sentis rougir doucement.
« En quelle année es-tu ? » Je reposais ma tasse, essayant de reprendre contenance.
« En 6ème année. » Il me sourit.
« Bientôt les ASPIC, donc… L'année prochaine. Tu t'en sors avec les cours ? » Je ne pus retenir une moue gênée.
« Un peu compliqué en ce moment… J’ai un peu de mal à m’organiser, j’ai pas mal de devoirs de potions et ce n’est pas la matière où j’excelle. » Je le sentis se tendre, déjà inquiet de mes résultats.
« Mais j’ai demandé de l’aide auprès du groupe de soutien, un tuteur va mettre attribuer pour me remettre à flot, alors ça devrait aller. » Je lui souris pour le rassurer ou pour me convaincre ? Je ne savais pas trop et puis le voir aussi préoccupé à mon sujet me faisait tout drôle. Personne ne m’avait vraiment posé ce genre de questions, parfois Alec mais je n’étais pas totalement sûr qu’il s’en souciait vraiment, plus occupé à se maintenir à flot lui-même. Ce qui était tout à fait légitime.
« On en fait toute une histoire, de ces examens. Mais avec du travail régulier, ça passera. Et il ne faut pas hésiter à demander de l'aide sur les sujets qui bloquent… Tes professeurs ou les tuteurs sont là pour ça, après tout. Et tu verras, l'Université sera les meilleures années de ta vie. » Il essayait de me rassurer et ça marchait bizarrement très bien. Des mots magiques ? Un homme convaincant ? Plutôt la dernière option sans aucun doute.
« Je comprends mieux pourquoi tu es redoutable à la barre. Tu es fichtrement persuasif. » Je me mis à rire un peu.
« Merci pour tout, vraiment. De m’aider à la maison et de me rassurer. Ça m’aide beaucoup. » Je reposais ma main sur la sienne, cherchant la sensation de chaleur qui m’avait envahie quelques minutes plus tôt. Mon regard était plongé dans le sien, imitant sa façon de prouver sa sincérité. Prise dans le moment, je n’entendis pas la porte d’entrée se refermait et les pas de quelqu’un approchait jusqu’à l’entrée de la cuisine.
« Eh bien, est-ce que j'interromps quelque chose ? » Papa apparut sur le pas de la porte, les mains derrière le dos.
« Que nous vaut l'honneur de ta visite, Andrew ? » Je sursautais comme prise en flagrant délit.
« Papa ! Tu es rentrée. » Je me relevais de ma chaise d'un seul coup, retirant ma main de celle de l'avocat.
« Andrew est passé me dire bonjour. Nous nous sommes retrouvés au bal des Iceni en décembre, je ne sais plus si je t'en avais parlé. » Je me sentais bafouillée un peu, bien sûr que je ne lui en avais pas touché mot.
« Je te sers un thé, on pourrait discuter un peu. » J'avais l'impression d'avoir à faire à un drogué que l'on souhaitait interner de force en désintoxication. D'une seconde à l'autre, c'était comme si des hommes en blouse blanche allaient débarquer pour se saisir de lui, pris dans un traquenard. Il avait son sourire moqueur aux lèvres. Ce n'était pas vraiment bon signe. Mon père lança un regard vers Andrew, étonné ou agacé ?
« Sans façon. Je ne me vois pas rester tant qu'un autre homme préfère occuper ma place. » Son regard et son sourire narquois collaient au visage, je savais que la conversation n'irait pas plus loin. Du moins pas dans le sens escompté. Je ne voulais pas encourager ce combat de coq.
« Bien. » Je rameutais quelques petits gâteaux sur la table d'un coup de baguette puis me rassit, déterminée à ce qu'Andrew suive mon geste.
« Reste assis Andrew, on peut discuter entre nous, ce n'est pas grave. » S'il voulait que nous l'ignorions, ce n'était pas un problème pour moi. Je le vis hésiter, la bouche entre-ouverte, ne sachant quoi faire face à cette situation.