Nous sommes le mardi 28 avril 1992. Anthony est issu de la célèbre famille de sorciers au sang-pur, les Scott. Jumeau d'Alice, cadet d'Andrew et Calvin, et aîné d'Angelo, Anthony vient tout juste de terminer ses études à Poudlard. Bien décidé à apprendre de nouvelles choses avant son entrée à l'université, il a pris une année sabbatique pour voyager sur le continent américain.
It's Saturday night ! I swear to God, I ain't ever gonna repent
Anthony était arrivé deux jours plus tôt au Brésil. Il ne faisait que pleuvoir mais les températures ne descendaient pas en-dessous de 24°C en journée, la nuit étant à environ 18°C.
Malgré la pluie, Anthony avait décidé de braver les intempéries pour se diriger vers une boîte de nuit qu’il avait repéré quelques heures plus tôt. Il était à Rio de Janeiro. C’était la saison basse pour le tourisme et les rues étaient assez tranquilles pour s’y balader. Anthony quitta sa cape de voyage en arrivant à l’entrée de la boîte, un lieu spécialement réservé aux sorciers, et usa de sa baguette pour sécher ses vêtements qui n’avaient que très légèrement attrapés la pluie.
La température était déjà élevée à l’intérieur, aussi Anthony retroussa les manches de sa chemise avant de se diriger naturellement vers le comptoir. Il était à peine 23h et pourtant la boîte était déjà pleine.
« A Velho Barreiro ! » annonça-t-il au serveur.
Découvert il y a peu par Anthony, il s’agissait d’un petit rhum blanc agricole, environ 45° d’alcool et l’une des boissons les plus populaires au Brésil. L’homme lui servit son verre et Anthony commença à regarder autour de lui.
Depuis quelques mois maintenant, il voyageait à travers le continent américain. Il avait tout d’abord commencé par les Etats-Unis sur les recommandations de son cousin, Kyle Scott. Il avait appris des choses étonnantes sur la magie noire. Après tout, il allait avoir bientôt 19 ans, et donc bien des choses encore à apprendre. Mais à présent, il était descendu en Amérique du Sud, curieux de savoir ce que des écoles comme Castelobruxo pouvaient offrir comme enseignement.
Il n’y avait cependant pas que ça qui l’intéressait. Après quelques clins d’œil charmeurs, une fille vint s’accouder au bar près de lui et commença à lui parler. Il connaissait bien quelques mots de portugais mais ce qui plaisait aux filles ici c’était quand il parlait anglais.
« Tu es très belle … »
La jeune femme haussa un sourcil. Elle ne devait pas avoir plus de 18 ans et surtout, elle n'avait pas du comprendre le sens de sa phrase. Aussi décida-t-il de reprendre en portugais :
« Você é muito bonita. »
Comprenant le sens de la phrase, elle se mit à glousser avant de se cacher la bouche dans ses mains. Anthony la regarda. Il n’avait jamais bien eu de relations à sa période de Poudlard, laissant cela à sa jumelle, Alice, qui avait un véritable don pour séduire et tromper. Mais Anthony devait avouer prendre du plaisir à ces relations charnelles et ce jeu de drague l’avait toujours fasciné et amusé.
Elle s’excusa avant d’indiquer une table qu’elle devait rejoindre car l’un de ses amis l’attendait avec les boissons.
« A plus tard, jolie fleur … » susurra-t-il.
Le rouge égaya ses joues et elle répondit à son tour avec un fort accent :
« A plus tard. »
Puis elle se retira pour aller plus loin. C’est alors qu’il la vit. Une véritable beauté exotique. Anthony déglutit difficilement en voyant une jolie brune s’approcher du comptoir. Elle ne le regardait pas, ne semblait même pas l’avoir remarqué en faites. Sa peau était parfaitement bronzée et ses yeux marrons semblaient reflétés l’innocence-même.
Elle commanda juste à côté de lui, ne le voyant toujours pas. Anthony s’éclaircit alors la voix et décida de se présenter :
« Boa noite, bela menina. »
Sa main se glissa vers celle de la jeune femme posée sur le comptoir et enfin elle posa un regard sur lui. Son sourire était éclatant et ses cheveux étaient sans doute ce qui faisait le plus son charme. Mais elle le corrigea aussitôt dans sa prononciation et dans l’utilisation du mot menina qui faisait plus référence à une petite fille, qu’à une femme.
Anthony ne se laissa pas prendre au dépourvu pour autant. Il avait fait une erreur, certes, mais il ne voulait pas laisser ce poisson s’échapper aussi facilement.
« Disons que c’était une façon de voir si vous parliez anglais ou non. J’ai donc ma réponse. »
Il ne se départit pas de son sourire alors qu’il payait les verres que la jeune femme avait commandés. Un geste élégant où il espérait séduire la jeune femme.
« Comment vous appelez-vous ? »
Il jugea le nombre de verres commandées.
« Vous êtes avec des amies ? Je peux peut-être me joindre à vous ? Je ne connais personne ici, encore moins qui parle anglais. »
Il pencha sa tête sur le côté, comme espérant se faire plaindre. Puis sa langue passa subtilement sur ses lèvres alors qu’il se levait pour la suivre. Son corps frôlait de nombreux corps chauds, enivrés par la danse et l’ambiance générale de la boîte. L’humidité de l’extérieur avait laissé place à la fièvre entêtante des corps qui s’entremêlaient les uns aux autres.
« Nous pouvons aussi aller danser, si vous préférez ? » dit-il en faisant tourner la jeune femme pour lui éviter un couple trop empressé de se trouver un coin tranquille.
Il rapprocha le corps de la jeune femme avant de déposer rapidement un baiser sur sa clavicule, un sourire mutin accroché aux lèvres alors qu’elle se retournait vers lui, comme s’il clamait son innocence alors qu’il n’y avait qu’à regarder son visage pour voir qu’il était coupable.
Saurait-elle résister à ses charmes ? Ou bien livrerait-il sa meilleure partie de séduction ?
Samedi 18 mai 2002
Anthony se servit un verre et le fit tinter contre celui de son père qui se réjouissait de sa présence. Leurs deux regards perçants balayaient la salle de réception du regard. Anthony savait que son père recherchait une fille pour lui, très bientôt un mariage arrangé serait prononcé. Bien qu’il le soupçonnait d’avoir déjà choisi quelqu’un sans qu’il ne lui en délivre encore le nom. Ce qui n’empêchait pas Anthony de regarder les filles qui se pressaient pour lui adresser un clin d’œil.
A l’heure d’aujourd’hui où la société des Sang-Purs se réduisait après la chute du Seigneur des Ténèbres, il était indispensable de choisir avec perspicacité son futur fiancé. Et à l’aube de ses 29 ans, il devenait encore plus un parti très prisé des jeunes femmes. Et il en jouait.
« Fais des envieuses, mon fils, mais rien d’inconvenant. »
« Vous me connaissez, père. »
Anthony lui lança un clin d’œil. Son père ne répondit pas mais s’éloigna pour aller saluer le directeur de département Flint comme s’il s’agissait d’un ami de longue date. En vérité, bien qu’ils se connaissent depuis de longues années, Arthur avait toujours été très méfiant envers les Flint, jouant les hypocrites devant eux mais surveillant toujours ses arrières. La fille, en revanche, de cet homme n’était pas dénué de qualités cependant. Blonde aux yeux verts, elle ne cessait de lui lancer des regards curieux. Il décida de s’avancer jusqu’à elle.
« Wynona Flint, c’est cela ? » demanda-t-il. « Enchanté. » répondit-elle d’un ton très poli. « Je suis ravie que vous veniez jusqu’à moi. » « Ah oui ? »
Il but une gorgée de sa flute, attendant la suite.
« Oui. Je me languissais de pouvoir un jour vous parler. » avoua-t-elle, fascinée. « Votre rêve est donc exaucé, chère Wynona. »
La jeune femme gloussa jusqu’à ce qu’une haute voix ne s’élève dans le dos d’Anthony. Ce dernier fronça les sourcils, commençant à se retourner.
« Je vous demande pardon, j’étais justement en train de … Thyra ? »
Thyra, la jeune brésilienne qu’il avait rencontré il y avait plus de 10 ans ! Par la barbe de Merlin, elle n’avait pas changé. Il s’approcha d’elle et prit sa main pour l’embrasser.
« Quelle agréable surprise de vous voir ici ! »
Il se tourna d’un air dédaigneux vers Wynona.
« Nous nous verrons plus tard. »
Et s’éloigna au bras de Thyra pour l’amener sur la piste de danse. Il n’avait pas vu la jeune femme depuis 10 ans et pourtant, elle lui avait fait forte impression autrefois. Elle avait ce regard si pur, si innocent, presque naïf. La voir ici le surprenait. Était-elle dans ce milieu de Sang-Pur ? Pourquoi ne l’avait-il pas su avant ? En même temps avait-il posé la question ? En Amérique du Sud, il avait totalement laissé de côté son influence de Sang-Pur ou même de Scott. Il était juste Anthony là-bas, tout comme elle était juste Thyra.
Mais en tout cas, dans ce milieu, il n’était pas conseillé de se montrer aussi démonstratif que dans une boîte de nuit brésilienne. Il fit la révérence devant la jeune femme avant de poser une main sur sa taille, une autre dans la sienne, et de commencer à la guider sur une valse.
« Puis-je savoir ce que tu fais ici ? »
A présent seul à seule sur la piste de danse, Anthony pouvait baisser le volume de sa voix et revenir au tutoiement qu’il utilisait autrefois avec elle.
« J’imagine que tu n’es pas celle que mon père recherche pour un mariage arrangé. Bien que tu sais que je ne serai jamais contre … »
Son regard s’attarda sur les courbes de la jeune femme, un sourire joueur accroché aux lèvres avant de la faire tourner.
It's Saturday night ! I swear to God, I ain't ever gonna repent Avec Anthony Scott ຊ Mardi 28 avril 1992
« Ok donc, deux vodkas, trois malibus et un bourbon, c'est ça ? » Mes amis et mon frère me firent signent que oui, et je pus ainsi aller au bar. Ça commençait à faire un moment qu'on était là, mais apparemment, nous avions toujours aussi soif ! Je posais mes avant-bras sur le comptoir, et je fis signe au barman : « Duas vodcas, três malibus, um bourbon e uma cachaça, por favor. Com uma bandeja. » J'avais demandé, pour ma part, un cachaça, une boisson à base de sucre. Et un plateau, pour tout porter ! Le temps que le barman serve le tout, je déviais mon regard sur les autres clients, à ma gauche. Heureusement, pas d'élèves de ma connaissance, pas même des anciens. Ça faisait une vingtaine d'années que j'étais ici, au Brésil, à jouer aux infirmières à Castelobruxo. J'aimais toujours autant faire la fête, mais de manière plus éloignée, genre, partir à l'autre bout du pays pour une nuit. Mais mon frère Mads était exceptionnellement là pour une nuit, dans ce coin-là, donc c'est dans cette boîte de nuit que nous faisions la fête. Dès demain, il repartirait pour d'autres aventures, pour quelques semaines, et je retournerai à mon infirmerie et mes recherches.
« Boa noite, bela menina. » Ah, un anglais dans le coin. Ça me fit doucement sourire, jusqu'à ce que je sente une main se poser sur la mienne. Je tournais alors la tête à droite, et je vis un brun me sourire. C'était donc à moi qu'il parlait ? Mais ses yeux pétillants disaient totalement autre chose. Je savais, je savais ce qu'il voulait. Lorenzo aussi l'avait voulu. Malheureusement pour eux, ils étaient loin d'être mon genre ! Après, est-ce que ça m'empêcherait de faire connaissance avec eux ? « Boa noite. Je suis ravie de voir que malgré ma puberté passée, vous me voyez comme une petite fille. » Un sourire amusé me monta aux lèvres, puis je me fendis d'une gentille explication : « Menina signifie petite fille, pour parler d'une femme, il vaut mieux dire mulheres. » Depuis combien de temps était-il ici ? Il semblait avoir un peu de vocabulaire, mais se trompait encore sur quelques bases, bien que la forme de la phrase soit juste. Sauf que son accent restait. « Disons que c’était une façon de voir si vous parliez anglais ou non. J’ai donc ma réponse. » Il se rattrapait bien, dis donc.
Je lui souris, mais mon regard fut détourné par le barman qui revint. « Suas bebidas. »« Muito obrigado.1 » J'étais en train de compter ma monnaie quand le jeune homme à côté de moi me devança. Je le remerciais d'un sourire. « Comment vous appelez-vous ? »« Thyra. » Je ne donnais volontairement pas mon nom de famille, je ne lui demandais volontairement pas son prénom non plus. Disons que je voulais voir jusqu'où ça pouvait aller. Il ne semblait pas s'en offusquer et me montra le plateau. « Vous êtes avec des amies ? Je peux peut-être me joindre à vous ? Je ne connais personne ici, encore moins qui parle anglais. » La tête sur le côté, il semblait m'implorer, mais je voyais son regard devenir joueur. Lui aussi semblait s'amuser, mais il ne se doutait pas pas que j'avais déjà gagné. « Nous sommes sept, oui. Des amis et mon frère. La plupart sont brésiliens mais parlent la langue de Shakespeare, ne vous en faites pas. » J'attrapais le plateau de boissons, et je commençais à me diriger à notre table, en regardant si ce bel inconnu me suivait.
Bien sûr qu'il me suivait, il me suivait même à la trace. Je sentais sa chaleur contre moi, et je me doutais qu'il se rapprochait. Par contre, je manquais de faire tomber le plateau quand le jeune homme me fit tourner sur place. Je fis immédiatement léviter le plateau pour sauver les boissons, et en regardant autour de moi, je compris qu'il avait voulu éviter que je cogne dans un couple. Bien sûr, il en profita pour rapprocher mon corps du sien. « Nous pouvons aussi aller danser, si vous préférez ? » Il déposa un baiser sur ma clavicule, et je retins un sourire moqueur. D'accord. Il se lança réellement dans une sorte de partie de séduction. Je m'en doutais déjà, mais tout se confirma. « Allons-y. » Je claqua mes doigts pour que le plateau rejoigne notre groupe d'amis, et nous, nous allions sur la piste de danse.
Généreuse, je le laissais attraper mon bassin pour qu'il puisse se coller à moi. Une sorte de danse très… Bon, pas érotique, mais presque, commençait. Ses mains caressaient la courbure de mon dos pendant que mes bras entouraient son cou. Si mon frère nous regardait, il aurait pu croire à un changement de bord de ma part. C'est vraiment l'image que je donnais en cet instant : celui d'une femme hétéro qui se laissait séduire par un anglais. Anglais qui, d'ailleurs, rapprocha son visage du mien pour m'embrasser. Mais je posais un doigt sur ses lèvres, pour le stopper. « Et si, avant, vous me donniez votre prénom ? Vous connaissez bien le mien. » Ou comment reprendre l'avantage sans perdre la partie. Je laissais ses mains sur mon corps, mais je ne voulais pas tellement que ça aille au-delà. Pour cela, je devais jouer finement.
« Anthony… C'est un nom anglais, non ? » Qu'est-ce qu'il venait faire au Brésil, hum ? Plutôt un voyage d'affaire, de recherches, ou tout simplement des vacances ? Je ne répondis pas quand lui-même me demandait l'origine de mon prénom. Je me contentais de lui sourire, et de poser mes deux mains sur ses joues, pour encadrer son visage. « Dites-moi, vous êtes un homme qui a toujours ce qu'il veut, non ? » Il en avait l'air, en tout cas. J'écoutais sa réponse, vaguement amusée, et l'arrivée de mon frère l'empêcha de refaire une tentative. « Je dois y aller, mon client est arrivé en avance. Je te vois dans un mois. »« Prends soin de toi. » Je lâchais le visage d'Anthony pour lui faire un geste de la main, en guise d'au revoir. Ce dernier me regardait, pas sûr d'avoir très bien compris ce qu'il s'était passé, et qui il était. « Je vous présente mon frère ainé, Mads, qui est une sorte de… Chasseur de trésors magiques ? » Au moins, cela me donnait une excuse pour interrompre cette danse, et le taquiner un peu plus. « Je vais vous apprendre à devoir attendre, alors… Venez. Il est temps de rejoindre mes amis, et d'aller boire un verre. » Je me défis de son emprise physique, et pris sa main pour l'entraîner derrière moi. Nous allions à ma table, et je le présentais à mes amis.
La soirée continua quelques heures. Le bel anglais prenait ses repères dans mon groupe d'amis. Charmant, enjôleur, il sut très vite se faire apprécier d'eux, et il semblait également passer une bonne soirée. Nous étions même passé du vouvoiement au tutoiement. Je sentis par moment sa main frôler ma cuisse, mais je ne disais rien, je me contentais de continuer de rire et de boire. Vers trois ou quatre heures du matin, une partie du groupe partit. Maria se tourna vers moi : « On se voit toujours demain soir ? »« Bien sûr ! Je t'attends avec impatience. » Elle me sourit. « Parfait. » Elle se pencha vers moi et m'embrassa, avant de repartir avec les autres. J'admirais ses courbes s'éloigner, avant de sentir le regard d'Anthony sur moi. Est-ce qu'il avait enfin compris ? « Je suis lesbienne. » Je m'étais tournée vers lui, avec un sourire mi-désolé, mi-amusé. « Je trouvais amusant de te tourner en bourrique. Tu ne m'en veux pas, j'espère ? »
ຊ Samedi 18 mai 2002
C'était tellement étrange de revenir en Angleterre. Avec Mads, nous étions revenus pour retrouver notre famille. Pour sauter le pas. J'essayais de me préparer psychologiquement, mais… Pas facile ! En attendant, pour retrouver nos marques, mon frère et moi, nous avions décidé de nous rendre à une soirée de Sang-Pur. A défaut de retrouver une famille, il fallait bien que nous retrouvions notre nom de famille ! Enfin, qu'on s'impose à nouveau. Et puis, peut-être que nous retrouvions Christian ? Ou, au pire, il entendrait parler de deux nouveaux Thorvaldsen, et il ferait le lien ? En attendant, je bavardais avec quelques personnes, en leur expliquant que j'avais postulé à Sainte-Mangouste, et que j'attendais des réponses. « Pour occuper votre temps, vous pourriez vous chercher un fiancé… Quelques noms sont très populaires, comme les Scott. Surtout Andrew, l'aîné, célibataire depuis des lustres, et son frère Anthony. »« Qui ça ? »« Vous ne connaissez pas les Scott ? J'oubliais que vous étiez étrangère. C'est une riche famille, avec de sombres secrets mais des partis juteux… Seul le statut de Calvin est encore indéfini. On raconte qu'il s'est fait trompé par sa fiancée, mais aucune rupture est officialisée. » Ouah, j'avais encore tellement d'anecdotes et d'histoires à rattraper… Il me faudrait des mois. Si je tenais vraiment à retourner dans ce milieu, il fallait que je retrouve les bottins de ces dernières années, pour me tenir au courant.
« En parlant du dragon… Tenez, regardez, vous avez Anthony qui parle à Wynona Flint. » Je me tournais vers la direction qu'on m'indiquais, et je sentis mon cœur faire un bond de surprise. Anthony, mais oui. Je l'avais rencontré au Brésil. Nous nous étions jamais donnés nos noms de famille, encore moins la pureté de nos sangs. Nous nous étions contenté de faire la fête. « On raconte que son père cherche à le marier. » Ouais, apparemment, il essayait de satisfaire son père. Il parlait avec une jolie blonde. « Si vous voulez bien m'excuser ? »« Vous allez essayer de vous emparer de lui ? » Je fis un sourire mystérieux. « Et pourquoi pas ? » Non, bien évidemment que non. Mais cela ne me dérangeait pas de créer de fausses rumeurs sur moi. Après tout, j'en avais l'habitude !
Je traversais la salle de bal, et j'entendis la fin de leur conversation grâce à mon ouïe vampirique. Cela pouvait être bien utile ! « Oui. Je me languissais de pouvoir un jour vous parler. » Oh, par Merlin, mais quelle était cette discussion ? « Votre rêve est donc exaucé, chère Wynona. » Il était aussi charmant que dans mes souvenirs. Dommage pour Wynona, je comptais bien briser ses espoirs. « Excusez-moi, vous êtes bien Anthony Scott ? » Il commença à se retourner, surpris qu'on l'interrompe dans sa discussion. « Je vous demande pardon, j’étais justement en train de … Thyra ? » Ah, au moins, il me reconnaissait. Il se souvenait de moi, alors que cela faisait plus de dix ans. Ça faisait vraiment du bien à l'ego. Il attrapa ma main pour me faire un baisemain. Sang-Pur, évidemment, je me laissais donc faire. « Quelle agréable surprise de vous voir ici ! »« Je suis flattée de voir que vous vous souvenez de moi. »
Anthony se tourna vers sa partenaire, et lâcha, un peu dédaigneusement : « Nous nous verrons plus tard. » Oh, pas cool. Et la jeune femme semblait penser la même chose, vu le regard qu'elle me lançait. Tant pis, c'était comme ça, je voulais retrouver mon ancien… Ami ? Est-ce que Anthony avait été un ami, ou juste un partenaire de fête et de drague pendant plusieurs semaines ? Ce dernier m'emmena sur la piste de danse. Il s'inclina devant moi, puis posa sa main sur ma taille. L'autre attrapa la mienne, et on commença à valser. Je retrouvais si rapidement des réflexes Sang-Pur que c'en était presque effrayant. La preuve, je me souvenais par cœur de pas que je n'avais pas fait depuis 70 ans.
« Puis-je savoir ce que tu fais ici ? »« Comme tu peux le voir, je suis venue danser. » Je savais que je ne pouvais pas le berner. Je me conduisais trop bien et ce, de manière naturelle, pour lui faire croire que j'étais une intruse. Non, à son regard, je vis qu'il avait compris que j'étais née dans ce milieu. « Je suis issue de la famille Sang-Pur danoise Thorvaldsen. Je ne sais pas si tu les connais. Je ne sais pas à quel point ils sont encore, ou non, dans les mondanités. Ça fait des années que je ne les ai pas vus. » Alors qu'on tournait, je vis, au loin, Mads parler avec d'autres jeunes femmes, dont celle qui m'avait raconté tous les déboires de la famille Scott.
« Quant à toi, il parait que tu cherches une épouse ? »« J’imagine que tu n’es pas celle que mon père recherche pour un mariage arrangé. Bien que tu sais que je ne serai jamais contre … » Son regard traînant sur mes courbes me fit sourire. Je le laissais me faire tourner, avant de lui adresser un air enjôleur, et de l'appeler par le surnom que j'avais déjà commencer à utiliser au Brésil : « Anthony chéri, j'ai au moins… Hum… Trois bonnes raisons de ne pas t'épouser. Tu en connais déjà une. » Le fait que j'étais déjà lesbienne, évidemment. Mais également le fait que j'étais une vampire. La dernière était plutôt deux raisons en une : le fait que je n'étais pas une vraie Thorvaldsen, et donc, par ce biais, pas une réelle Sang-Pur. « Je ne pourrais pas te donner d'enfants, et comme on ne couchera pas ensemble, tu passeras ton temps à me tromper, et je n'ai aucune envie de passer pour l'épouse incapable d'enfanter et de garder son mari. Sinon, je passerai pour l'horrible épouse qui te trompe avec des femmes, que tu as contracté un mauvais mariage, et j'ai envie de te protéger de ces propos. » Bien sûr, je me doutais qu'il savait se défendre lui-même, mais je préférais réellement prendre sa demande à la plaisanterie. Je savais qu'il n'était pas contre, mais je savais également qu'il savait flirter juste pour s'amuser. Au fond, n'était-ce pas quelque chose que nous faisions déjà au Brésil ?
La danse s'arrêta. Je m'inclinais légèrement, avant de retourner dans ses bras pour une nouvelle danse. C'était le moyen le plus simple de parler sans barrière sans réveiller les soupçons. « Alors. Anthony Scott ? Il paraît que ta famille est célèbre, remplie de bons partis. On m'a parlé de toi, d'Andrew et de Calvin. Mais ce qui m'intéresse plus particulièrement est si tu as des soeurs. » Je dis ça en plaisantant. Je ne pense pas que de jeunes filles Sang-Pur issues d'une famille aussi célèbres se laisseraient guider sur le chemin de la dépravation de l'homosexualité. « Comment tu occupes tes journées, quand tu ne cherches pas d'épouse ? » J'étais sincèrement curieuse de la réponse. Anthony avait toujours été une compagnie agréable. Si je devais rester en Angleterre, même sans famille, j'apprécierai sûrement d'avoir quelques soutiens, par ici. « Quant à moi, je cherche un travail de Médicomage à Sainte-Mangouste. J'ai un entretien dans quelques jours. » Finalement, Anthony avait apprit bien sur moi en quelques minutes, le temps d'une valse ; qu'en plusieurs semaines de fête continue.
Nous sommes le mardi 28 avril 1992. Anthony est issu de la célèbre famille de sorciers au sang-pur, les Scott. Jumeau d'Alice, cadet d'Andrew et Calvin, et aîné d'Angelo, Anthony vient tout juste de terminer ses études à Poudlard. Bien décidé à apprendre de nouvelles choses avant son entrée à l'université, il a pris une année sabbatique pour voyager sur le continent américain.
It's Saturday night ! I swear to God, I ain't ever gonna repent
« Allons-y ! » souffla-t-elle.
Le regard d’Anthony brilla en la voyant faire léviter le plateau jusqu’à une table plus loin. Mais il n’avait d’yeux que pour la jolie femme qui avait accepté de le rejoindre sur la piste de danse. Elle n’avait pas refusé. Au contraire, elle semblait apprécier les attentions qu’il lui accordait. Peut-être qu’elle était faite de la même étoffe que lui, à jouer de ces jeux charnels ? Peut-être qu’ils pourraient tous deux trouver leurs comptes en s’amusant ensemble ?
Ils se déplacèrent tous deux au centre de la piste de danse, pressés l’un contre l’autre, encouragés par les autres corps nombreux autour d’eux. Anthony posa une main sur son bassin pour l’attirer vers lui alors qu’elle commençait à se balancer au rythme de la musique. Le jeu de lumières au-dessus d’eux la rendait follement désirable. Anthony se mordit la lèvre lorsque les bras de la sorcière vinrent entourer son cou et qu’il commença à caresser son dos. Le tissu de son haut était tellement fin qu’il s’imaginait déjà le déchirer comme un sauvage sitôt qu’ils trouveraient un coin tranquille.
Elle ne le quittait pas des yeux, un sourire captivé sur ses lèvres. Ce qu’elle était belle. Anthony ne se rappelait pas avoir déjà croisé une beauté aussi hypnotisante qu’elle. C’était comme si elle possédait un charme, un don … Peut-être avait-elle du sang de Vélane ? Son père serait surement dégoûté d’apprendre que son fils avait fricoté avec une créature magique … C’était aussi contre ses principes … Mais comment résister quand on était à des milliers de kilomètres et qu’on était pris aux pièges par une beauté comme elle ? Il pencha son visage, prêt à céder à la tentation de lui arracher un baiser dès leur première danse.
Mais son élan fut stoppé lorsqu’elle posa un doigt sur ses lèvres. Il fronça les sourcils.
« Et si, avant, vous me donniez votre prénom ? Vous connaissez bien le mien. »
Un sourire apparut sur son visage. Elle voulait prendre son temps. Elle voulait comprendre. Elle voulait jouer.
« Anthony. » répondit-il. « Anthony… C'est un nom anglais, non ? » « En effet. »
Lui aussi était prêt à jouer. Elle voulait faire monter la tension. Il pouvait disputer cette partie. Il avait déjà vu sa jumelle à l’œuvre et n’était pas prêt à donner sa langue au Fléreur. L’une de ses mains descendit plus bas sur son bassin alors que son sourire se transformait en rictus.
« Mais je ne crois pas que ce soit la même origine pour votre prénom. » nota-t-il. « Thyra … Cela sonne plutôt nordique. »
Prêt à la surprendre, il la fit tournoyer au changement de rythme de la musique, écartant un instant les personnes autour d’eux, avant de ramener le corps de la jeune femme contre lui. Son souffle n’était même pas court, comme si elle n’avait pas besoin de reprendre son souffle, ou comme si elle faisait ça tous les jours … Anthony réprima un frisson alors que leurs visages étaient proches. Une avancée et leurs nez pourraient se toucher, et leurs lèvres pourraient se frôler …
Avec un sourire, elle posa ses deux mains sur ses joues, encadrant ainsi son visage.
« Dites-moi, vous êtes un homme qui a toujours ce qu'il veut, non ? » « Il ne m’a pas encore été donné de rencontrer quelqu’un ayant su résister à mon charme britannique. »
Il eut un sourire amusé. Son cœur battait dans sa cage thoracique, faisant vibrer – il était certain – le corps de Thyra. La tension était palpable. La musique était elle aussi assez équivoque. Les yeux d’Anthony brillaient alors que les mouvements de son bassin se calquaient sur ceux de sa partenaire. Leur danse fut cependant interrompue par un homme. Il posa une main sur l’épaule de Thyra, s’approchant d’eux pour être entendu par-dessus la forte musique de la boîte. Il était grand et son regard bleu transperçait n’importe qui croisait son regard. Anthony comprit rapidement qu’il avait affaire au frère que Thyra avait mentionné plus tôt. Ils avaient les mêmes cheveux bruns, la même façon de se mouver, avec grâce et élégance.
« Je dois y aller, mon client est arrivé en avance. » dit l’homme d’une voix grave. « Je te vois dans un mois. » « Prends soin de toi. » répondit la jeune femme en lâchant le visage d’Anthony pour lui adresser un au revoir.
L’homme sourit et jeta un lourd regard entre Anthony et Thyra avant de s’éloigner.
« Je n’ai pas l’impression de m’être fait un fan … » ricana Anthony. « Je vous présente mon frère ainé, Mads, qui est une sorte de… Chasseur de trésors magiques ? »
Mads et Thyra. Cela lui rappelait des prénoms à consonance nordique comme il l’avait déjà évoqué. Quant à son métier, cela était assez intriguant. Que chassait-il comme trésors ? Était-ce un code pour indiquer qu’il chassait de plus gros poissons ? La curiosité d’Anthony était éveillée et il désirait immédiatement en savoir plus sur ces deux individus.
« Tout cela est intriguant … » commenta-t-il. « Il va falloir m’en dire plus car vous et votre frère semblaient être bien plus que de simples touristes venus visiter le Brésil. Et je ne suis pas homme très patient. »
Il se moqua allègrement de son défaut, encore plus quand la jeune femme n’alla pas dans son sens :
« Je vais vous apprendre à devoir attendre, alors… Venez. Il est temps de rejoindre mes amis, et d'aller boire un verre. »
Le regard d’Anthony brilla d’excitation. La soirée n’était pas terminée. Elle faisait même que commencer ! Il la laissa le guider entre les corps excités, serrant sa main dans la sienne, alors qu’ils arrivèrent à une table avec plusieurs sorciers, hommes ou femmes. Anthony se présenta à eux alors que chacun était enthousiaste de lui serrer la main ou de poser un baiser au coin de ses lèvres. L’ambiance était chaude et Anthony prit rapidement ses aises, n’en oubliant pas Thyra qui s’était assise à côté de lui sur une banquette. Anthony prenait les verres qu’on lui servait et fut vite à l’aise avec le groupe. Ils passèrent rapidement au tutoiement. Certains s’embrassaient, et petit à petit le groupe s’éparpilla, passant chacun à d’autres activités plus divertissantes. Anthony laissait lui aussi sa main frôler la cuisse de Thyra, comme pour lui faire comprendre qu’il la désirait toujours autant. Même si leurs corps n’étaient plus pressés l’un contre l’autre, son aura était toujours aussi aguichante.
Il était tard … ou tôt le matin, quand la dernière personne se leva pour partir.
« On se voit toujours demain soir ? » demanda Maria en s’approchant de Thyra. « Bien sûr ! Je t'attends avec impatience. » « Parfait. »
Maria se pencha vers elle … et l’embrassa. Sur les lèvres. Thyra continuait de sourire en la regardant s’éloigner avec les autres.
« Est-ce … une pratique de ce pays ? » dit-il avec un petit sourire, bien qu’un doute se creusait soudain en lui. « Auquel cas, je suis volontaire pour nous dire au revoir tout de suite. »
Thyra esquissa alors un sourire.
« Je suis lesbienne. »
Le doute venait de prendre une valeur tout à fait définitive. Comment avait-il pu se tromper à ce point ? Il papillonna un instant des yeux, prenant le temps d’encaisser le fait.
« Tu t’es moqué de moi. » « Je trouvais amusant de te tourner en bourrique. Tu ne m'en veux pas, j'espère ? »
Il ferma les yeux et se pinça l’arête du nez. Habituellement, il détestait ça. C’était lui le meilleur. Lui, un Scott. Il ne se faisait jamais avoir. Il trompait les autres plutôt. Pourtant … étonnement …
« Non. »
Il sourit et rouvrit les yeux pour regarder la jeune femme. Elle était toujours diablement jolie. Elle l’avait bien eu, c’était vrai. Il avait eu raison de dire qu’elle était douée, et qu’elle avait voulu jouer elle aussi au départ. Cela plaisait à Anthony, encore plus qu’une idée d’inaccessibilité se formait dans son esprit. Il se pencha sur la banquette vers elle.
« Tu es sûr ? D’être lesbienne, je veux dire. Peut-être que tu peux tester avec moi et ça confirmera oui ou non ? »
Il avait un sourire amusé en disant cela. Avant même qu’elle lui réponde, il connaissait déjà la réponse. Mais ça l’amusait. Elle était définitivement inaccessible. La plus belle fille qu’il lui avait été donné de côtoyer … Il allait devoir entamer un sacré deuil pour s’en remettre.
Samedi 8 août 1992
Il faisait lourd cette nuit-là. Il était 4h du matin et il devait encore faire 24°C. Appuyé contre le socle en pierre qui supportait la statue du Christ à Rio de Janeiro, Anthony regardait Thyra échanger de longs baisers langoureux avec sa petite-amie. Mads changea alors de musique sur le poste radio qu’ils avaient emmené et Thyra se mit à tourner sur elle-même, enivrée par ce nouveau rythme. Anthony sourit et but une nouvelle gorgée de sa bouteille.
« Tu t’es isolé ? »
Anthony leva la tête vers Mads qui vint s’asseoir à côté de lui et trinqua avec lui, bouteille contre bouteille. Leurs chemises étaient ouvertes et leurs shorts étaient courts. Anthony ne se souvenait pas s’être habillé aussi légèrement de toute sa vie. Mais avec les records de chaleur que cette nuit atteignait, il ne pouvait envisager d’autres accoutrements. Pourtant, bientôt, il serait tenu de reporter des tenues correctes.
« … ou j’ai trouvé l’endroit parfait pour avoir une belle vue. » commenta Anthony, goguenard.
Mads leva les yeux au ciel et but à son tour une gorgée de sa boisson. En contrebas, la ville de Rio s’illuminait de milliers de lumière malgré l’heure tardive. Au loin, l’océan Atlantique faisait courir de petites vagues sur la plage. Un vent chaud soufflait et faisait dresser leurs cheveux sur leurs crânes. Anthony ne pourrait jamais oublier ces sensations. Il avait énormément apprécié son voyage en Amérique, encore plus ici, au Brésil. La compagnie de Mads et Thyra y étaient pour quelque chose, tout comme la rencontre qu’il avait faite à Castelobruxo. Il avait fait d’énormes progrès pour contrôler sa Légilimencie et s’en servir. Ce qui était étonnant, c’était qu’il ne s’en était quasiment pas servi sur Mads et Thyra. Ceux-ci ne lui avaient pas révélé tous leurs secrets mais Anthony considérait que cela participait au mystère qui les entourait. Et puis, il avait eu d’autres choses à penser pour négliger ses recherches à leurs sujets.
La petite-amie de Thyra s’éloigna pour rejoindre le reste du groupe plus loin alors que Thyra tombait avec grâce entre Mads et Anthony. Elle attrapa la bouteille de ce dernier et en but une longue gorgée. Anthony sourit en la voyant faire et passa un bras par-dessus ses épaules, en bon camarade.
« J’imagine que tu ne t’es toujours pas décidée à changer de bord ? » susurra-t-il.
C’était devenu un jeu pour lui, de la taquiner sur son orientation sexuelle. Il avait compris avec le temps qu’elle refuserait toujours. Mais cela ne l’empêchait pas de s’amuser à essayer. Thyra avait été une compagne incroyable. Ils s’étaient revus en journée, en soirée. Elle lui avait fait découvrir plusieurs endroits funs. Il fallait croire qu’ils ne se voyaient que pour s’amuser. Il n’y avait jamais rien de sérieux. C’était comme si, ensemble, ils relâchaient toutes leurs responsabilités et décidaient de se voir uniquement pour déconner et profiter.
« Bon, je crois que c’est le moment pour moi de vous laisser. »
Mads se remit sur pied sans mal et rejoignit le groupe, laissant Anthony et Thyra seuls.
« Tu sais, tu pourrais envisager de me donner un petit baiser d’adieu … » continua-t-il, son visage près de la jeune femme.
Il eut un sourire triste et baissa les yeux. Le vent chaud vint soulever les cheveux bruns de Thyra et son parfum parvint aux narines d’Anthony. Comment faisait-elle pour être toujours aussi parfaite en toutes circonstances ?
« Je m’en vais. » annonça-t-il, plus sérieux. « Demain. »
Il retira mon bras de l’épaule de Thyra et vint pianoter avec ses doigts sur la bouteille qu’il avait récupéré.
« Je déteste les adieux, c’est pour ça que je ne te l’ai pas annoncé plus tôt. »
Il eut un sourire amusé, comme pour cacher sa peine. Il avait vraiment passé d’excellents moments avec la jeune femme et la perspective de lui dire au revoir le peinait bien plus qu’il n’aurait voulu l’admettre.
« Il est temps pour moi de retrouver mon monde. En Angleterre. » répondit-il aux questions de Thyra. « Si jamais … tu passes là-bas, viens me dire bonjour. »
Il sourit et se pencha vers le visage de Thyra. Sa main se posa sur sa joue et son pouce vint faire des petits ronds. Leurs front se touchèrent. Il n’avait jamais eu de rapports comme ceux-là avec qui que ce soit, surtout pas avec une femme. Mais Thyra avait été différente à tout point de vue. C’était simple, quand il se voyait dans son regard, il avait l’impression d’être l’homme qu’il aimerait être. Elle le voyait comme quelqu’un de bon. Quelqu’un pouvant faire le bien. Elle avait ce regard si doux à son encontre qu’il aurait rêvé de l’accompagner n’importe où elle l’aurait emmené.
« Dis-moi ton secret. » murmura-t-il.
Ils semblaient être comme dans une bulle. Le groupe étendu sur l’herbe un peu plus loin les ignorait totalement, parlait et riait ensemble. La musique du poste radio résonnait toujours mais personne ne semblait l’écouter, comme un bruit de fond. Le ciel semblait s’éclaircir en face d’eux mais le lever du soleil ne serait véritablement que dans une heure encore.
« Je sais que tu en caches un. Et je ne te reverrai sans doute jamais. Alors dis-moi, quel est ton secret, lindo* Thyra ? » * Belle en portugais
Il ouvrit les yeux, plongeant ses yeux noirs dans ceux marron de la jeune femme.
Samedi 18 mai 2002
Son regard avait brillé en entendant le nom d’une des familles les plus célèbres du monde sorcier nordique : les Thorvaldsen. Thyra était donc issue de cette famille ? Sa curiosité autrefois enfouie était d’un seul coup ravivée. Cela expliquait certaines choses tandis que d’autres demeuraient floues. Ils s’étaient sans doute naturellement rapprochés au Brésil car attirés par le même monde duquel ils étaient issus. Mais pourquoi être resté aussi longtemps à l’écart de sa famille ? Et pourquoi personne n’avait-il mentionné son nom, à elle et son frère ? Anthony était plus qu’intrigué et se promit de faire des recherches très bientôt.
Il y avait bien sûr une raison qui expliquait pourquoi elle s’était éloignée de sa famille …
« Anthony chéri, j'ai au moins… Hum… Trois bonnes raisons de ne pas t'épouser. Tu en connais déjà une. » « Ton orientation sexuelle ne m'a jamais posé aucun problème, tu le sais … » susurra-t-il.
Il serra sa main dans la sienne tandis que son autre main, posé sur la hanche de Thyra, jouait avec un volant de sa robe. Dix années plus tôt, leur danse était d’un tout autre genre et à cette pensée, Anthony sourit.
« Je ne pourrais pas te donner d'enfants, et comme on ne couchera pas ensemble, tu passeras ton temps à me tromper, et je n'ai aucune envie de passer pour l'épouse incapable d'enfanter et de garder son mari. » asséna Thyra d’une réalité cruelle. « Sinon, je passerai pour l'horrible épouse qui te trompe avec des femmes, que tu as contracté un mauvais mariage, et j'ai envie de te protéger de ces propos. »
Il se mordit l’intérieur de la joue, contrarié. Il détestait cette idée et bien sûr, il avait envie de réfuter chacun de ses arguments. Faire de Thyra sa femme aurait été quelque chose de parfait. C’était simple : ils s’étaient si bien entendus des années auparavant. Quand il plongeait ses yeux dans les siens, il avait l’impression d’être un homme si bon, si généreux, si attentionné. Jamais il ne pourrait être l’homme qu’elle voyait. Peu après avoir quitté le Brésil et entamé ses études à l’UMS, il avait plongé dans une vie de débauche et de magie noire, en rejoignant les rangs des Mangemorts et en participant à des crimes atroces. Il était parfois encore hanté par ce qu’il avait fait … et qu’il continuait à faire. Mais il le faisait pour la famille. Pour son frère. C’était important de préserver la famille et ses intérêts. La fin justifiait les moyens.
Naturellement, il ne doutait pas que Thyra n’était pas de cet avis. C’était sans doute l’une des autres raisons pour lesquelles elle n’était pas restée auprès de sa famille. Mais peut-être que si elle acceptait de devenir son épouse, elle pourrait retrouver sa place auprès d’eux ? Peut-être qu’Anthony tournerait le dos à Angelo ? Peut-être qu’ils trouveraient un moyen d’avoir un enfant ? Peut-être qu’ils sauraient se montrer discrets pour vivre leurs vies comme ils l’entendaient ?
La danse se termina et interrompit le fil des pensées d’Anthony. Il s’inclina à son tour devant Thyra avant d’entamer une nouvelle danse avec elle.
« Alors. Anthony Scott ? » reprit-elle, intriguée. « Il paraît que ta famille est célèbre, remplie de bons partis. »
Anthony ricana.
« Le seul bon parti est évidemment moi. » « On m'a parlé de toi, d'Andrew et de Calvin. » « Oui, c’est ce que je disais, le meilleur parti reste toujours devant toi. »
Thyra ignora sa plaisanterie, pressée d’arriver au point crucial.
« Mais ce qui m'intéresse plus particulièrement est si tu as des soeurs. »
Anthony rit doucement. Il était assez inconvenant de rire à gorge déployée, déjà que les personnes autour d’eux devaient déjà spéculés en les voyant danser deux danses de suite ensemble.
« Je doute qu’Alice se laisse guider sur un tel chemin. » répondit-il.
A nouveau, il se mordit l’intérieur de la joue. Il laissait volontairement de côté Ayana. Comme toujours. Après tout, elle avait été reniée et n’était plus censée exister parmi les Scott. Et puis, il valait mieux pour elle que ce soit ainsi. Elle était en sécurité.
« Comment tu occupes tes journées, quand tu ne cherches pas d'épouse ? » « Tu me connais, dépravé comme je suis. »
Il se moqua, retrouvant avec joie les fossettes du visage de Thyra qui se creusaient quand elle souriait. C’était impressionnant comme elle n’avait pas pris une seule ride en dix ans. Quel était son secret ?
« J’ai hérité d’un domaine en Ecosse. Je suis occupé à le faire rénover, une pièce après l’une. Tu pourrais t’y installer d’ailleurs ? Je peux sans problème demander à ce qu’on te prépare une chambre. Ton frère aussi, s’il t’accompagne ? »
Il balaya la salle du regard à la recherche de Mads qu’il ne vit pas.
« Autrement, j’ai obtenu un poste à l’école de Poudlard, tu dois connaître ? Tu y avais étudié ? » reprit-il. « Ils m’ont embauché comme professeur-stagiaire en Runes. En septembre, je prendrai officiellement le poste. »
Il bomba le torse, rayonnant de fierté à l’idée d’avoir ce poste de titulaire. Il savait cependant qu’il le devait avant tout à Andrew, son aîné. Parfois, celui-ci savait se montrer bien utile.
« Quant à moi, je cherche un travail de Médicomage à Sainte-Mangouste. » répondit Thyra. « J'ai un entretien dans quelques jours. » « Médicomage ? »
Il écarquilla les yeux, admiratif. Il connaissait ses talents pour la Médicomagie déjà au Brésil et il ne doutait pas qu’elle avait sans doute acquis encore de nouvelles compétences.
« L’hôpital serait fou de ne pas t’embaucher. » dit-il avec un sourire sincère.
Il était même prêt à demander à Andrew d’appuyer sa candidature. Après tout, elle était un élément important pour l’Angleterre et … si cela pouvait la convaincre de rester …
« Dois-je comprendre que tu vas poser un temps tes valises au Royaume-Uni ? » sourit-il.
Il haussa un sourcil intrigué, un sourire joueur non loin tout de même. La perspective que Thyra revienne dans le coin le mettait sincèrement en joie. Il avait passé tant de moments en sa compagnie ! Et la façon dont elle le regardait autrefois lui manquait. Ses grands yeux marrons lui manquaient.
« Anthony. »
La voix de son père le ramena brusquement au reste du monde. La musique s’était arrêtée et les musiciens s’apprêtaient à entamer une nouvelle valse. La main lourde d’Arthur Scott se posa sur son épaule et il lâcha automatiquement Thyra, comme si c’était le signal d’arrêter les bêtises. Il était évident qu’il aurait été inconvenant de poursuivre une troisième danse avec la jeune femme et c’était sans doute pour cela que son père était ici.
Les regards des deux Scott se croisèrent. L’espace d’un instant, Anthony lut l’avertissement dans les yeux de son père. C’était un court moment, mais Anthony savait reconnaître ce genre d’alarme, car soudain, Arthur Scott afficha un large sourire sur son visage. Riant, ses yeux se réduisant à deux petites fentes sur son visage âgé, il se tourna vers Thyra et attrapa sa main entre les deux siennes.
« J’ai pu vous observer tous deux depuis le bord de la piste. Vous êtes une cavalière remarquable, miss ... ? » « Miss Thorvaldsen. » répondit Anthony.
Il plaça ses deux mains dans le dos, redressant le buste et s’inclinant légèrement pour présenter sa cavalière, se rappelant ses bonnes manières.
« Miss Thyra Thorvaldsen et moi-même nous sommes rencontrés il y a des années au Brésil. » indiqua-t-il à son père. « C’est une brillante sorcière qui exerce brillamment la Médicomagie. »
Il adressa un sourire sincère à son amie et son père tapota la main de la jeune femme.
« Ravi de faire votre connaissance, miss. » sourit son père.
Ainsi proche, il était évident de voir la ressemblance entre les deux hommes. Malgré son physique âgé, Arthur et Anthony avaient le même sourire mesquin. A cette idée, les deux hommes se regardèrent et échangèrent un nouveau sourire.
« Je suis navré de devoir vous enlever votre cavalier, miss, mais j’espérais présenter à mon fils la jolie Daphné Carrow qui vient de revenir de son voyage en Australie. »
Il appuya son regard sur son fils, comme un signe évident qu’elle était un très bon parti pour lui. Anthony se racla la gorge. Il était plutôt contrarié de devoir écourter sa discussion avec Thyra mais il savait qu’il ne devait en aucun cas décevoir son père. Ils avaient plutôt su retrouver une certaine complicité ces derniers mois après la révélation du secret d’Ayana et avec l’organisation de ses fiançailles. Autant ne pas tout gâcher maintenant.
« J’espère que vous m’accorderez une dernière danse avant la fin de cette soirée. »
Il avait repris le vouvoiement de circonstance et avait posé une main sur sa hanche pour embrasser sa joue. Il savait que son père allait tiquer à ce geste de proximité mais il ne pouvait laisser son amie ainsi. Un sourire en coin, il se recula, laissant son père effectuer un baise-main à Thyra avant de s’éloigner avec lui.
Daphné serait-elle l’élue ?
Mardi 2 juillet 2002
Anthony n’était pas mécontent de voir son pied toucher terre après plusieurs heures de voyage en bateau. La compagnie du fantôme de Barbe-Bleue n’était guère des plus accueillante et, à cette époque de l’année, il avait été le seul passager à voyager vers l’école de Durmstrang. L’année scolaire s’était terminée, comme à Poudlard, vendredi dernier. Aussi, la Citadelle était un château vide à présent. Vide ? Pas totalement. Lors de cette première semaine de juillet, les professeurs étaient invités à revenir pour nettoyer et vider leurs salles avant la fermeture estivale.
Bien qu’Anthony se soit déjà rendu à l’école de Durmstrang dans le passé – son père avait pensé l’y inscrire pour lui permettre de forger son propre caractère en-dehors de ses frères aînés et la famille avait des connaissances enseignant dans ce château – il redécouvrait l’école pour la première fois. Dès lors qu’on quittait Durmstrang, chaque personne était soumise à un sortilège d’Amnésie pour oublier l’emplacement de cette école.
Anthony avança sur le porc et commença à monter au sommet de la Citadelle, resserrant son manteau autour de lui. Le vent frais de la mer du Nord soufflait et les températures ne dépassaient pas les 15°C.
Le château était bien plus petit que Poudlard, bien que le domaine s’étendait sur plusieurs hectares. Il n’était pas rare, lors de l’arrivée des beaux jours, que les élèves parcourent les lacs et montagnes à balai pour tuer le temps. Pourtant, le rythme à Durmstrang était assez raide, il n’y avait pas de temps pour badiner. Mais ce qu’Anthony préférait dans cet Institut, c’était qu’il était interdit aux Nés-Moldus. Enfin une école qui savait prendre les bonnes décisions ! Le sortilège d’Amnésie et l’interdiction formelle aux personnes fréquentant les Moldus étaient des recommandations parfaites pour protéger le monde des sorciers.
« Nom d’une Gargouille ! Anthony Scott, n’est-ce pas ? »
Anthony sourit en reconnaissant la voix de son ancien camarade.
« Nicholas ! Comment tu vas ? »
Il allait à la rencontre de l’homme, à l’entrée des portes du château et lui donna une accolade. Nicholas était grand, dépassant d’une bonne tête Anthony. Ses cheveux d’un blond platine n’avaient pas perdu leur éclat de leur jeunesse et des lunettes étaient à présent venues cacher ses yeux si bleus.
Nicholas Pettersen (Henrik Holm)
« Qu’est-ce qui t’amène par ici ? » demanda Nicholas, avec cet accent bien marqué du Nord. « Eh bien … disons que j’effectue des recherches. »
Un sourire coquin se ficha sur le visage d’Anthony. Nicholas et lui venaient du même milieu et ils avaient cette habitude de se renseigner sur des personnes ou des endroits. Un sorcier de Sang-Pur utilisait toujours ses connaissances pour en savoir plus sur ceux qui l’approchaient. Et en l’occurrence, Anthony avait besoin de renseignements sur Thyra.
Le lendemain du bal, après une rencontre des plus agitées avec Drusilla Lloyd, Anthony s’était à nouveau interrogé sur ce qu’avait laissé entendre Loki. A demi-mots, il avait posé de drôles d’affirmations dont Anthony avait bien du mal à faire le lien entre elles. Loki s’était même moqué de lui ! Et Thyra était restée si vague … Dix ans plus tôt, Anthony se souvenait très bien que la jeune femme gardait en elle un secret et si à ce moment-là, il lui avait au final peu importé de le savoir, aujourd’hui, il sentait que cela devenait vital. Thyra était de retour en Angleterre, dans sa vie, dans son monde. La guerre était passée entre eux et Anthony avait vécu de nombreuses choses qui l’avaient changé à jamais. Encore aujourd’hui, une nouvelle guerre se préparait. Et Anthony devait savoir si Thyra était véritablement son amie … ou une personne dont il allait devoir se méfier.
« Thyra Thorvaldsen, le nom te dit quelque chose ? »
Nicholas secoua la tête.
« Elle m’a dit qu’elle avait étudié ici et si je n’ai pas les dates en tête, je dirai qu’elle était dans nos âges. » « Non, ça ne me dit rien. Mais tu devrais demander à Dimitri Bogdanov. Il est au 2ème étage, dans sa salle de Magie Noire. »
Anthony le remercia et après quelques échanges de banalités, il grimpa les escaliers. Enivré par ce besoin de vérité, il ne s’attarda guère sur la décoration des lieux et alla directement dans la salle indiquée. Un professeur d’une quarantaine d’années faisait léviter les tables de sa salle pour les empiler dans un coin. Anthony donna deux coups contre le bois de la porte pour manifester sa présence.
« Professeur Bogdanov ? » demanda-t-il. « Bonjour, je suis Anthony Scott, le fils d’Arthur Scott. »
Il était préférable de se présenter ainsi en rappelant ses origines. A Durmstrang, c’était un bon moyen de comprendre qui il était et l’influence qu’il pouvait avoir. Le professeur leva la tête en regardant Anthony, avant de se redresser en entendant son nom.
« Anthony Scott, quel hasard ! Vous regrettez de ne pas avoir étudié chez nous, c'est pour cela que vous venez nous rendre visite ? »
Dimitri Bogdanov (Noel Fisher)
Tout en parlant, il s'approcha de lui pour lui serrer la main. Anthony rit.
« Quelque chose dans ce goût-là, professeur ! » dit-il en lui serrant vigoureusement la main. « Que puis-je faire pour vous ? » « Eh bien … Je cherche des informations sur une personne. Elle aurait étudié ici il y a environ 15 ans. Nous sommes du même âge en faites. Je pense que vous avez pu la connaître. Elle s’appelle Thyra Thorvaldsen. »
L’homme fronça les sourcils.
« Thyra Thorvaldsen, vous dites ? Le nom me dit quelque chose, mais elle n'a pas été mon élève. Ce qui est surprenant, sachant que j'ai eu toutes les classes depuis 20 ans. »
Il prit un moment pour réfléchir, peu sûr de lui.
« J'ai eu Bjørn, Anthon, Cathinka… Mais pas Thyra. » « Vous êtes certain ? » « Il y a 15 ans, vous dites ? Vous êtes sûr de vous ? »
Anthony ouvrit la bouche pour répondre mais hésita. Non, il n’était pas certain. Il n’avait aucune idée de l’âge que Thyra pouvait avoir mais il lui avait toujours semblé qu’ils étaient du même âge, bien que contrairement à lui, elle n’avait pas été aussi affectée par le temps ces dix dernières années.
« Je … pense … Peut-être que c’est plus vieux ? » hasarda Anthony. « Je peux peut-être demander à un autre professeur ? Le professeur Têtenscrout enseigne-t-il encore ? » « Il n'enseigne plus non, mais il vit encore dans le château. Il a fêté ses 107 ans il y a quelques temps, n'ayant pas eu d'enfants, il n'a plus de famille… Mais il garde un souvenir impérissable de chacun de ses élèves. Il saura sûrement vous en dire plus que moi. A cette heure-ci, il doit se trouver dans son ancien bureau. On n'a pas eu le cœur de l'en déloger. »
Anthony sourit, imaginant le vieux croûton accroché à son bureau.
« Merci professeur. »
Il s’inclina respectueusement et se dirigea vers la salle d’Histoire de la Magie. A son souvenir, elle se trouvait un étage plus haut. Le couloir était vide. Quelques fantômes flottaient ici, faisant grand bruit. Mais il ne semblait rien y avoir de vivant à l’horizon. Même le couloir semblait s’assombrir, comme un couloir menant à la mort.
Anthony frappa trois coups à la porte en bois de la salle indiquée quand une voix grinçante lui répondit.
« Oui ? Qui le demande ? »
Anthony actionna la poignée et jeta un regard à l’intérieur avant d’entrer.
« Professeur Têtenscrout ? » demanda Anthony, ne voyant aucune silhouette dans la pénombre de la salle. « J'espère que c'est important. Je suis en train de trier de vieux dossiers. »
C’est alors qu’Anthony le vit. Un homme sortit de la pénombre. Il faisait léviter au-dessus de lui de vieux grimoires qu’il semblait presser de ranger sur les étagères à plusieurs mètres de haut au-dessus de lui. Il ne lui restait presque plus de cheveux sur le crâne et sa peau était semblable à un parchemin. Pourtant, il semblait encore vigoureux, marchant sans aide avec vivacité.
Ivar Têtenscrout (Mickey Rooney)
« Professeur … Je me présente, je suis Anthony Scott, professeur à Poudlard, en Angleterre, et je fais des recherches sur la famille Thorvaldsen. Sur deux de ses membres en particulier. Thyra et … Mads. »
Anthony s’approcha de l’homme, le suivant alors qu’il rangeait ses grimoires. Son visage s'éclaira en entendant les deux noms.
« Thyra et Mads ? Oh, oui, je me souviens très bien d'eux ! Ils faisaient partie de mes élèves préférés. Vifs, intelligent. Mads prenait plaisir à toujours répondre avant tout le monde, cela avait un côté agaçant et fascinant. Thyra était passionnée par l'histoire des femmes, et plus particulièrement de leurs droits. »
Anthony sourit en imaginant parfaitement le frère et la sœur à Durmstrang. Ils étaient tels qu’il les connaissait.
« Cela ne m'étonnait pas, au vu des rumeurs qui couraient sur elle. »
Anthony fronça les sourcils.
« Des rumeurs dites-vous ? » « On racontait dans les couloirs que son père voulait la marier dès sa sortie d'école parce qu'elle était homosexuelle. »
Ah … oui. Ce genre de rumeurs.
« A la fin des années 20, dans le milieu Sang-Pur, ça ne passait pas, loin de là ! » compléta le professeur. « Comment ? » s'étonna Anthony.
Quelle date avait-il sorti ? Anthony avait-il mal entendu ou bien … ?
« Vous avez parlé des années 20 ? Comme les années 1920 ? » « Bien sûr les années 20 ! Elle était née en 1914, ou 1915, je ne sais plus. Et elle est entrée à l'UMS dans les années 1930. »
Il marqua une pause pour se tourner vers ses photos accrochées aux murs. Il sembla chercher quelqu'un des yeux, avant que son visage ne s'éclaire.
« Ici, vous avez Mads. Venez voir, ne soyez pas timide ! »
Il désigna un adolescent aux cheveux noirs. C’était Mads. Le même que celui qu’Anthony avait fréquenté au Brésil et qu’il avait revu récemment. Il était à peine plus jeune qu’actuellement. Malgré le fait que la photo soit en noir et blanc, on devinait sans mal ses yeux bleus et son sourire goguenard était déjà fiché sur ses lèvres.
« Il avait du succès auprès des femmes. Il était l'héritier de sa famille. » conta le professeur, fasciné par son histoire avant de désigner une photo à côté. « Là, vous avez sa sœur, Thyra. Regardez comme elle fusille Victor Vedmak du regard ! »
Anthony s’approcha et déglutit difficilement. Thyra. Ses cheveux bruns étaient bouclés à la mode de l’époque. Elle était élégante mais semblait d’un tout autre genre vêtu ainsi. Que cela signifiait-il ?
« Elle détestait sa manière de parler des femmes. » continuait le professeur. « Elle lui a pardonné un an plus tard, quand la mère du jeune homme est décédée sous les coups de son père. L'affaire a été étouffée, bien sûr, mais elle l'a aidé à tenir le rythme scolaire toute l'année. »
Anthony fronça les sourcils, intrigué par le temps utilisé par le professeur.
« Vous parlez au passé … comme s’ils n’étaient plus là. »
Le professeur Têtenscrout soupira, rempli de nostalgie.
« J'ai été très triste d'apprendre sa mort, et celle de Mads, en 1933. C'était la seule femme à suivre un cursus pour devenir Médicomage, et non infirmière. Une révolution. Beaucoup la décriait, y compris son propre petit frère, Christian, même bien après leur mort. » « Je ... Je suis assez surpris. » répondit Anthony, confus. « Je pensais les avoir vu ... Mads et Thyra... il y a 10 ans de cela. »
Le professeur croisa son regard et Anthony n’eut pas besoin de lire dans son esprit. Il disait la vérité. Du moins celle qu’il croyait. Anthony n’avait pas rêvé : il avait bien passé plusieurs mois avec Thyra et Mads. Alors qui étaient-ils ? Ou plutôt qu’étaient-ils ?
« … J’ai dû confondre. » répondit Anthony en secouant la tête. « De quoi sont-ils morts au juste ? »
Le professeur prit un moment pour réfléchir.
« Ils sont morts durant une attaque des partisans de Grindelwald, en Russie. Nous n'avons jamais eu beaucoup de détails sur leur décès en particulier, mais des articles de journaux de l'époque doivent être plus explicites. Ils sont à la bibliothèque de notre école, mais je crains qu'ils ne soient en russes. »
Anthony hocha la tête. Il faudra qu’il pense à aller jeter un œil aux archives de l’école.
« Et... Vous parliez de Christian. Ils avaient donc un autre frère ? » « Christian, oui, c'est leur petit frère. » répondit-il avec enthousiasme. « A leur mort, il est devenu l'héritier de la famille, alors que c'est le dernier-né. Il vit au Danemark, avec sa femme, alors que leurs enfants vivent en Angleterre. Il a une petite-fille, je crois. J'avais hâte de la rencontrer, mais elle est scolarisée à Poudlard. Peut-être est-elle l'une de vos élèves ! »
Le nom de Margrethe Thorvaldsen s'imposa dans son esprit et il eut un sourire alors que le professeur riait.
« C'est comme ça que vous connaissez les noms de Thyra et Mads ? Après tout, ils sont morts bien avant votre naissance. » « Oui. » confirma Anthony, ne voulant pas en dire plus « C'est cela. Tout à fait. Elle est ... Passionnée d'histoire. Comme vous. »
Il sourit espérant flatter le professeur.
« Une très bonne élève. J'essaierai de la convaincre de me suivre dans un prochain voyage ici. »
Le professeur rit à nouveau et Anthony estima qu’il était temps de prendre congé.
« Je vais vous laisser à votre tri annuel, professeur. Merci énormément pour vos précieuses informations. »
A nouveau, il s’inclina et le professeur le salua poliment avant de retourner à ses grimoires, comme s’il n’avait jamais été interrompu. De retour dans le couloir, Anthony marqua un temps de pause. Il s’appuya contre un des murs froids et sombres et se laissa glisser au sol. Abattu. Jamais encore il n’avait ressenti autant d’abattement. Jamais encore il ne s’était fait surprendre de la sorte. Les nouvelles qu’il venait d’apprendre le chamboulaient de toutes les manières qui soient et il avait besoin de faire le tri.
Mads et Thyra … deux Thorvaldsen nés dans les années 1910. Morts mystérieusement dans les années 1930. Des physiques inchangés. Le temps n’avait aucune prise sur eux. Une grâce naturelle dans leurs mouvements. Les doigts froids de Thyra sur sa peau. Les raisons qu’elle avait évoquées pour ne pas l’épouser. La famille lointaine qu’elle était venue retrouver. La soif sanguinaire évoquée par Loki. Les crocs qu’elle pouvait planter …
Anthony releva la tête.
« Des vampires. »
Vendredi 5 juillet 2002
Assis dans un fauteuil, Anthony feuilletait la dernière Gazette du Sorcier, un sourire amusé aux lèvres.
« Monsieur. »
Anthony ne leva même pas la tête de son journal en entendant la voix d’un de ses elfes de maison.
« Monsieur, miss Thorvaldsen est là. » « Fais-la entrer. »
L’elfe de maison s’inclina et revint quelques instants plus tard. Anthony leva les yeux en entendant les talons de Thyra taper sur le parquet du petit salon où il l’attendait. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Il ignorait si c’était le fait de la revoir, aussi belle qu’au premier jour, ou bien si c’était la confrontation qui s’apprêtait à venir. Il essaya de ne pas se raidir lorsqu’elle le prit dans ses bras. Comment avait-il fait pour ne pas s’en rendre compte plus tôt ? Essayant de retrouver son sourire de façade, il l’invita à s’asseoir sur le fauteuil. Pourtant, il savait qu’elle avait remarqué son air un peu tendu.
« Les élèves m’ont épuisé ces dernières semaines. Je vais bien avoir besoin des vacances d’été pour me remettre. » répondit-il, espérant donner cette excuse.
Il ne voulait pas aborder le sujet directement même si ce n’était pas son genre à tourner autour du pot.
« Du thé ? » demanda-t-il.
La phrase de Loki lui revint en tête au même moment où il prononça cette phrase : « Il faudrait trouver une boisson apte à combler sa soif… sanguinaire. ». Son regard croisa les yeux marrons de la jeune femme. Mettait-elle des lentilles ? L’avait-elle dupé durant tout ce temps ? Comment avait-il fait pour ne pas le comprendre ? Elle avait joué avec lui sur son orientation sexuelle dès le départ, mais caché quelque chose d’aussi gros ? Joueur, Anthony voulait aussi tenter sa chance : et s’il pénétrait dans son esprit ?
« Alors, qu’as-tu fait de ta semaine ? » poursuivit-il, espérant la faire parler. « As-tu décroché ce job à l’hôpital ? »
La jeune femme se lança dans de vives paroles enflammées sur les péripéties de sa semaine. Anthony la regarda, hochant la tête, et commençant à se concentrer. S’il arrivait à voir quelque chose en surface … quelque chose qui lui confirmerait ses soupçons … quelque chose qui …
La voix de Thyra l’interrompit. Elle avait compris qu’il avait pénétré dans son esprit. Son rythme cardiaque s’accéléra. Il savait qu’elle pouvait l’entendre avec son ouïe fine. Que devait-il faire à présent ? Il pensa à sa baguette dans la poche de son pantalon sous ses fesses, à ses objets de magie noire qu’il lui suffirait d’actionner pour enfermer la jeune femme ici. Mais quelque chose le retenait : le ton de Thyra n’était pas agressif. Elle semblait … si normale.
Il déglutit et poussa un soupir.
« J’ai quelque chose à te montrer. » dit-il.
Il se leva et ouvrit une boîte à musique. Dedans, il prit deux brochures de vieux journaux des années 30, puis deux clichés qu’il garda en main avant de poser les premières articles sur la table basse devant Thyra. Restant debout, il la regarda.
« Ce sont des articles de journaux. Ecrits en russe. » présenta-t-il. « Tu m’avais dit que tu parlais cette langue, et je me demandais si tu pouvais me traduire ces articles. »
La jeune femme était intriguée, évidemment.
« Je t’expliquerai après. Traduis. » dit-il avant de se reprendre. « S’il te plait. »
Il la laissa lire, butant sur certains mots. Se doutait-elle de quelque chose ? Sans doute. Elle devait se douter qu’il n’avait pas choisi ses articles au hasard. Lorsqu’elle eut terminée, il posa à nouveau sur la table deux photos qu’il avait trouvé dans les journaux. L’un était un portrait de Mads, l’autre de Thyra.
« Tu te reconnais sur cette photo ? Parce que moi, je te reconnais bien. Et sur celle-ci … »
Il attrapa une troisième photo et la mit en avant.
« … c’est toi et Mads, non ? »
Il regarda au dos de la photo et lut.
« Juin 1929, cérémonie de fin d’année. »
Il laissa retomber la photo sur la table. Sa bouche était légèrement entrouverte, sous le choc encore de cette révélation.
« Tu m’expliques ? Et épargne-moi un autre mensonge. Tu sais que je ne suis pas né de la dernière pluie et que je sais parfaitement de quoi il s’agit. Je veux juste te l’entendre dire. »
Son ton reflétait la colère tapie au fond de lui. Elle lui avait menti. Thyra Thorvaldsen, la seule femme dont il se sentait proche hormis ses sœurs. Thyra lui avait menti sur ce qu’elle était. Même ses yeux si purs étaient faux. Sa mâchoire tremblait légèrement.
It's Saturday night ! I swear to God, I ain't ever gonna repent Avec Anthony Scott ຊ Mardi 28 avril 1992
Je venais de rencontrer l'homme en face de moi, pourtant, je savais exactement ce que je voulais en faire. Le faire tourner en bourrique. Lui rappeler qu'il n'est pas seul à décider. Il s'était fait tout plein de films dans sa tête, mais que au final, il n'était pas seul dans l'équation. Je pense que ce faux jeu de séduction aurait pu durer quelques jours de plus, si ma petite amie Maria ne m'avait pas embrassée pour me dire au revoir. Je me tournais vers Anthony, pour lui avouer la vérité, en souriant. En espérant qu'il ne m'en veuille pas. Cela semblait mal parti, vu sa manière de pincer l'arrête de son nez, de prendre le temps de répondre… Tant pis, notre groupe d'amis était assez grand, je n'avais pas forcément envie de guérir son égo brisé. Pourtant… « Non. » Je haussais un sourcil, plutôt… Surprise. Je ne m'y attendais pas. Mais je pouvais supposer qu'il était honnête, vu sa manière de me sourire. Ça ne l'empêchait pas de se pencher vers moi : « Tu es sûr ? D’être lesbienne, je veux dire. Peut-être que tu peux tester avec moi et ça confirmera oui ou non ? » Un rire s'échappa de mes lèvres. D'accord, je voyais bien le genre ! « Désolée pour toi, mais… Oui. J'en suis sûre. » Je lui fis un clin d'oeil, avant de faire un signe à la serveuse de venir prendre notre dernière commande de la nuit. La première du petit matin !
ຊ Samedi 8 août 1992
Plusieurs mois avaient passé, peu de choses avaient changé, hormis la présence d'Anthony dans notre groupe d'amis. Il s'était plutôt bien intégré, tout le monde l'appréciait, et je m'étais fais un devoir de lui montrer le Brésil : les plus beaux lieux, les plus belles villes, et bien sûr, les meilleures fêtes ; que ce soit en boîte ou sur la plage. Quand nous nous voyons, c'était toujours pour le plaisir. Oh, je le croisais, de temps en temps, à Castelobruxo. Mais il ne me disait pas pourquoi il venait là, et il me laissait travaillait, alors, je n'insistais pas.
Ce soir encore, nous étions bien. Heureux. Nous étions au pied de la statut du Christ à Rio de Janeiro, avec de bonnes bouteilles et un poste de radio qui diffusait de la musique locale. J'étais dans les bras de Maria, à danser lentement avec elle. La chaleur ne l'arrêtait pas, au contraire, elle aimait se coller à mon corps qui restait frais. Elle savait pourquoi, et elle l'acceptait. C'était magnifique. J'embrassais lentement son cou avant de lui murmurer une plaisanterie à l'oreille. Elle riait. Je riais. Les oiseaux chantaient, et même de loin, j'entendais les vagues s'écraser sur le sable. Grâce aux dons de vampire ? Sûrement. Quand la musique changea, je m'éloignais de Maria pour tourner sur moi-même. Elle m'encourageait en tapant en rythme de la chanson. Quand elle retourna près du groupe, je décidais d'aller voir mon frère et Anthony.
Les deux étaient assis au pied de la statue, à observer le paysage. Ivre mais de bonheur seulement, je me laissais tomber entre les deux, avant de voler la bouteille d'Anthony. J'en bus une grande gorgée pendant qu'il passait un bras autour de mes épaules. « J’imagine que tu ne t’es toujours pas décidée à changer de bord ? » Mon sourire grandit contre le goulot, et je laissais tomber la bouteille pour le regarder. « Non. Tu sais, je suis très heureuse avec Maria… » Je lui fis un clin d'oeil aguicheur. J'avais désormais l'habitude qu'il essaie de me détourner des joies du chemin de l'homosexualité et… Ouais, il fallait avouer que c'était plutôt flatteur de voir qu'il essayait toujours. Qu'il n'abandonnait pas. Même si ce n'était qu'une plaisanterie, j'avais cette impression d'être toujours désirable. Oui, c'était plaisant. « Bon, je crois que c’est le moment pour moi de vous laisser. » Mads devait en avoir marre de m'entendre me faire draguer. Je pouvais le comprendre, quelque part. Même si nous voyagions ensemble, ça ne voulait pas dire qu'il voulait tout savoir de ma vie amoureuse. Je lui fis un petit signe de la main, avant de le regarder rejoindre le groupe.
« Tu sais, tu pourrais envisager de me donner un petit baiser d’adieu … » J'allais encore rire de ses tentatives pour arriver à ses fins quand j'entendis le dernier mot. Adieu. Je n'avais plus tout envie de rire. « Pourquoi d'adieu ? » Ma voix se faisait plaintive, mais je ne voulais surtout pas croire ce que j'avais compris. Il ne pouvait pas partir. On s'amusait beaucoup trop ensemble. Pourtant, le regard d'Anthony semblait confirmer ce qu'il disait. « Je m’en vais. Demain. » Demain ! Déjà ? Anthony retira son bras de mes épaules. Je croisais les jambes et posais mes mains sur les chevilles. « Demain… C'est bien trop proche. » Je ressentais déjà un vide dans ma poitrine. Exactement le même que Lorenzo avait laissé quand il était reparti en Angleterre pour reprendre des études. Qu'est-ce qu'il y avait de si bien en Angleterre, hein ? « Pourquoi tu ne me l'as pas dis avant ? »« Je déteste les adieux, c’est pour ça que je ne te l’ai pas annoncé plus tôt. » Ouais, ça pouvait se comprendre. Mais quand même. J'aurai aimé le savoir avant, pour me préparer mentalement à son départ. « Pourquoi tu repars ? Tu n'es pas bien, ici ? » Il ne peut pas trouver un job ? Je pouvais l'aider, moi. Je n'avais pas réussi à convaincre Lorenzo, mais peut-être qu'Anthony, oui ? « Il est temps pour moi de retrouver mon monde. En Angleterre. » Hum. Il ne pouvait pas créer son propre monde avec nous ?
Je savais qu'avec mon frère, nous étions des baroudeurs, des profiteurs de la vie. Mais il n'empêchait que j'étais proche des gens. J'avais du mal à couper le lien. Avoir coupé le lien de ma famille biologique me donnait envie de m'en créer une de cœur. Sauf que Lorenzo et Anthony partaient… Difficile de créer une famille avec des gens loin. « Si jamais … tu passes là-bas, viens me dire bonjour. » Je lui souris, alors qu'il se rapproche de mon visage. Son pouce vient caresser ma joue, réchauffée par la paume de sa main. « Je te le promets. » Je finis par poser mon front contre le sien. J'apprécie vraiment le jeune homme, et tout le temps que nous avions passé ensemble. Je ne suis pas prête à lui dire au revoir.
« Dis-moi ton secret. » Toujours proche de lui, je plonge mon regard dans le sien. Je décide de jouer les innocentes. « Quel secret ? » Murmurais-je à mon tour. Mais je savais ce qu'il voulait dire. Je savais que Mads et moi étions tellement discrets que personne ne nous connaissait entièrement. Dans notre groupe d'amis, seulement un tiers connaissait notre nature vampirique, par exemple, dont Maria. Mais elle ne savait pas tout. Elle ne savait pas les circonstances de notre morsure, ou à quoi ressemblait notre enfance. J'avais enfermé tout ça dans une petite boîte imaginaire, avec les pulsions vampiriques que je combattais quand ma colère montait à la surface. Heureusement, c'était très rare. « Je sais que tu en caches un. Et je ne te reverrai sans doute jamais. Alors dis-moi, quel est ton secret, lindo1 Thyra ? » J'hésite un instant. Son argument tient. Nous nous reverrons sans doute jamais. Et pourtant… « Je ne peux pas te le dire, alors que je compte revenir te voir. J'ai d'autres amis qui vivent en Angleterre, alors… C'est l'occasion d'y aller. » Revoir Lorenzo, Anthony… Et pourquoi ma famille ? Est-ce que Christian accepterait de nous revoir ?
Mais je me concentrais sur les yeux noirs d'Anthony. J'essayais de retenir ses nuances avant qu'il ne parte. « Est-ce que je pourrais t'accompagner à ton lieu de transplanage ou au Portoloin ? Ou bien, la dernière image de moi doit être ici, au pied de cette statue emblématique du Brésil avec le soleil qui se lève ? » Je plaisante légèrement, mais je ne sais pas si il dira oui. Il semble détester les adieux, peut-être qu'il veut partir sans avoir à se retourner et me dire au revoir une dernière fois. Peut-être bien que ce sont vraiment nos dernières minutes ensemble, et qu'il devra retourner faire ses cartons après le petit-déjeuner que Maria et les autres sont partis chercher. « Je viendrai te voir en Angleterre. Il faudra juste que tu sois patient et que tu me laisses régler certaines affaires ici, tu veux ? » Des affaires dans mon cœur. Avoir le courage de retourner près de mes terres natales. J'ai entendu dire qu'une partie des Thorvaldsen vivaient en Angleterre, maintenant. Je me détache de son front, pour poser mes deux mains sur ses joues. « Laisse-moi t'accorder ce baiser d'adieu. » Je le regarde dans les yeux, avant de poser mes lèvres sur son front. Puis je lui accorde un sourire mutin. « Je ne t'oublierai pas, et je ne veux pas que tu m'oublies, d'accord ? » Même si mon cœur se déchire quand je dis ça et que la solitude commence déjà à m'envahir.
ຊ Samedi 18 mai 2002
Je suis plus que ravie de voir que Anthony ne m'a pas oubliée. Qu'il n'a pas oublié comment nous nous comportions ensemble : taquins, mais sincères. Même si, vu de l'extérieur, nous nous comportons comme de parfaits Sang-Purs, hormis le fait que nous enchaînions les danses. Cela m'importe peu ; je veux savoir comment il va, et ce qu'il fait. « Tu me connais, dépravé comme je suis. » Mon sourire monta. Oh, oui, je le sais. Après tout, nous sommes devenus amis parce qu'il a cherché à me draguer dans une boute de nuit. « J’ai hérité d’un domaine en Ecosse. Je suis occupé à le faire rénover, une pièce après l’une. Tu pourrais t’y installer d’ailleurs ? » La proposition ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde, bien au contraire. « Oh, avec plaisir ! J'ai une chambre d'hôtel, mais je paye en plus un garde-meuble pour tous mes cartons, et j'en ai marre que cet argent part là-dedans… » Il faut vraiment que je me trouve un appartement, même si ce n'est pas la priorité. Il faut dire que financièrement, j'ai toujours été plus qu'à l'aise. Mais même. Pour le principe, ça me gonfle de payer un garde-meuble pour des cartons que je me trimballe depuis plus de 70 ans, pour certains.
Au moins, l'invitation d'Anthony semble sincère et réelle. Il surenchérit : « Je peux sans problème demander à ce qu’on te prépare une chambre. Ton frère aussi, s’il t’accompagne ? » Anthony semble chercher du regard. Dommage pour lui, je suis venue seule. Mads n'avait pas envie de revêtir le costume du parfait Sang-Pur, et a préféré tester ce bar de créatures dont nous avons entendu parler à notre arrivée. Le Blooddale, je crois. « Mads n'est pas là ce soir, mais oui, il est revenu avec moi. Je ne change jamais de pays sans lui ! Nous avons toujours voyagé ensemble. Je lui parlerai de la chambre. Merci beaucoup. » Je ne sais pas si Mads sera véritablement intéressé mais je sais qu'il sera touché. Même si je pense qu'il préfèrera rester chez Lorenzo, avec qui il a vraiment une connexion. Il faudra que je leur rappelle de ne pas mordre n'importe qui, comme ils avaient l'habitude de le faire en Amérique…
Pour ne pas penser à ça, je souris à Anthony. « Et comment tu te paies ces rénovations, dis-moi ? »« Autrement, j’ai obtenu un poste à l’école de Poudlard, tu dois connaître ? Tu y avais étudié ? » Je secoue négativement la tête. « J'étais à Durmstrang. » Je n'apporte pas plus de précisions. Il ne manquerait plus que j'apprenne que j'y étais dans les années 20, il y a presque un siècle. « Quel type d'offre ? »« Ils m’ont embauché comme professeur-stagiaire en Runes. En septembre, je prendrai officiellement le poste. »« Félicitations ! Si tu ne dragues pas tes étudiantes majeures, je suis sûre que tu feras un super bon professeur. » Je suis sincère. Sur ses aptitudes de professeur comme le fait que je pense qu'il est capable de draguer ses élèves les plus âgées. Pour m'empêcher de le taquiner encore plus, je lui parle des propres recherches d'emplois dans le domaine médical. « L’hôpital serait fou de ne pas t’embaucher. » Je sens qu'il le pense vraiment, et cela me fait chaud au cœur. Notamment quand je me rappelle toutes les réactions des hommes que j'ai eues quand je me suis inscrite en Médicomagie pour devenir médecin, et non infirmière. Ah, le patriarcat ! « Merci. Je le pense aussi. »« Dois-je comprendre que tu vas poser un temps tes valises au Royaume-Uni ? » Je réponds à son sourire, avec une étincelle de malice. « Je t'avais promis que je viendrai te voir. Tu ne pensais pas que ce serait aussi permanent, n'est-ce pas ? » Mais il n'eut pas le temps de répondre qu'un homme nous interpella. Enfin, interpella mon cavalier. « Anthony. »
Je ne connaissais pas du tout cet homme. Normal, sachant que j'avais déserté le monde Sang-Pur européen voilà des décennies. Mais vu le ton employé, la main posé familièrement sur son épaule, et surtout, la ressemblance entre les deux, j'étais sûre de me trouver en face du patriarche de la famille Scott. Le père de tous ces fameux bons partis. « J’ai pu vous observer tous deux depuis le bord de la piste. Vous êtes une cavalière remarquable, miss ... ? » Sans me demander mon avis, il prit ma main entre les siennes. J'étais plus vieille que lui, mais j'avais plus conscience du consentement que lui. J'avais oublié comme je détestais les chefs de famille Sang-Pur. Je n'eus même pas le temps de répondre qu'Anthony reprit la parole. « Miss Thorvaldsen. » Je lui adressais un sourire poli. Même si je détestais ce genre de convenances, c'est fou la vitesse à laquelle je les retrouvais. Je ne disais rien, j'attendais que les hommes daignent me laisser la parole. « Miss Thyra Thorvaldsen et moi-même nous sommes rencontrés il y a des années au Brésil. C’est une brillante sorcière qui exerce brillamment la Médicomagie. » L'avantage de cette nouvelle génération était qu'Anthony me présentait non pas en fonction de ma dot ou de ma beauté, mais de mes qualités intellectuelles. Et professionnelle. Après avoir été piétinée durant mes études, cela faisait du bien.
Le père Scott me tapota la main. Je me retenais de rire -jaune- face à ce geste très paternaliste. J'étais bien plus vieille que lui, et j'arpentais ces soirées bien avant lui. Aurait-il une attaque si il le savait ? « Ravi de faire votre connaissance, miss. »« Moi de même, monsieur. » L'avantage d'être un vampire était que je n'avais aucune réaction physique qui aurait pu trahir ce mensonge. Pas de cœur qui bat plus rapidement, de transpiration soudaine ou de main qui devient moite. Je décidais tout de même de rajouter un peu de vérité : « Votre fils est un très bon danseur avec une conversation délicieuse. » Surtout quand il plaisantait, mais je ne pensais pas que son père pensait qu'il s'amusait à draguer et à demander en mariage une femme qu'il savait lesbienne. « Je suis navré de devoir vous enlever votre cavalier, miss, mais j’espérais présenter à mon fils la jolie Daphné Carrow qui vient de revenir de son voyage en Australie. » Merlin merci, il me rendait ma main. Il fallait que je file aux toilettes pour me laver de tout ce snobisme imprégné dans ma peau par ce malheureux contact.
J'aurais pu être vexée de ne pas être considérée comme un parti sérieux -après tout, je rentre tout juste du Brésil, à faire de la médicomage, moi-, mais j'avais un esprit un peu trop indépendant. Ce qui me flatta tout de même fut la lueur de déception d'Anthony dans ses yeux. « J’espère que vous m’accorderez une dernière danse avant la fin de cette soirée. » Et, contre tout attente, il posa une main sur ma hanche et déposa un baiser sur ma joue. Pas très Sang-Pur, Anthony Scott ! Mais j'appréciais ce contact peu conventionnel devant son père. « Malheureusement, je vais devoir partir, mais je vous envoie très rapidement un hibou pour conclure notre… partenariat. » Sous-entendu, la colocation avec mes cartons. Anthony me lâcha, pour rejoindre son père, qui m'accorda un dernier baise-main. Maintenant que je me retrouvais seule, il fallait que je trouve un lavabo. Et vite !
ຊ Vendredi 31 mai 2002
J'avais échangé avec Anthony quelques lettres, et c'était bon, la décision de la colocation était actée. Enfin, colocation… Je lui avais dis que je risquais de ne pas être souvent là, que je cherchais surtout un endroit pour poser mes cartons. Je gardais ma chambre d'hôtel, j'avais des horaires très différents en fonction des jours à l'hôpital, bref, qu'il ne m'attende pas pour le dîner tous les soirs. Au contraire, cet arrangement semblait lui aller, surtout qu'il paraissait que son jeune frère habitait aussi là. En fait, je venais poser mes affaires, je viendrais fouiller quand j'en avais besoin et boire un verre de temps en temps avec lui. C'était la solution idéale pour une amitié aussi… carpe diem que la nôtre. En tout cas, j'étais là, ce soir, après ses cours, avec mes cartons à mes pieds. Je toquais à la porte, et un elfe de maison m'ouvrit. Étais-je vraiment surprise ? Pas vraiment. Il m'emmena dans le salon où semblait m'accueillir Anthony. « La mignonne est là ! »
Le jeune homme était là, debout. Avec un grand sourire, je le pris dans mes bras pour le saluer. « Anthony chéri ! Tu m'as tellement manqué depuis le Brésil. » Je savais que cette phrase le ferait tiquer, alors que nous nous étions vu plusieurs jours auparavant, à un bal bien Sang-Pur comme il fallait. C'était d'ailleurs à cette occasion que nous avions appris la pureté du sang de chacun. Bien qu'il ne sache pas la vérité sur le mien… « Cet évènement ne comptait pas. Nous étions en public, et ton père est venu nous interrompre. D'ailleurs, c'est fou ce que tu lui ressembles… Bref. Nous ne pouvions pas nous retrouver correctement. » Je lui souris, avant de sortir de mon sac un sachet en papier. « Un cadeau de semi-colocation. Du mathé au citron. » J'avais découvert cette boisson au Brésil. Similaire au thé, elle contenait toutefois de la théobromine, qui empêchait un effet stimulant tout en gardant le boost de concentration. J'étais devenue accro, et je le prenais toujours au citron, pour donner du goût. Evidemment, c'était une boisson que j'avais fait découvrir à Anthony.
Je ramenais ce dernier dans l'entrée et tapotais du bout du pied l'un des cartons. « Voilà toutes mes affaires… Tu me montres ma chambre, pour que je puisse les porter ? » Mais il m'arrête, m'assurant que son elfe de maison s'en occupera. A la place, Anthony prend mon bras pour m'entraîner dans les couloirs de son manoir. Grand, bien décoré, ça respire la richesse et les goûts Sang-Purs. Je crois même apercevoir quelques tableaux de famille quand il finit par ouvrir une porte, et me la montrer. Ma chambre. « Oh. Wouah ! Elle est magnifique ! » Elle me rappelait ma propre chambre, quand j'étais ado : bien que clichée, elle était trop mignonne. Un grand lit à baldaquin avec moultes coussins, une coiffeuse, une grande armoire, avec un coin salon où se trouvait une grande bibliothèque. Comme une gamine, je me jetais sur le lit, plus que ravie. « Il est tellement confortable que je me demande si je ne vais pas emménager définitivement… » Même si il n'y avait aucune chance que je ne dorme dedans. Ou que je dorme tout court. Mais franchement, pour lire ou ramener une conquête, il n'y avait rien de mieux !Anthony se laissa tomber sur le lit aussi à mes côtés. Un bruit de papier se fit entendre, je me redressais légèrement sur les coudes.
« Soulève tes fesses deux secondes. Alleeeer ! » Anthony se faisait désirer, mais heureusement, il finit par m'obéir. J'attrapais ce qui semblait être la Gazette du jour. Un article parlait d'un bal organisé par des Fondateurs, ou je ne sais pas quoi. Je commençais à le lire, d'un air dubitatif. « C'est sûrement parce que je suis arrivée en plein milieu, mais je ne comprends rien à cette histoire de Fondateurs. Je sais juste que ton frère et ta sœur semble participer. Pas toi ? » Entre ces histoires de Blue Dragons, de jeu maléfique en circulation mais avec le Maître arrêté et les Fondateurs, j'avais tout une politique anglaise à rattraper. Déjà que j'avais suivi de loin toutes les histoires de Harry Potter et de Voldemort… Si je devais « poser mes valises en Angleterre », comme disait Anthony, il fallait que j'assure. Peut-être que j'allais demander une explication à Maggie. On avait bien accroché, elle serait ravie de me faire le point sur la dernière décennie. « Tu comptes aller à ce bal ? » Je secoue l'article sous le nez d'Anthony.
ຊ Vendredi 5 juillet 2002
Le Bal des Fondateurs s'est super bien passé. Même si je suis venue avec Anthony, je suis repartie avec une charmante blonde, Karoline. Enfin, repartie… C'est un bien grand mot. Disons qu'on a passé la soirée au bar à boire et discuter avec que son cavalier, un grand brun, ne vienne la chercher pour la ramener chez elle. Mais on a gardé contact et on compte bien se revoir ! En tout cas, Anthony semblait ne plus pouvoir se passer de moi, vu qu'il m'avait invitée à venir chez lui aujourd'hui. Apparemment, il avait besoin de mon aide. J'avais à peine toqué à la porte de son manoir que son elfe de maison vint m'ouvrir. « Bonjour. J'ai rendez-vous avec Anthony Scott. » L'elfe me fit entrer, et patienter quelques instants dans un couloir, avant de m'indiquer qu'il m'attendait au salon. Quand je rentrais, comme à mon habitude, je le pris immédiatement dans mes bras. « Anthony chéri ! Je vois que je te deviens indispensable. » Je lui souris, alors qu'il me proposa de m'asseoir dans le fauteuil en face de lui.
Il y avait quelque chose de… Bizarre, chez Anthony. Sans me départir de mon sourire, je fronçais légèrement les sourcils. « Tout va bien ? Tu as l'air… Tendu. »« Les élèves m’ont épuisé ces dernières semaines. Je vais bien avoir besoin des vacances d’été pour me remettre. » Oh. Je sais qu'il n'a enseigné que quelques semaines, mais les adolescents sont sûrement assez compliqués à gérer. Surtout quand on débute dans le métier. De toute façon, je pense que tous les métiers sont durs, quand on commence. « Du thé ? » Je fais un sourire malicieux. « J'espère que c'est du mathé au citron. » Je ne dis plus rien, le temps qu'on nous serve. Quoi qu'en dise Anthony, l'ambiance restait… Étrange, et je ne comprenais pas d'où cela venait.
Une fois ma tasse entre les mains, je me demandais si j'allais lui parler du service qu'il voulait que je lui rende, mais il reprit la parole en premier : « Alors, qu’as-tu fait de ta semaine ? As-tu décroché ce job à l’hôpital ? » Ok, je lui en parlerai après. J'ai un grand sourire, contente de pouvoir parler de mon travail, que j'adore : « Oui ! Je suis médecin légiste, comme prévu. J'ai fais mes études pour ça, mais il m'arrive de faire des remplacements dans tous les services. Avec tous mes voyages, j'ai une palette étendue de compétences qu'ils utilisent. Et j'avoue que je m'en fiche un peu de mes horaires, tant qu'ils respectent mes congés. » Celui qui faisait les plannings savaient que j'étais un vampire. Il gardait le secret, mais on s'était mis d'accord sur une chose : ça ne me dérangeait pas de prendre les nuits. Je n'avais pas de famille, je n'avais pas besoin de dormir, ça arrangeait pas mal de gens. Bien sûr, je bossais aussi en journée, mais… Disons que cela ne me dérangeait pas de tourner plus que certains collègues.
Alors que je parlais avec passion de mon nouveau bureau, je sentis un mal de crâne pointer. J'étais morte, par définition, je ne pouvais pas avoir de mal de tête ! Je sus immédiatement de quoi il s'agissait. Mon ami était en train de s'emparer de mes pensées. Un Legilimens, donc. Je m'interrompis dans mes explications. « Anthony chéri. Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tu ne m'as pas fait venir ? Je me doute que tu te fiches de mon boulot. Quelque chose t'embête. » Ce qui expliquait l'ambiance, ses manières plus fuyantes que d'habitude. Et son cœur, qui accélérait. Qu'est-ce qu'il avait ? Qu'est-ce qui pouvait bien le bousculer ? Je posais mon regard sur lui, en essayant de prendre mon air le plus bienveillant possible. Il pouvait tout me dire, il le savait, n'est-ce pas ? « J’ai quelque chose à te montrer. » Ou il pouvait tout me montrer.
Je posais ma tasse pendant qu'Anthony se levait. Il ouvrit une boîte; avant de me tendre de vieux journaux. Je reconnus immédiatement l'alphabet cyrilique. « Ce sont… »« Ce sont des articles de journaux. Ecrits en russe. » Je levais un sourcil, pas bien sûre de comprendre où il voulait en venir. « Et tu me montres ça parce que…? »« Tu m’avais dit que tu parlais cette langue, et je me demandais si tu pouvais me traduire ces articles. » Un rire nerveux s'échappa de mes lèvres. Par Merlin, mais qu'est-ce qu'il se passait ? Pourquoi il avait besoin de ça ? « Anthony chéri, je n'ai pas parlé russe depuis ma seconde année d'étude, lors de mon voyage en Russie. Je crois que je suis un peu rouillée. Pourquoi tu as besoin d'une traduction, d'ailleurs ? »« Je t’expliquerai après. Traduis. S’il te plait. » Il avait l'air vraiment… Désespéré. Alors, avec un soupir, je pris les journaux dans mes mains pour commencer à les lire :
« Alors, voyons voir… Une attaque menée par les partisans de Grindelwald. » Je m'interrompis immédiatement dans ma lecture, pour jeter un oeil à Anthony. En lisant le titre, j'avais aussi vu la date. Août 1933. Comment il s'était procuré ça ? Et comment ? Mais je repris ma lecture, l'angoisse au ventre. « En ce samedi, alors que beaucoup de monde, dont des Sang-Pur, se baladaient dans la rue marchande, des collègues… Euh, non pardon, des partisans de Grindelwald interrompirent ces moments de félicité. Le Mage Noir, tristement connu pour ses actions et sa rivalité avec Albus Dumbledore, ne semble pas avoir commandité cette attaque. Pourtant, c'est en son nom que des familles furent tuées, et des personnes mordues par des vampires. Des Aurors intervinrent, mais trop tard. Les cadavres… Attends, je ne sais plus la traduction de ce mot, je dois lire la phrase en entier… Nanana… Ok, je vois. Les cadavres jonchaient les rues, et certaines personnes mordues par les vampires ou les loup-garous furent prises en charge. Et en dessous, c'est une liste de victimes, mortes ou mordues. » Mon nom n'y était pas, parce que nous étions partis, avec Mads, avant la prise en charge par les secours. Je jetais un oeil à l'autre article, bien plus court, mais cette fois, écrit en danois. « Je vois que tu as fouiné aussi dans la presse danoise… Bon, voyons. C'est une déclaration de la famille Thorvaldsen, en septembre 1933 : La famille Thorvaldsen a le regret d'annoncer le décès des deux aînés, Mads et Thyra Thorvaldsen, morts suite à l'attaque des partisans de Grindelwald en Russie en août 1933. Ils seront enterrés dans le caveau familial suite à ue cérémonie privée. » Je reposais les journaux sur la table, sans rien ajouter d'autre. Alors ça y est ? Sur les trois secrets, il avait découvert le second ?
Face à cette vérité, qu'est-ce que je pouvais dire ? Pas grand-chose. Mais je comprenais mieux pourquoi, subitement, il était mal à l'aise. Et après, on se demandait pourquoi je gardais beaucoup de choses pour moi… Face à mon silence, Anthony posa deux photos supplémentaires sur la table. Sûrement découpées du journal danois, où se trouvait la déclaration de décès que je savais écrit par mon père. « Tu te reconnais sur cette photo ? Parce que moi, je te reconnais bien. » Oui, moi aussi, je me reconnaissais. Et je reconnaissais Mads. Je savais exactement où et quand avaient été prises les photos. Durant une garden-party Sang-Pur. C'était quelques heures après le début, les hommes commençaient à retirer les vestes parce qu'ils jouaient au croquet, mais gardaient les chapeaux. Exactement comme Mads. Moi, je regardais une jeune femme, dans mon dos, qui me faisait de l'oeil, jusqu'à ce que je vois l'appareil photo tourné dans ma direction. Je faisais mine de ne pas l'avoir aperçu, et je me retournais pour continuer de parler avec mon interlocutrice. Je savais que ma mère aimait cette photo pour mon regard mutin, mais également mes cheveux bouclés, qu'elle adorait. « Et sur celle-ci … » Une nouvelle fois, Anthony posa une photo. De mon frère et moi qui posions, l'air sérieux. « … c’est toi et Mads, non ? » Je ne pus qu'approuver en hochant la tête. Une nouvelle fois, je savais où elle avait été prise, avant même qu'Anthony ne lise ce qu'il y avait écrit derrière : « Juin 1929, cérémonie de fin d’année. » Je le savais. Le costume de mon frère, tiré à quatre épingles, moi dans ma robe avec mon château, et les jardins de Durmstrang en arrière-fond. D'ailleurs, je me souvenais que mon père demandait à ma mère des robes de plus en plus formelles et Sang-Pur, comme pour me rappeler de bien garder le secret de la naissance.
Anthony reposa la photo sur la table. Je finis par lever les yeux vers lui. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? »« Tu m’expliques ? Et épargne-moi un autre mensonge. Tu sais que je ne suis pas né de la dernière pluie et que je sais parfaitement de quoi il s’agit. Je veux juste te l’entendre dire. » Je l'observais attentivement. Son ton était glacial. Je pouvais voir tous ses muscles tendus. Je pouvais deviner sa colère. Sauf qu'il ne savait pas que j'étais en colère, moi aussi. En colère depuis 70 ans. « Que je t'explique quoi ? Tu sembles avoir tout compris, déjà. Oui, j'ai été mordue en 1933 par un vampire. Oui, c'est moi qui ait dû mordre et tuer mon frère aîné pour lui sauver la vie. Oui, c'est moi qui l'ai transformé en vampire. Oui, je cache cette cruelle vérité aux personnes que je rencontre. Tu sais pourquoi ? » D'un geste de la main, je désignais les articles de journaux. Et surtout le russe, celui qui parlait de la transformation. « Parce que je sais à quel point les créatures sont mal vues aujourd'hui. Alors imagine-toi dans les années 30, notamment quand des Sang-Purs sont mordus ! » Je me levais brutalement, pour faire les cents pas dans la pièce. J'étais incapable de rester en place.
Je me sentais prise dans un étau, une sorte de piège. Je n'avais pas besoin de respirer, et pourtant, je sentais clairement ce poids sur ma poitrine. Un poids que j'avais déjà ressenti avant. « Je faisais déjà la honte de mon père. Parce que j'étais lesbienne. Que je ne rentrais pas dans les codes. Parce que je ne suis pas sa fille. » Je sentis Anthony tomber des nues. Je me tournais vers lui. Il y avait une distance raisonnable entre nous. Parce que je marchais en rond. Mais est-ce qu'il avait reculé ? Est-ce qu'il avait peur de moi ? Ça ne m'empêchait pas de ricaner. « Oui, Anthony chéri. Je ne suis pas une Sang-Pur. En fait, je ne sais même pas ce que je suis. Mais je ne suis pas la fille de mon père. Ma mère l'a trompé. Je suis une bâtarde dans la fille, qu'une demi-Thorvaldsen. A cause de ma naissance, de mon sang, à cause de ma sexualité, à cause de qui je suis, je lui faisais honte ! J'ai réussi à éviter le mariage. Mais, je l'ai déçu une nouvelle fois en suivant des études de Médicomagie, et non d'infirmière. Parce que j'ai osé suivre un cursus d'homme. » Ma voix était posée, et pourtant, je sentais ma poitrine gronder. Ce n'était même pas mes pulsions vampiriques qui reprenaient le dessus, comme quand j'étais en colère. Au contraire, c'était la Thyra humaine, celle qui était morte depuis 70 ans, qui s'exprimait. Elle avait eu une vie injuste. Elle avait été écrasée toute sa vie pour ce qu'elle avait été. Et elle était morte jeune, bien trop jeune. Elle commençait seulement à éclore et suivre sa propre voie. J'étais en colère depuis 70 ans. C'était long.
« Quand nous sommes rentrés du Danemark, Père m'a accusée de tout. D'être une bâtarde homosexuelle qui avait corrompu son fils, et qui l'avait transformé. Il m'a blâmée pour tout. Sans même demander comment j'allais. Il m'a viré de la famille. Tu te demandes pourquoi je garde ces trois secrets-là ? A cause de lui. A cause des gens autour. A cause de toi. » Pas à cause de lui, précisément, mais à cause de toutes les personnes qui réagissaient de la même manière que lui. Qui me regardaient différemment. Qui ne voyait plus qu'en moi le monstre sanguinaire que les journaux aimaient dépeindre. « Mads et moi sommes partis. Nous avons dû nous adapter, apprendre. Je ne dis pas que j'ia toujours été une vampire parfaite, loin de là. Quand je suis en colère, j'ai tendance à laisser mes pulsions prendre le dessus. Et là, tu n'imagines pas la rage que j'avais en moi, d'avoir été jeté pour être… Moi. Mais j'ai appris à me contrôler. Cela fait des années que je n'ai pas bu à la source. Ça fait des années que je me nourris de sang à la morgue, qui est dégueulasse, ou des animaux. Ça ne fait que quelques jours que j'ai redécouvert le sang frais, mais parce qu'un bar vend des bouteilles ensorcelées pour garder la fraîcheur. Je ne suis pas un monstre, Anthony. Je suis simplement celle que tu as connue. Je n'ai pas changée. Ça fait 70 ans que je ne change pas. Je sais juste mieux gérer ma colère. Mais tu ne me crois pas, n'est-ce pas ? » Je le fixais, un instant.
Il y avait toujours cette distance entre nous. A la fois physique et psychique. Je ne pouvais pas m'empêcher de chercher une faille, quelque chose qui me faisait penser qu'il me croyait. Mais il était toujours aussi dur. Aussi fermé. Aussi éloigné. Je compris que c'était peine perdue. Que notre amitié était perdue. Je finis par soupirer. « Je rentre. Je viendrai chercher mes cartons un autre jour. Inutile de les laisser là. Et inutile de fouiller dedans, tu ne trouveras que des recherches médicales élaborées pendant 70 ans. Et des fringues de sept décennies. » Je m'avançais, pour prendre les trois photos qui étaient restées sur la table. « Je récupère ça. Mais je te laisse avec plaisir les articles. Je ne veux pas me rappeler de mauvais souvenirs. » Je les mis dans ma poche, avant de tourner les talons. Et, avec l'air le plus calme que je pouvais, je sortis du manoir.
Ce n'est que dehors, quand je transplanais, que je laissais mes larmes couler, alors que je les retenais depuis plusieurs minutes.
ຊ Jeudi 8 août
Cela faisait combien d'heures que je travaillais ? Beaucoup trop. Heureusement que j'étais une vampire, et que je pouvais enchaîner les heures sans problèmes. J'avais quand même, dans le cabinet provisoire que je tenais, une grande gourde opaque pleine de sang frais, pour m'aider à tenir. Parce que oui, cela devait faire une douzaine d'heures que je travaillais non-stop ! Même si je n'étais pas fatiguée, j'avais faim !
Pourquoi occupais-je un cabinet provisoire et pourquoi je travaillais depuis 12 heures ? Et bien, j'avais travaillé dans ma morgue pendant 10 heures, comme d'habitude, quand mon chef vint me voir pour me demander d'effectuer un remplacement au pied levé. Le Médicomage avait apparemment eu un pépin, et faute d'autres médecins, il se rabattait sur la seule qui pouvait enchaîner les services. Je n'étais jamais contre de l'argent supplémentaire -même si j'en avais plus qu'il me fallait, mais on ne sait jamais-, alors, j'acceptais.
Ça faisait donc deux heures que j'enchaînais les patients, quand l'assistante du Médicomage que je remplaçais vint me voir. « Une urgence pour vous, docteur Thorvaldsen. Un homme blessé au dos, ils l'ont fait passé en priorité… Voici son dossier. » J'attrapais la pochette qu'elle me donnait, et un cri m'échappa. Anthony Scott ? Sérieusement ? Je devais soigner Anthony ? Je ne l'avais plus revu depuis notre dispute. Même le jour où j'étais venue chercher mes cartons. Il m'avait envoyé un hibou avec une date et une heure, mais il s'était arrangé pour ne pas être là le jour-même. « Pourquoi c'est à moi de m'en occuper ? »« Vous remplacez son Médicomage habituel. » Bah bien sûr… Je finis par soupirer, avant de me lever, direction la salle d'attente. « Monsieur Scott ? C'est à votre tour. » En voyant sa tête, lui aussi était surpris de me voir. Il ne devait pas s'y attendre, hein ? Tant pis pour lui.
On rentra en silence dans le cabinet, je pouvais voir une tâche de sang assez importante dans son dos. J'avais à peine commencé à regarder qu'il me lâcha un commentaire sarcastique sur ma retenue face au sang. « Si tu veux te plaindre, tu n'as qu'à aller voir le président de l'hôpital. C'est lui qui est venu me voir pour demander de remplacer ton Médicomage. Lees autres médecins n'étaient pas disponibles ou dépassaient leur quota d'heures. Et oui, je sais me tenir. » D'un geste de la main, je l'invitais à s'installer sur le lit médical. Je me rapprochais, et voyant que je n'avais pas besoin de mon stéthoscope, je le retirais de mon cou en me positionnant derrière son dos.
« Retire ta chemise, pour que je regarde ça. » Le temps qu'il défasse ses boutons, je mis de nouveaux gants, avant de me rapprocher. Je bougeais la lampe médicale, pour envoyer la lumière sur son dos et mieux observer sa blessure. « C'est profond. Comment tu t'es fait ça ? » Evidemment, il refusait de me répondre. Je serrais les dents pour rester le plus professionnelle possible, en ayant tout de même une pensée pour les médecins et patients des années 30. Ceux que je fréquentais pendant mes études. Les premiers refusaient de me former, les seconds refusaient que je les soigne. Ça avait continué pendant quelques années, avant que je ne réussisse à m'imposer. Dans d'autres pays, mais quand même. « Je n'ai pas besoin de savoir pour te soigner. Je peux toucher ? Ça, par contre, je suis obligée. » Mais je voulais quand même son consentement. Comme je faisais avec tous mes patients. Heureusement, il me donna son accord. Délicatement, je posais mes doigts autour, en appuyant légèrement. J'essayais ainsi d'évaluer la profondeur. Le sang continuait de couler.
« Il va te falloir des points. Ne bouge pas. » Je me relevais, et je fouillais dans les armoires pour trouver ce dont j'avais besoin : des potions et des baumes. J'avais tout de même apporté ma propre trousse, avec des aiguilles et du fil. « Tous les Médicomages ne pratiquent pas ça. Beaucoup soignent avec la magie, mais ce sont des sortilèges délicats, et cela laisse des cicatrices. J'ai appris en Asie à mêler médecine moldue et magique, pour soigner au mieux. Et avant que tu ne râles, c'est un médecin sorcier qui m'a appris ces astuces. » Tout en parlant, je m'étais assise sur un tabouret, derrière lui, pour être de nouveau face à son dos. Soigner Anthony était bizarre. Je me comportais comme avec mes patients ; c'est-à-dire que j'expliquais mes démarches, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me justifier. En même temps, si il trouvait le moyen de répondre à tout… « Je vais appliquer une potion désinfectante. Elle est préparée par ton Médicomage, alors, ne râle pas. » J'en appliquais sur une compresse, et je nettoyais délicatement la plaie. Puis je pris une seconde compresse, et je mis une autre potion dessus. « Ça, ça va anesthésier la zone de la blessure, pour que je puisse te recoudre. » Après avoir appliqué la seconde potion, je pris un fil et une aiguille, et je commençais mon opération de couture. J'étais appliquée, le plus possible. La prochaine étape serait de fignoler des sortilèges de guérison, pour accélérer le processus. « Il faudra que tu reviennes me voir pour enlever les fils. Je ne pense pas que ton Médicomage sache le faire. »
Nous sommes le samedi 8 août 1992. Anthony est issu de la célèbre famille de sorciers au sang-pur, les Scott. Jumeau d'Alice, cadet d'Andrew et Calvin, et aîné d'Angelo, Anthony vient tout juste de terminer ses études à Poudlard. Bien décidé à apprendre de nouvelles choses avant son entrée à l'université, il a pris une année sabbatique pour voyager sur le continent américain.
It's Saturday night ! I swear to God, I ain't ever gonna repent
« Je ne peux pas te le dire, alors que je compte revenir te voir. » susurra-t-elle. « J'ai d'autres amis qui vivent en Angleterre, alors… C'est l'occasion d'y aller. »
Anthony haussa un sourcil. D’autres amis britanniques ? Intéressant. Alors donc … ils se reverraient certainement. Cette perspective réchauffa le cœur du jeune Scott.
« Est-ce que je pourrais t'accompagner à ton lieu de transplanage ou au Portoloin ? » reprit-elle. « Ou bien, la dernière image de moi doit être ici, au pied de cette statue emblématique du Brésil avec le soleil qui se lève ? »
Il acquiesça lentement.
« Je ne veux garder aucune autre image de toi que ce soleil levant sur ton visage. » répondit-il.
Dire que c’était le genre de phrases qu’il pouvait sortir pour draguer les anglaises. Il n’en pensait pas un mot. Habituellement. Là, avec Thyra, il sentait qu’une part de vérité se cachait derrière cette phrase. Il détestait les adieux, il l’avait dit. Et il ne voulait pas du chagrin qui lui étreindrait certainement le cœur à l’aéroport en quittant la jeune femme. Car il savait qu’il ressentirait de la tristesse. Le déchirement des adieux. Non, il ne voulait rien de cela. Il voulait partir, couper les ponts aussi secs. C’était moins douloureux.
« Je viendrai te voir en Angleterre. » déclara-t-elle. « Il faudra juste que tu sois patient et que tu me laisses régler certaines affaires ici, tu veux ? » « Je croyais t’avoir déjà dit que je n’étais pas homme si patient … »
Il eut un sourire en coin, se souvenant de leur première rencontre quelques mois plus tôt.
« Laisse-moi t'accorder ce baiser d'adieu. »
Son regard s’éclaira alors qu’il regardait Thyra, abasourdi. Allait-elle vraiment … ?
Ses lèvres se posèrent alors sur son front et un rire doux émergea de sa gorge. Encore une fois, Thyra avait le don de le rouler dans la farine. Ou bien était-ce lui qui nourrissait trop d’espoir à chaque fois ? Pourquoi d’ailleurs ? Thyra aimait les femmes et jamais personne ne changera cela. C’était inscrit dans nos gênes. On ne choisissait pas qui on aimait. Ca, Anthony le savait bien …
« Je ne t'oublierai pas, et je ne veux pas que tu m'oublies, d'accord ? » « C’est une promesse ? » murmura-t-il.
Leurs visages étaient tout proches l’un de l’autre. Pourtant, les yeux plongés les uns dans les autres, il n’y avait aucune ambiguïté. Anthony respectait Thyra et son choix. Un sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu’il prononça cette dernière phrase :
« Je ne t’oublierai pas. »
Vendredi 31 mai 2002
Deux semaines après leur rencontre au bal donné par les Flint, Thyra était de retour. Anthony se redressa en voyant son elfe de maison accompagné de la jolie brunette.
« La mignonne est là ! » lança-t-elle à la cantonade, son regard brillant de fierté.
Un large sourire barrait le visage d’Anthony qui alla l’accueillir en la prenant dans ses bras pour la faire tourner. Quel plaisir d’être chez soi et de pouvoir relâcher le poids des conventions avec une amie de longue date !
« Anthony chéri ! Tu m'as tellement manqué depuis le Brésil. » dit-elle tandis qu’il la reposait à terre. « Oh Thyra, nous nous sommes quand même vus entre temps. »
Les trois danses qu’ils avaient effectué au cours de cette soirée ne comptaient-elles pas pour elle ? Son père avait failli s’arracher les yeux en voyant Anthony proposer son bras pour une dernière danse à la fin de la soirée. Evidemment, les journaux en avaient fait tout un plat le lendemain et son père avait reçu plusieurs hiboux demandant si son fils était officiellement fiancé. Anthony était parti d’un grand rire en s’imaginant raconter l’anecdote à Thyra – chose qu’il avait faite quelques jours plus tard par hibou alors qu’ils parlaient ensemble de l’installation prochaine de la jeune femme dans son manoir. Son père avait un peu moins apprécié l’idée et avait répondu à toutes les invitations ensuite, si bien qu’Anthony et lui avaient assisté à pas moins de trois bals et quatre dîners conventionnels en l’espace de deux semaines.
« Cet évènement ne comptait pas. » répliqua Thyra. « Nous étions en public, et ton père est venu nous interrompre. D'ailleurs, c'est fou ce que tu lui ressembles… Bref. Nous ne pouvions pas nous retrouver correctement. »
Anthony leva les yeux au ciel sur la remarque de la ressemblance physique avec son père avant que son regard brille devant un présent que lui tendait Thyra emballé dans du papier cadeau.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-il en le prenant aussitôt. « Un cadeau de semi-colocation. Du mathé au citron. »
Anthony soupira d’aise et lorsqu’il eut ouvert le paquet, inspira profondément les essences du mathé. C’était une boisson qu’il avait découverte au Brésil, similaire au thé mais stimulant tout le cerveau pour un effet boost sur la concentration. Cette odeur lui rappelait tellement de souvenirs avec Thyra …
« Tu es parfaite, mais tu le savais déjà. » dit-il avec un clin d’œil.
Il suivit la jeune femme dans le couloir de l’entrée où une pile de cartons avait été entreposée.
« Voilà toutes mes affaires… » « Tu ne voyages pas léger … » commenta-t-il d’un air amusé. « Tu me montres ma chambre, pour que je puisse les porter ? »
Anthony secoua la tête.
« Tu plaisantes ? Bolpy s’en chargera. »
Il désigna d’un signe de tête l’elfe de maison qui s’inclina devant eux. Ancienne elfe de maison de son arrière-grande-tante, Bolpy avait 92 ans et était arrivée au service des Scott en 1910. Même âgée, elle rendait d’innombrables services à Anthony qui avait pourtant engagé un deuxième elfe de maison, Tolky, âgé d’une quinzaine d’années, pour la seconder dans les tâches les plus compliquées. Néanmoins, Bolpy restait son elfe privilégiée.
« Viens, je vais te faire visiter ! »
Il passa son bras sous celui de Thyra et l’entraîna directement au premier étage. Certaines pièces étaient encore vieilles et usées. Alexiane Scott avait vécu toute sa vie seule et n’occupait décemment pas toutes les pièces. Mais elle avait adoré chaque recoin de ce manoir et d’inestimables pièces donnaient une touche ancestrale à la bâtisse. Alexiane Scott avait du goût.
Ils arrivèrent devant une porte où Anthony actionna la poignée.
« Et voici ta chambre ! » dit-il en s’effaçant rapidement sur un côté pour la laisser entrer et observer les lieux. « Oh. Wouah ! Elle est magnifique ! »
Bien que les elfes de maison se soient occupés de la remettre en état durant ces derniers jours, Anthony avait personnellement supervisé les travaux afin d’y redonner l’essence d’une chambre du début du XXème siècle. Un grand lit à baldaquin trônait au centre tandis que la chambre était aussi composée d’une coiffeuse, d’une grande armoire ancienne, de tapis et de tableaux anciens. La chambre desservait sur un petit salon où une immense bibliothèque abritait des livres anciens comme récents. Les mains derrière le dos, Anthony laissa Thyra admirer la pièce, se réjouissant de voir ce regard s’illuminer de milles feux.
Et puis, soudain, la jeune femme se jeta sur le lit qui rebondit aisément sous son poids.
« Il est tellement confortable que je me demande si je ne vais pas emménager définitivement… »
Anthony rit et la rejoignit aussitôt en se laissant tomber à côté d’elle, un bruit de papier froissé se faisant entendre.
« Soulève tes fesses deux secondes. » lança Thyra en voyant un journal sous Anthony. « Tu tiens enfin à les voir de plus près ? » susurra-t-il. « Alleeeer ! »
Il rit à nouveau en la voyant s’exciter.
« D’accord, d’accord ! »
Il se redressa et lorsque Thyra obtint ce qu’elle voulait il se laissa retomber. Alors que le regard de la jeune femme parcourait la Une de la Gazette du jour, Anthony passa un bras derrière sa tête tandis que son autre main venait écarter l’une de ses longues mèches de cheveux bruns.
« C'est sûrement parce que je suis arrivée en plein milieu, mais je ne comprends rien à cette histoire de Fondateurs. » dit-elle. « Je sais juste que ton frère et ta sœur semble participer. Pas toi ? »
Anthony leva les yeux au ciel avant de ricaner.
« Surement pas ! »
Il se doutait que cette simple réponse ne contenterait pas Thyra. Aussi, il se souleva sur les coudes et répondit :
« Andrew ne perd pas une occasion pour saisir tous les événements qui finiront de le rendre nobles aux yeux de la population britannique. Tandis qu’Alice … Alice fait juste sa curieuse. »
Il eut un petit rire. Alice était surtout allée chez les Fondateurs pour jouer double-jeu pour le compte d’Angelo et des Blue Dragons. Il se rallongea avant de commencer à narrer.
« Selon le maire de Druid’s Oak, Wayde Lloyd, les Fondateurs auraient autrefois sauvé la ville de la magie noire. La ville et le pays tout entier. Ce conseil des Fondateurs était à la base les familles fondatrices de la ville et chacune possédait des artefacts ou une forme de magie pouvant défier la magie noire. C’est pourquoi, aujourd’hui, avec la menace des Blue Dragons, ils veulent faire revivre cette légende. »
Anthony contait tout cela d’un air blasé et ennuyé.
« Et comme je te disais, mon frère cherche à tout prix une raison d’augmenter toujours plus sa popularité. Et un bal comme ils en proposent est la parfaite occasion pour lui et pour eux de se mettre en valeur. »
Thyra parut réfléchir un instant.
« Tu comptes aller à ce bal ? »
Anthony passa une main sur le journal qu’elle agitait sous son nez comme si ça pouvait l’aider à se décider.
« Je ne sais pas encore. » répondit-il, ses yeux témoignant de son ennui. « Toutes ces histoires de Fondateurs, je les laisse à mon frère. Mais … je dois avouer ... un bal … des festivités … »
Il eut un sourire et lança un clin d’œil à la jeune femme comme s’il lui rappelait les diverses célébrations qu’ils avaient connues au Brésil.
« Tu … voudrais m’accompagner ? » demanda-t-il.
Même si un sourire détaché trônait sur ses lèvres, il apparaissait presque timide en demandant cela. Anthony, timide ? Jamais il ne l’aurait avoué. Pourtant, en relevant les yeux vers Thyra, il savait que sa réponse pourrait décider une multitude de choses sur la suite des événements.
Comment avait-il pu passer dix ans sans elle ?
Vendredi 5 juillet 2002
« Que je t'explique quoi ? »
Sa voix avait repris le même ton qu’Anthony. Détaché. Impersonnel. Dénué de la chaleur habituel lorsqu’ils s’adressaient l’un à l’autre.
« Tu sembles avoir tout compris, déjà. » poursuivit-elle. « Oui, j'ai été mordue en 1933 par un vampire. Oui, c'est moi qui ai dû mordre et tuer mon frère aîné pour lui sauver la vie. Oui, c'est moi qui l'ai transformé en vampire. Oui, je cache cette cruelle vérité aux personnes que je rencontre. »
C’était une chose de l’entendre de la bouche d’un vieux croûton et de faire le lien entre tous les autres indices recueillis au fur et à mesure des dernières années. C’en était une autre de l’entendre de la bouche de la personne elle-même. La mâchoire d’Anthony se crispa et une grimace de colère vint déformer son visage habituellement si rieur et si détendu en présence de Thyra.
Thyra était une vampire. Elle avait tué son propre frère. Et elle avait menti à tellement de personnes. Dont Anthony.
Il aurait dû le savoir. Elle s’était déjà jouée de lui lors de leur première rencontre. Pourquoi n’aurait-elle pas continué son petit manège ? Anthony s’était montré trop naïf. Il lui avait fait confiance, séduit par ses charmes, par ses belles paroles, par ses beaux yeux. Mais tout était faux en elle. Rien n’avait de sens. Elle était une vampire ce qui signifiait qu’elle trompait tout son monde autour d’elle. Et n’en avait aucun remords.
« Tu m’as menti. » éructa-t-il. « Tu sais pourquoi ? » répondit-elle en désignant les articles de journaux. « Parce que je sais à quel point les créatures sont mal vues aujourd'hui. Alors imagine-toi dans les années 30, notamment quand des Sang-Purs sont mordus ! »
Elle se leva soudainement, ne cachant plus désormais la force qui résidait dans ses membres grâce à sa force vampirique. Anthony se redressa lui aussi, sur le qui-vive, envisageant mentalement toutes les possibilités. Il avait sa baguette dans la poche de son pantalon. Il avait des objets de magie noire pouvant la piéger. Il pouvait se servir de sa Légilimencie. La détruire de l’intérieur. La piéger dans son propre esprit.
Mais malgré toutes les options qui s’offraient à lui, Anthony ne lança pas l’offensive. Il restait en position de défense, attendant la suite. Attendant … de ne pas avoir le choix.
« Je faisais déjà la honte de mon père. » continua-t-elle son récit. « Parce que j'étais lesbienne. Que je ne rentrais pas dans les codes. Parce que je ne suis pas sa fille. »
Anthony fronça les sourcils.
« Comment ça, tu n’es pas sa fille ? » répéta-t-il, dents serrées. « Oui, Anthony chéri. Je ne suis pas une Sang-Pur. »
Et voilà donc les trois secrets de Thyra : lesbienne, vampire … et … une bâtarde.
« En fait, je ne sais même pas ce que je suis. Mais je ne suis pas la fille de mon père. Ma mère l'a trompé. Je suis une bâtarde dans la famille, qu'une demi-Thorvaldsen. A cause de ma naissance, de mon sang, à cause de ma sexualité, à cause de qui je suis, je lui faisais honte ! J'ai réussi à éviter le mariage. Mais, je l'ai déçu une nouvelle fois en suivant des études de Médicomagie, et non d'infirmière. Parce que j'ai osé suivre un cursus d'homme. »
Anthony l’écoutait, ne pouvant l’interrompre alors qu’elle délivrait enfin à présent sa vérité. Si tant est qu’une vampire puisse dire la vérité.
« Quand nous sommes rentrés du Danemark, Père m'a accusée de tout. D'être une bâtarde homosexuelle qui avait corrompu son fils, et qui l'avait transformé. Il m'a blâmée pour tout. Sans même demander comment j'allais. Il m'a viré de la famille. Tu te demandes pourquoi je garde ces trois secrets-là ? A cause de lui. A cause des gens autour. A cause de toi. »
Anthony ne cilla pas à cette accusation. Son cerveau ne savait plus ce qui se passait. Thyra avait été une amie pendant des années. Mais à cet instant, il ne voyait que la vampire invitée chez lui. Une vampire profondément en colère. Sa main glissa lentement dans son dos pour s’accrocher à sa baguette au cas où la créature passerait à l’offensive.
« Et ensuite ? » demanda-t-il pour détourner son attention. « S’il t’a viré de la famille, qu’as-tu fait alors ? » « Mads et moi sommes partis. Nous avons dû nous adapter, apprendre. Je ne dis pas que j'ai toujours été une vampire parfaite, loin de là. Quand je suis en colère, j'ai tendance à laisser mes pulsions prendre le dessus. Et là, tu n'imagines pas la rage que j'avais en moi, d'avoir été jeté pour être… Moi. »
Un monstre sanguinaire avait été jeté. Merlin savait combien de personnes avaient succombé de sa main, de ses crocs, de sa soif. Tous les discours inculqués par son père lui revenaient en mémoire, le mettant en garde contre ses créatures.
« Mais j'ai appris à me contrôler » reprit Thyra. « Cela fait des années que je n'ai pas bu à la source. Ça fait des années que je me nourris de sang à la morgue, qui est dégueulasse, ou des animaux. Ça ne fait que quelques jours que j'ai redécouvert le sang frais, mais parce qu'un bar vend des bouteilles ensorcelées pour garder la fraîcheur. »
Oui, Anthony avait entendu parler de cet établissement. Les Blue Dragons avaient d’ailleurs réfléchi à mener une opération prochainement là-bas …
« Je ne suis pas un monstre, Anthony. »
Leurs regards se croisèrent. Le fait de l’appeler par son prénom, d’employer un ton plus doux, moins chargé de colère, interrompit le geste d’Anthony dans son dos. Thyra. C’était Thyra. Celle avec qui il avait dansé des nuits durant. Celle avec qui il avait envisagé d’avoir une aventure si seulement elle avait été attirée par son sexe. Celle avec qui il avait été si détendu et si bon.
Thyra. Son amie.
« Je suis simplement celle que tu as connue. Je n'ai pas changé. Ça fait 70 ans que je ne change pas. Je sais juste mieux gérer ma colère. Mais tu ne me crois pas, n'est-ce pas ? »
Anthony ne bougeait pas. Son geste interrompu dans son dos hésitait toujours. Elle l’avait manipulé. Elle lui avait menti. C’était son amie et elle avait abusé de son amitié.
« Je rentre. » déclara-t-elle alors, devant l’absence de réponse d’Anthony. « Je viendrai chercher mes cartons un autre jour. Inutile de les laisser là. Et inutile de fouiller dedans, tu ne trouveras que des recherches médicales élaborées pendant 70 ans. Et des fringues de sept décennies. »
Dents serrées, Anthony regarda Thyra s’avancer pour récupérer les photos sur la table basse.
« Je récupère ça. Mais je te laisse avec plaisir les articles. Je ne veux pas me rappeler de mauvais souvenirs. »
Anthony gardait toujours le silence, sa mâchoire tremblant légèrement en entendant alors les talons de la jeune femme claquer sur le parquet. Et puis elle franchit la porte et un plop résonna, signe qu’elle avait transplané.
Anthony ouvrit la bouche et aspira une grande goulée d’air, comme s’il s’était retenu de respirer durant tout le temps de la discussion. Sa bouche était sèche et quelque chose lui piquait les yeux.
« Puis-je faire quelque chose pour monsieur ? »
L’elfe de maison était réapparu aussitôt derrière lui mais Anthony ne lui accorda aucun regard. Refoulant ces premiers sentiments, il saisit avec violence les articles et hurla avant de les jeter au feu derrière lui. Les flammes crépitèrent avant qu’Anthony n’attrape sa baguette pour raviver l’âtre. Un grand brasier apparut dans la cheminée, venant lécher les bords du tapis sur lequel était Anthony. Les flammes vacillaient sur son visage alors que Bolpy se dépêchait d’éteindre l’incendie qui aurait facilement pu gagner toute la pièce.
Anthony l’ignora. Alors que le feu se réduisait à son état d’origine, il appuya une main sur l’âtre de la cheminée et plongea son regard dans les flammes.
Thyra, son amie, était une vampire. Et c’était la vérité la plus difficile qu’il ait eu à encaisser depuis des années.
Jeudi 8 août 2002
Anthony grognait alors qu’assis sur une fauteuil, il attendait que le Médicomage vienne s’occuper de lui. Il avait mené une opération avec les Blue Dragons et même s’ils avaient fait pas mal de dégâts, ils ne s’étaient pas attendus à ce que cette famille de moldus soit défendu par des sorciers. Le combat avait fait monter l’adrénaline en lui, si bien que quand il avait transplané après avoir infligé de sérieux dégâts, il n’avait pas réalisé tout de suite la blessure qui s’étendait dans son dos. Son compagnon l’avait aidé à se changer rapidement pour retirer tout lien avec l’organisation avant de le déposer devant l’hôpital où Anthony avait demandé à être soigné par le Médicomage Brown. C’était un ami d’enfance et s’il n’était pas un Blue Dragons, il ne posait jamais de questions à Anthony lors des blessures qu’il ramenait. C’était un sorcier fiable et discret.
Mais la voix qui l’appela n’était pas celle du Dr Brown …
« Monsieur Scott ? C'est à votre tour. »
Il releva la tête et ouvrit la bouche en croisant le regard de Thyra. Il ne l’avait pas revu depuis leur dispute début juillet. Même lorsqu’il avait convenu d’une heure et du jour pour qu’elle vienne récupérer ses affaires, il avait préféré quitter le manoir pour ne pas avoir à la croiser.
Les regards des patients se tournèrent vers eux alors qu’Anthony n’avait toujours pas bougé. Pourquoi c’était elle qui venait le chercher ? Où était Brown ?! Anthony referma la bouche mais se leva pour se diriger avec Thyra dans le cabinet. Il ne fallait pas qu’il attire davantage l’attention. Peut-être que Thyra était juste un intermédiaire avant de retrouver son ami.
Mais alors qu’ils pénétraient dans le cabinet, elle lui demanda de s’installer sur le lit médicalisé avant de refermer la porte. Anthony commença à grincer des dents. La douleur dans son dos lui arrachait également des grimaces mais il était presque prêt à retourner dans la salle d’attente pour chercher Brown.
« Où est mon Médicomage ? » demanda-t-il d’une voix rendue rauque par la douleur. « C’est toujours Brown qui s’occupe de mes blessures. »
Il regarda Thyra se déplacer vers lui.
« Je ne suis pas certain qu’un vampire soit habilité à gérer ça … » « Si tu veux te plaindre, tu n'as qu'à aller voir le président de l'hôpital. » répondit tranquillement Thyra en se positionnant dans son dos, prête à procéder à l’examen. « C'est lui qui est venu me voir pour demander de remplacer ton Médicomage. Les autres médecins n'étaient pas disponibles ou dépassaient leur quota d'heures. Et oui, je sais me tenir. »
Il lâcha un rire sans joie.
Depuis un mois qu’ils ne s’étaient pas revus, Anthony avait eu le temps de retourner moultes fois la situation dans son esprit. Et être Légilimens n’aidait pas toujours à raisonner quand les émotions voulaient prendre le dessus. Heureusement que pour cela il avait suivi de longs entraînements.
Mais cette blessure infligée par Thyra … Oui, il parlait de blessure. Car il s’était senti trahi. Thyra avait été son amie pendant dix ans. Même s’ils ne s’étaient pas vus durant plusieurs années, ils avaient continué à échanger régulièrement des hiboux, Thyra lui envoyant toujours une carte postale pour ses anniversaires. Il l’avait aimé, choyé, désiré, taquiné. Elle avait été pour lui une personne exceptionnelle, pour qui il désirait être bon, meilleur. Une fille inaccessible mais qui l’arrangeait bien car il n’avait pas à décevoir ses attentes s’il voulait passer la soirée avec une autre fille. Thyra avait été la personne parfaite pour lui. Quand elle était revenue en Angleterre, jamais il ne s’était senti plus comblé. Thyra avait été une autre partie de lui-même qu’il n’avait jamais pensé manquer.
Et puis il y avait eu les mensonges.
Une vampire. Elle était une vampire. Toute sa vie, Anthony avait été élevé dans les haines des moldus et des créatures. Les lycanthropes étaient maudits. Les vampires étaient des monstres dont le cœur avait cessé de battre. Ils n’étaient même pas vivants. Ils trompaient leur entourage, se nourrissant de sang chaud et tuant sans vergogne. Ils étaient un fléau de l’existence. Toute sa vie, Anthony avait trié ses relations, faisant une différence entre les sorciers aux sangs impures, les évitant, les négligeant. Mais aussi avec les créatures, les observant avec méfiance et à distance. Jamais aucune créature ne s’était approchée de lui, aussi près que Thyra l’avait été.
Sali. Trompé. Trahi. Anthony s’était longtemps détesté pour ne pas avoir vu les signes. Son père aurait eu honte de lui. Angelo l’aurait humilié pour sa naïveté. Mais Anthony avait laissé tomber tous ses murs pour accueillir Thyra auprès de lui. C’était ce qui rendait la trahison plus amère encore.
Alors ensuite il avait réécouté les paroles de Thyra. Il avait extrait ses souvenirs dans la pensine et avait reconsulté cette scène des dizaines de fois. Il avait écouté ses raisons. La peur et la colère qu’elle avait évoquées. Ses justifications. Son self-control. Son désir de faire le bien en soignant ses patients et en ne se nourrissant plus de sang frais. Thyra était … une vampire. Mais une vampire qui savait se contrôler. Jamais il n’avait été en danger près d’elle. Jamais il n’avait senti l’odeur de sang ou de mort sur elle. Peut-être était-ce vrai ? Peut-être n’avait-elle plus tué depuis toutes ces années ? Mais pouvait-on pardonner ses crimes aussi vieux soit-il ? Mais alors qu’est-ce que cela disait d’Anthony ? Lui aussi avait tué … pour une noble cause, lui disait la voix d’Angelo.
Thyra et lui avaient ôté la vie à plusieurs personnes pour différents motifs. Mais alors que lui continuait d’infliger la mort, elle se tournait vers la vie. Alors qu’il était entré dans une nouvelle guerre pour le monde qu’il voulait bâtir, elle soignait et maîtrisait ses pulsions meurtrières. Encore une fois, elle le battait. Encore une fois, Thyra était presque trop bonne pour lui.
Anthony aurait du la tuer et ne plus se poser de questions. Il aurait du enfouir l’homme qu’il était avec elle et faire disparaître tous ses regrets. Mais à chaque fois qu’il l’envisageait, le visage d’Ayana apparaissait dans son esprit et l’intimait de se rappeler ce qu’il avait pour sa sœur. Mais était-il capable de reproduire la même erreur – si c’en était une – avec son amie Thyra ? Devait-il lui dire de fuir, de s’éloigner de Grande-Bretagne et de ne plus jamais remettre les pieds ici. Thyra ne le ferait pas. Elle était revenue en Angleterre et bien décidée à y rester.
Alors ils seraient forcés d’être là tous les deux, dans des camps opposés.
« Retire ta chemise, pour que je regarde ça. »
Anthony inspira profondément avant de défaire les boutons de la chemise qu’il avait passé à la va-vite une vingtaine de minutes plus tôt. Elle était déjà tâchée de sang et Anthony lâcha un gémissement de douleur en retirant le tissu de sa blessure. Thyra s’agitait dans son dos, bougeant une lampe pour sans doute mieux voir l’étendue des dégâts.
Il essaya de repousser l’idée qu’une vampire était à l’instant même en train d’observer le sang qui suintait de sa blessure. Il essaya de se tourner, pensant voir les yeux de la Médicomage changer de couleur. Mais rien. Elle leva les yeux vers lui.
« C'est profond. Comment tu t'es fait ça ? » « Le docteur Brown ne me posait pas de questions. » répondit-il avec hargne.
Il était impossible de parler sans animosité. Il était toujours en colère contre elle et contre toute cette situation. Pourquoi avait-il fallu qu’elle soit une vampire ? Pourquoi ?
« Je n'ai pas besoin de savoir pour te soigner. » répondit-elle d’une voix neutre. « Je peux toucher ? Ça, par contre, je suis obligée. » « Hum … de toute façon, je n’ai pas le choix. » grogna-t-il. « Ok, vas-y. »[/b][/color]
Il contracta la mâchoire, ne voulant pas manifester plus que ça sa douleur face à elle. Elle devait comprendre qu’il était encore capable de se défendre si elle tentait d’en profiter. Sa baguette, serrée dans sa main, reposait sur le lit.
« Il va te falloir des points. Ne bouge pas. »
Elle se leva pour aller chercher l’équipement qui lui fallait. Anthony releva la tête, de ce geste hautain qu’il avait toujours avec les personnes dont il se pensait supérieur.
« Des points ? » grogna-t-il. « C’est quoi encore cette pratique ? Un truc de vampire ? »
Il ne pouvait pas s’empêcher de cracher ce mot. Il détestait ça. Il détestait ce qu’elle était. Il détestait cette injustice.
« Tous les Médicomages ne pratiquent pas ça. Beaucoup soignent avec la magie, mais ce sont des sortilèges délicats, et cela laisse des cicatrices. J'ai appris en Asie à mêler médecine moldue et magique, pour soigner au mieux. Et avant que tu ne râles, c'est un médecin sorcier qui m'a appris ces astuces. »
Tout en parlant, la jeune femme était venue se rasseoir sur son tabouret et avait commencé à poser ses doigts gantés sur la peau de son dos. Dans un monde meilleur, Thyra aurait été simplement une sorcière prodigieuse, au sang pur – ou même bâtarde si Merlin y tenait. Et dans ce monde meilleur, Anthony et elle auraient été le couple parfait.
Oh bordel … dire qu’il était en train de penser à marier une vampire. Était-ce la douleur qui le faisait délirer ?
« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda-t-il, un peu alerte de ne pas pouvoir voir ce qu’il se passait. « Je vais appliquer une potion désinfectante. Elle est préparée par ton Médicomage, alors, ne râle pas. » « Hum … » répondit-il quand même.
Il grimaça au contact de la potion sur son dos et se cabra.
« Ça, ça va anesthésier la zone de la blessure, pour que je puisse te recoudre. » dit-elle en appliquant une nouvelle potion sur une compresse. « Me recoudre ? Par Salazar, vous, les vampires, êtes vraiment des tortionnaires … »
Mais comme Thyra l’avait annoncé, grâce à la deuxième potion, il ne ressentit que de légers picotements lorsqu’elle commença à passer son aiguille sous la peau pour resserrer sa blessure. Sa main droite tenait toujours sa baguette, tandis que l’autre s’était agrippée au bord du lit. Thyra ne parlait pas, concentrée sur sa tâche. A moins qu’elle ne souhaitait pas s’étendre sur des sujets plus sensibles. Tous deux restaient strictement professionnels, malgré les grognements d’Anthony.
Un silence pesant s’installa alors qu’Anthony se mordait l’intérieur de la joue. Plusieurs remarques sarcastiques lui venaient en tête avec Thyra qui observait son dos nu, ses doigts fins qui parcouraient sa peau, cette pièce où ils étaient seuls tous les deux. Mais sa bouche refusait de s’ouvrir comme jugeant inapproprié de plaisanter avec une vampire. Les voix de son père et de son oncle lui venaient naturellement en tête alors qu’aux repas de famille, les insultes envers les créatures magiques volaient, étant aussi habituelles que l’infériorité des moldus. Anthony déglutit et garda lui aussi le silence jusqu’à ce que Thyra ait terminé.
« Il faudra que tu reviennes me voir pour enlever les fils. » dit-elle en se relevant. « Je ne pense pas que ton Médicomage sache le faire. » « Evidemment, sinon ce n’est pas drôle, c’est cela ? » répliqua-t-il.
Il se leva à son tour alors que Thyra jetait les gants dans la poubelle. Ils restèrent un instant face à face avant qu’Anthony ne secoue la tête et reprenne sa chemise pour s’habiller. Thyra attendit patiemment à côté de lui. Aucune émotion ne se lisait sur son visage. Cependant, grâce à sa sensibilité, Anthony notait une colère froide tapie au fond de l’esprit de Thyra. Peut-être aussi des remords ou de la tristesse ? Anthony aurait été presque tenté de pénétrer dans sa tête pour en savoir plus mais quelque chose lui disait qu’une intrusion de ce genre romprait la paix fragile qui s’était installée dans ce cabinet.
Il déglutit, inclina très légèrement la tête avant de sortir du cabinet pour rejoindre le hall d’entrée et transplaner. Ce serait tout pour cette fois-ci.
Jeudi 22 août 2002
« Je viens voir le Médicomage Thorvaldsen. » demanda Anthony à l’accueil. « Oui, vous avez rendez-vous ? » « Non. Mais elle doit me recevoir. »
L’homme à l’accueil fronça les sourcils devant l’impertinence d’Anthony.
« J’ai des points à faire retirer. » expliqua-t-il avec un soupir lassé. « Je suis Anthony Scott, ma mère est actionnaire dans votre hôpital, alors je ne vais vous le demander qu'une seule fois : allez-vous vraiment continuer à me faire perdre mon temps ou dois-je appeler quelqu’un de plus compétent ? »
L’homme blêmit et ses mains s’agitèrent devant un écran lumineux. La magie était impressionnante côté Médicomagie, presque révolutionnaire.
« Elle n’est pas en consultation aujourd’hui. » balbutia le secrétaire. « Où est-elle alors ? » « En … à la morgue … c’est une Médicomage légiste. » « Tu vois quand tu veux ! »
Anthony lui tapota la joue par-dessus le bureau d’accueil et lui lança un clin d’œil arrogant avant de se diriger vers l’ascenseur pour descendre au sous-sol. Il était temps d’aller retrouver sa meilleure amie. Ironique, évidemment.
La seule raison pour laquelle il retournait la voir était parce qu’elle devait lui retirer ces points qui lui faisaient un mal de chien. Sa peau se tirait de plus en plus et dès qu’il initiait un mouvement un peu trop ambitieux, il grimaçait. Il était certain qu’elle lui avait infligé ça uniquement pour se venger.
L’ascenseur sonna et les portes s’ouvrirent au dernier étage. Les couloirs sombres étaient déserts de Médicomages bien que des chariots de linge étaient entreposés un peu partout. Anthony s’avança alors que son esprit vagabondait à la recherche de celui tempétueux de la jeune femme. Il la trouva dans une salle sur la gauche. Mais elle n’était pas seule.
Mads était allongé sur une table mortuaire, racontant avec des grands gestes une histoire qui faisait rire Thyra. En la voyant ainsi, si détendue et si légère, un sourire monta naturellement sur les lèvres d’Anthony. Ce duo … il les avait aimés, tous les deux. Sans doute d’ailleurs qu’il serait entré dans cette morgue en lançant une remarque cinglante sur la position de Mads. Mais tout avait changé n’est-ce pas ?
Saisi d’un sens vampirique, les deux Thorvaldsen tournèrent la tête vers le hublot par lequel Anthony les observait et son sourire s’effaça aussitôt. Son masque de supériorité revint sur son visage alors qu’il poussait les portes battantes. Mads se redressa et échangea un regard avec Thyra. Il devait certainement être au courant de toute l’histoire. Le contraire aurait été étonnant. De toute manière, Anthony sentait bien le malaise quand Mads se leva pour partir, après un signe silencieux à sa sœur. Anthony se retint de se décaler quand il arriva à sa hauteur mais ne bougea pas, son regard rivé sur Thyra. Mais alors Mads s’arrêta à côté de lui et d’un geste brusque, vint faire claquer ses dents contre l’oreille d’Anthony qui sursauta malgré lui.
Il était au courant.
Anthony ne lui fit pas le plaisir de se tourner vers lui alors que Mads riait de sa blague en partant. Thyra et lui se retrouvèrent alors seuls dans la morgue tandis que les pas de son frère s’éloignaient en résonnant.
Anthony ne savait pas comment initier la conversation. Il aurait du être poli, charmant, avenant. Tout ce qu’il était au quotidien. Mais pouvait-il vraiment servir ce masque de bienséance à Thyra, son ancienne amie et maintenant son … était-elle son ennemie ? Anthony n’arrivait pas à l’envisager ainsi. Surtout après l’avoir vu rire quelques secondes plus tôt avec son frère. Ils avaient presque l’air … normaux. Comme si leurs cœurs battaient toujours. Comme s’ils n’avaient jamais commis le moindre crime. Comme s’ils n’étaient pas capables de se transformer en monstres sanguinaires pour tout détruire sur leur passage.
C’est Thyra qui brisa le silence la première.
« Mes points. » répondit-il en tendant le bras derrière lui. « Tu m’as dit de revenir. »
Simple. Sans plus de cérémonie.
Thyra lui indiqua de la suivre dans un bureau sur le côté droit de la pièce. Elle poussa la porte et Anthony referma derrière eux. Le silence était pesant, lourd. Aucun bruit ne résonnait dans cette partie de l’hôpital. Anthony aurait-il du dire quelque chose ? Qu’étions-nous censé dire à un vampire ? Son regard dévia vers un miroir où le visage concentré de Thyra s’employait à enlever les agrafes dans son dos après qu’il ait retiré son haut et qu’elle lui ait demandé de s’asseoir sur son lit médicalisé.
« Tu fais toujours cette drôle de moue quand tu es concentrée. »
Elle leva les yeux vers lui dans le miroir face à eux et il désigna un pli entre ses deux yeux. Il avait presque un sourire léger en disant cela. Mais la réponse froide de Thyra lui rappela qu’il n’était pas censé apprécier ce genre de choses : elle était une vampire. Un monstre. Une créature. C’était ce qu’il croyait puisqu’il ne lui avait pas répondu la dernière fois.
Il grimaça lorsqu’elle lui retira un point plus douloureux que les autres.
« Tu … as trouvé un endroit où dormir ? » demanda-t-il d’une voix plus neutre en détournant son regard de leurs reflets.
Il s’était demandé plusieurs fois où elle avait pu poser ses valises désormais. Vivait-elle toujours à l’hôtel ? Ou bien avait-elle trouvé un endroit où se poser avec Mads ? Avait-elle demandé à être hébergé dans sa famille avec qui elle avait récemment repris contact ? A ce propos …
« Est-ce qu’ils le savent ? » demanda-t-il. « Ta famille. Les Thorvaldsen. Maggie que j’ai à l’école. Est-ce qu’ils le savent, ce que tu es ? »
Il ne la regardait toujours pas dans le reflet, son regard posé sur le coin d’un meuble face à lui.
« Ils ont dont mieux réagi que tes parents. » commenta-t-il seulement après sa réponse.
La jeune femme avait terminé et Anthony se redressa sans attendre, repassant sa chemise.
« Il y a un moment où je t’aurai sorti une remarque lourde de sens sur l’espace étroit de la pièce et mon torse nu sous tes yeux … »
Son sourire se faisait rire mais ses yeux recelaient une grande tristesse.
« … mais les choses sont différentes à présent, je crois. »
Il finit d’attacher ses boutons et s’arrêta lorsque sa main toucha la poignée.
« … Merci. »
Pas seulement pour la blessure aurait-il voulu ajouter mais c’était plus qu’il n’était capable de dire. Il avait pris sa décision. Il ne pouvait plus être ami avec Thyra. C’était fini. Alors, il valait mieux se quitter là. Que chacun mène sa propre route.
Il hocha la tête et sans plus un regard sortit.
Mercredi 28 août 2002
Anthony pénétra à l’intérieur du manoir avec un soupir las. Dans sa main, il tenait son emploi du temps de Poudlard. Il venait presque à regretter d’avoir pris ce poste. Mais après tout, Angelo lui avait donné une mission : repérer et renforcer l’esprit des plus jeunes dans les vieilles traditions. Il restait encore des familles de Sang-Pur et leurs enfants devaient connaître les avantages de ce statut. Peut-être qu’Anthony pourrait s’associer à Slughorn et son stupide club pour leur faire découvrir ceci ?
Mais il n’eut pas le loisir d’y réfléchir davantage que son deuxième elfe de maison accourut jusqu’à lui.
« Monsieur doit me pardonner ! Tolky n’a pas pu l’en empêcher. Tolky se sent profondément désolé d’avoir entaché la confiance de son maître. Tolky devrait … » « Cesse donc tes babillages Tolky et viens-en au fait ! »
L’elfe qui se tortillait à ses pieds releva sa tête difforme dans sa direction.
« Bolpy le surveille, monsieur. Bolpy m’a envoyé pour vous avertir. » « M’avertir de quoi ? Et qui Bolpy surveille-t-elle ? »
Anthony était ennuyé par toutes ces énigmes. Il aimait jouer, mais pas avec des êtres aussi insignifiants que les elfes de maison. Et commençant à connaître Tolky, il allait finir par se mettre à pleurer avant d’avoir répondu correctement à la question.
« Monsieur … c’est … »
Un sanglot étrangla la voix de l’elfe et Anthony soupira, excédé.
« Qui ? » « Thorvaldsen. » murmura Tolky avant d’exploser en larmes à ses pieds.
Anthony sursauta, frappé par ce nom. Thyra était ici ? Sa première pensée fut de s’enthousiasmer de la venue de son amie. Avant de se souvenir du reste.
Pourquoi était-elle ici ? Que faisait-elle chez lui sans qu’il y soit ?
Anthony sortit sa baguette et rangea son emploi du temps dans sa poche. Puis il donna un coup de pied à l’elfe de maison pour qu’il lâche ses pieds avant de monter à l’étage d’où Tolky était descendu.
« Où sont-ils ? » demanda-t-il sans se retourner. « A la bibliothèque de l’aile ouest, monsieur. »
Anthony grimpa quatre à quatre les marches, sur ses gardes. Il tourna à l’angle d’un mur et se dirigea vers l’aile ouest. La voix de Bolpy lui parvint en premier. Elle tentait de résonner Thyra en lui demandant de reposer ce qu’elle avait trouvé.
« Mon maître n’aimerait pas que vous posiez vos pattes là-dessus. » grondait-elle.
Anthony se plaqua contre le mur avant de prendre une inspiration et de s’engouffrer à l’intérieur, la baguette pointée vers la silhouette. Mais ce n’était pas Thyra.
« Que fais-tu ici, Mads ? »
Le vampire était assis dans un fauteuil rembourré et poussa un « Bouh » censé effrayer Anthony. La pièce était plongée dans le noir hormis une lumière que Mads avait fait descendre sur ses genoux. Sur ceux-ci se trouvaient des photos. Anthony les reconnut aussitôt.
« Tu fouilles dans mes affaires maintenant ? En quoi regardaient ces clichés t’importaient pour entrer par effraction chez moi ? »
Après tout, c’était des photos qu’ils avaient prises ensemble. Au Brésil. Il y a 10 ans. Alors qu’Anthony passait l’un des meilleurs étés de sa vie. A présent, son souvenir en était biaisé et il ne savait quelle attitude il devait adopter.
Bolpy glapit.
« Nous sommes désolés mon maître. Mais ce sorcier est tellement impertinent et arrogant que Bolpy n’a pu le contraindre à partir. »
Anthony ne lui répondit pas et fit seulement un signe de tête pour l’inciter à quitter la pièce.
« Dois-je appeler les autorités pour cette violation de domicile ? Ou préfères-tu affronter quelques-unes de mes connaissances pour ce que tu es ? »
Un sourire arrogant se ficha sur ses lèvres.
« Tu n’es pas le bienvenue ici, vampire. »
Aussitôt, Anthony déglutit en prononçant ces mots. Car dès lors que ses mots franchirent ses lèvres, son regard croisa celui de Mads et une douleur lui déchira le cœur. Il avait longtemps admiré Mads et sa façon de s’amuser. Il était divertissant et aimait se jouer de tout. Anthony avait été ravi de le retrouver. A présent, il était un ennemi.
Allait-il le dépecer vivant ? Comptait-il se venger pour Thyra ? La poigne d’Anthony se resserra sur sa baguette.
It's Saturday night ! I swear to God, I ain't ever gonna repent Avec Anthony Scott ຊ Vendredi 31 mai 2002
Être allongée sur un lit aux côtés d'Anthony en train de lire quelque chose -dans ce cas-là, un journal- me rappelait des souvenirs. Des souvenirs qu'il aurait aimé un peu plus chaud bouillants, avant de se rappeler que rien ne pouvait se passer entre nous. Mais ça nous était déjà arrivé de finir allongé ensemble, que ce soit dehors ou dans une chambre après une longue rando ou une soirée de folie, pour finir de discuter. Si Lorenzo était comme un frère pour moi, Anthony était le meilleur ami et le soutien que je n'avais jamais eu, et dont j'aurai pourtant eu cruellement besoin pendant mon adolescence et mes premières années de vampire. C'est pour cette raison que j'avouais mon ignorance de la politique anglaise actuelle, dans l'espoir qu'il m'explique un peu plus. Comme par exemple, la participation de sa famille aux Fondateurs… Mais lui ne comptait pas les rejoindre ? « Surement pas ! » Il ricana et j'haussais un sourcil en me tournant vers lui.
« D'accord. Si tu n'y vas pas, pourquoi eux y vont ? »« Andrew ne perd pas une occasion pour saisir tous les événements qui finiront de le rendre nobles aux yeux de la population britannique. Tandis qu’Alice … Alice fait juste sa curieuse. » Ce n'était pas la première fois qu'il cassait du sucre sur le dos de son frère. Ils ne semblaient pas s'entendre… Mais il ne semblait aps vouloir en parler. Je me promis de lui poser des questions sur leur relation plus tard. Avant, je voulais savoir pour ces fichus Fondateurs. « Ça l'air d'être quelque chose de gros, ces Fondateurs. C'est qui ? Ils font quoi ? » Anthony se rallongea sur le dos, comme prêt à raconter une histoire. Je posais alors ma tête sur l'oreiller pour fixer le plafond, tout en l'écoutant. « Selon le maire de Druid’s Oak, Wayde Lloyd, les Fondateurs auraient autrefois sauvé la ville de la magie noire. La ville et le pays tout entier. Ce conseil des Fondateurs était à la base les familles fondatrices de la ville et chacune possédait des artefacts ou une forme de magie pouvant défier la magie noire. C’est pourquoi, aujourd’hui, avec la menace des Blue Dragons, ils veulent faire revivre cette légende. » Je vois. Maintenant qu'il me racontait cette histoire, le nom me disait quelque chose. J'avais dû en entendre parler au Danemark, quand je vivais encore chez mes parents. Et encore plus après ma morsure. Il me semble qu'ils avaient combattu Grindelwald dans les années 1940, mais je n'avais jamais fais le lien avec les Familles Fondatrices actuelles.
« Et donc, ton frère… » Tentais-je, avant de m'interrompre. Je ne voulais pas le forcer à en parler. Pourtant, sa langue se délia légèrement. « Et comme je te disais, mon frère cherche à tout prix une raison d’augmenter toujours plus sa popularité. Et un bal comme ils en proposent est la parfaite occasion pour lui et pour eux de se mettre en valeur. » Ce qui expliquait toute la pub qu'il y avait autour de ces Fondateurs et de ce fichu bal. Songeuse, je repris l'article pour le relire. « Tu comptes aller à ce bal ? » J'agitais le journal devant ses yeux, comme pour le réveiller de son ennui. « Je ne sais pas encore. » Pour le sortir de son ennui, c'était mal barré. Je me tournais vers lui, un coude sur le matelas, ma tête sur la paume de ma main, à le fixer, pour l'intimer à réfléchir plus vite. « Toutes ces histoires de Fondateurs, je les laisse à mon frère. Mais … je dois avouer ... un bal … des festivités … »« Oui… on aime faire la fête, à deux, n'est-ce pas, Anthony chéri ? » Je savais ce que je voulais, mais hé, je ne voulais pas lui proposer moi-même ! Un peu de galanterie dans ce monde, je vous pris. Et toutes mes insinuations devaient le faire réfléchir plus vite. Aller, Anthony Scott ! Heureusement, il semblait comprendre où je voulais en venir, et me lança un clin d'oeil. « Tu … voudrais m’accompagner ? » Oh, il est tellement chou quand il avait peur de ma réponse. Mon sourire s'agrandit, prenant tout mon temps pour répondre ; puis je mis fin à sa lente agonie : « Anthony chéri. J'ai cru que tu ne me le demanderai jamais. » Encore une bonne raison de passer du temps avec lui ! Et surtout, de donner de quoi s'interroger à son père, qui avait cru à de potentielles fiançailles entre nous après seulement trois danses. Et puis quoi encore ? Une maison, des enfants, un animal de compagnie tant qu'on y était ?
ຊ Jeudi 22 août 2002
Mon frère est un idiot. Un sacré idiot que j'adore ! Il est venu au boulot me déranger et me raconter ses dernières histoires avec Lorenzo, mais pour se faire pardonner, il m'a apporté un café latté spécial vampire, avant de s'installer confortablement sur ma table d'autopsie. Il finit par me raconter son histoire avec de grands gestes, ponctués de mes rires. Pourtant, notre bonne humeur s'envola quand on entendit quelqu'un s'approcher de la morgue.
On leva la tête, pour apercevoir Anthony. Il avait un petit sourire qui disparut aussitôt, mais qu'on avait clairement vu avec nos sens vampiriques. Pourquoi il souriait ? Et pourquoi son sourire disparaissait aussitôt ? Notre dispute et nos derniers moments ensemble me revint en mémoire et toute ma bonne humeur s'envola. Je savais très bien que Mads était venu uniquement pour me changer les idées, parce que je déprimais depuis que cette amitié avait été terminée. Une nouvelle fois, Anthony venait tout gâcher.
Le jeune Scott finit par rentrer dans la morgue. Mads me jeta un regard, comme pour me demander silencieusement si il pouvait me laisser. Mon frère se leva de la table d'autopsie, et, après un dernier geste en ma direction, il se dirigea vers la sortie. Sauf qu'au niveau d'Anthony, il ne put s'empêcher de claquer des dents juste à côté de son oreille, avant de partir en riant. Je levais les yeux au ciel, n'approuvant pas l'humour de Mads mais bon… Je ne pouvais pas le contrôler. J'essayais déjà de contrôler son envie de sang humain chaud, c'était déjà pas mal.
Une fois seule avec Anthony, je croisais les bras, attendant qu'il me dise la raison de sa venue. Le voyant aussi silencieux, après plusieurs secondes interminables, je finis par demander : « Pourquoi tu es venu ? »« Mes points. » Anthony me montra son bras. « Tu m’as dit de revenir. » Oh, oui, j'avais oublié ça… Je l'avais traité comme n'importe quel patient, et cela m'était revenu en pleine figure. Moi qui essayait tranquillement de faire le deuil de notre amitié, voilà que je l'avais obligé à revenir… Je lui fis alors signe de me suivre.
Dans la morgue, un coin était entouré de murs, pour faire comme une pièce dans la pièce. Cette petite pièce était mon bureau, où je remplissais les parchemins, où je rangeais mes dossiers, où je recevais mon courrier médical. Le bureau était à mon nom, mais ne devait normalement ne pas avoir de lit médicalisé. Après tout, je n'examinais pas les vivants. Et si je devais aider dans un autre service, j'avais toujours une salle de consultation en guise de prêt. Mais j'avais demandé cet ajout, notamment alors que j'avais été désignée comme Médicomage attitrée de la petite Nina Fontanges. C'était un lieu un peu glauque pour accueillir mes patients, mais ceux-là étaient mes amis, alors…
Et pourtant, Anthony était là. J'aurai pensé qu'il m'avait demandé de monter dans un bureau autre, mais il était descendu. « Installe-toi sur le lit, s'il te plaît. » Politesse mais plutôt froide. Je voulais rester amicale, mais ne pas lui montrer que notre rupture me faisait encore du mal. A la place, j'attendis qu'il retire sa chemise et me montre son dos. Je mis des gants et m'approchait. Ça cicatrisait bien, il n'aurait plus aucune marque si il continuait les soins que je comptais lui donner après. Après avoir obtenu son autorisation pour toucher, je commençais à défaire les points, un par un. Fixer son dos était bien plus facile que de le regarder lui. Et pourtant…
« Tu fais toujours cette drôle de moue quand tu es concentrée. » Je relevais la tête, et croisais son regard dans le miroir. Avec un sourire amusé, il désigna un pli entre ses yeux, signe que j'en avais un, quand j'étais concentrée. Qu'est-ce qu'il me faisait, là ? Il essayait de faire ami-ami avec moi, alors qu'il n'avait même pas été là pour me dire au revoir quand j'avais récupéré mes cartons chez lui ? Quand je l'avais soigné et qu'il avait été ignoble ? Est-ce qu'il essayait de me jouer un tour ? Ou bien, est-ce qu'il s'en voulait et souhaitait qu'on redevienne amis ? « Je traite tous les patients de la même manière, que ce soit mes amis ou ceux qui me jugent pour ce que je suis. » Anthony ne répondit rien, et je sus qu'il ne voulait pas revenir mon ami. Parce que si c'était le cas, il aurait essayé d'argumenter à ma pique. Non ?
Face à son silence, je repris mon travail, mais je perçus son tressaillement pourtant imperceptible. Je lui laissais une seconde de tranquillité, pour le laisser se remettre de la douleur de ce point, que j'avais dû serrer plus que les autres. Il en profita pour relancer la conversation. « Tu … as trouvé un endroit où dormir ? »« Parce que ça t'intéresse ? » Je voulus tester son regard dans le miroir, mais il avait détourné les yeux. Après un soupir, je me remis au travail. « Oui. Un grand appartement avec quatre chambres. Je suis en coloc avec deux amies, et une a un enfant. On a un grand dressing pour mes fringues de 7 décennies et toutes ses affaires de styliste. » L'autre amie, il la connaissait très bien. Il s'agissait de son ex-future-belle-sœur, Karoline Barjow. On était devenue très amies après le bal et quelques bouteilles. On avait eu du mal à convaincre Lorenzo de laisser un peu Ali, mais au moins, il la laissait plus libre qu'elle ne l'avait été. Même si il passait son temps à lui rendre visite.
« Est-ce qu’ils le savent ? » Je fronçais les sourcils, toujours concentrée sur son dos. « Qui ça ? »« Ta famille. Les Thorvaldsen. Maggie que j’ai à l’école. Est-ce qu’ils le savent, ce que tu es ? » Une seconde de silence. C'est le temps qu'il me fallait pour comprendre sa question, et ce qu'elle impliquait. Une autre pour regarder dans le miroir, et voir qu'il évitait toujours mes yeux. Quelques-unes, le temps de réfléchir à une réponse et de retirer tous ses points. « Ils pensaient que nous étions morts. » Finis-je par répondre. « Christian, mon petit frère, a donné mon nom à sa fille Cathinka et celui de Mads à son fils Anton. Comme un hommage à son frère et sa sœur décédée. Alors, ils ont mal pris que des étrangers se fassent passer pour des membres de la famille morts depuis 70 ans. Quand ils ont compris qui nous étions, ils nous ont proposé de rester manger un morceau avec eux. Mais ils n'ont jamais eu aucun problème avec notre nature vampirique. » Bien au contraire, Maggie nous avait accepté à bras ouverts. Je n'avais toujours pas revu Christian depuis ma « mort », et j'hésitais à me joindre à une réunion de famille. Sauf que j'avais un peu peur de sa réaction.
Le temps de ma réponse, j'avais désinfecté son dos, et appliquer une crème magique cicatrisante. « Ils ont dont mieux réagi que tes parents. »« Plus que toi. » Pensais-je. Mais je me retins de dire ça. A la place, je me contentais d'annoncer : « J'ai fini. Tu peux te rhabiller. » Presque aussitôt, comme si le jeune homme n'attendait que ça, il se redressa pour commencer à s'habiller. Après avoir enfilé sa chemise, Anthony eut enfin le courage de me regarder, alors que je griffonnais une ordonnance. « Il y a un moment où je t’aurai sorti une remarque lourde de sens sur l’espace étroit de la pièce et mon torse nu sous tes yeux … » Il souriait, tout comme moi. Mais le mien était triste, tout comme ses yeux. Oui, à une époque il aurait blagué sur ce minuscule bureau, notre proximité, sa nudité, mes doigts sur sa peau. Il ne le fera plus, désormais. « … mais les choses sont différentes à présent, je crois. » Elles n'étaient pas que différentes, elles étaient désormais terminées.
Anthony m'avait avoué, au Brésil, ne pas aimer les adieux. Moi, je n'aimais pas les fins. En tant que vampire, j'étais forcément confrontée à la souffrance du deuil, en sachant que je verrai mes proches mourir autour de moi alors que je continuerai de vivre et de rester jeune. Cette amitié, avec Anthony, touchait à sa fin. Je la voyais mourir, mais c'était pire encore, parce que lui resterait là. Je le recroiserai dans les cercles Sang-Purs, sans avoir la possibilité d'aller le voir. Les journaux avaient déjà spéculé sur notre relation, allaient-ils spéculer sur une rupture ? J'étais en deuil, mais l'objet de mon deuil était dans les parages. Ne voulant plus penser à ça, je lui tendis l'ordonnance. « C'est la crème que je viens d'utiliser. Elle finira de faire disparaître tes cicatrices. Applique-la tous les jours après ta douche. Elle est disponible en Pharmacologie, là-haut. » Je fus surprise qu'Anthony prenne ce papier où se trouvait mon nom dessus. Mais, après tout, il en avait besoin pour acheter cette crème sans problème.
Quoique. C'était un Scott. J'étais sûre qu'il pouvait obtenir une bête crème cicatrisante sans ordonnance.
Anthony posa sa main sur la poignée, mon ordonnance en main. « … Merci. » Je savais que ce merci n'était pas que pour la blessure. Mais pour tout. Je comprenais. Sauf que je fus incapable de prononcer un mot, me contentant de lui adresser un signe de tête, auquel il répondit.
Je tendais l'oreille, et je l'entendis traverser la morgue, et en sortir. Ce n'est que quand les portes claquèrent que je m'autorisais à m'effondrer sur le canapé et libérer mes larmes.
ຊ Mercredi 28 août 2002
Mads se tenait debout face au manoir d'Anthony Scott. Les mains dans les poches, il songeait à quel point il en avait assez de de voir sa sœur triste pour ce qu'elle était. Son identité était à la fois sa fierté : femme, elle avait toujours su ce qu'elle voulait ; lesbienne, elle vivait les plus belles histoires d'amour, qu'elles soient longues ou courtes ; vampire, elle profitait de sa condition pour toujours en apprendre plus et aider le plus de personnes. Et pourtant, cette même identité était un poids pour elle : elle évoluait dans une société machiste qui rejetait les créatures avec un père homophobe. Elle disait toujours qu'elle avait de la chance d'être entourée de son grand frère et de ses amis ; mais si Lorenzo la comprenait, ce n'était visiblement pas le cas d'Anthony Scott.
Comment lui en vouloir ? Ce n'était qu'un fils de bourge sur-protégé, élevé dans les idées Sang-Purs. Et quand il avait eu besoin de s'évader, il n'avait qu'à utiliser sa fortune personnelle pour faire la fête au Brésil quelques mois. Mads savait qu'il était comme Anthony. Mais contrairement à lui, il avait réalisé pas mal de choses sur la société. Notamment, en voyant sa sœur évoluer dedans. Alors oui, Anthony était un fils de bourge naïf qui avait besoin qu'on lui secoue les Doxys.
Le vampire continuait de regarder la bâtisse avant de se décider à entrer. Il toqua à la porte, et au bout de quelques secondes, un elfe de maison ridicule lui ouvrit. « Salut. Je suis Mads Thorvaldsen, et je veux voir ton maître Anthony Scott. » L'elfe fronça les sourcils, avant de commencer à refermer la porte. « Mon maître n'attend personne. » Mads cala son pied dans l'arche pour l'empêcher de lui claquer la porte au nez. Il était expert pour ce genre de geste. C'était comme ça qu'il s'était imposé lors de leur première visite chez les Thorvaldsen, avec sa sœur Thyra. « Ton maître ne s'attendait pas à me découvrir au Brésil, et pourtant, je suis la meilleure rencontre de sa vie. Aller, pousse-toi. » Mads força le passage sous les cris de l'elfe du maison, bientôt rejoint par un autre.
Bon. Aucune trace d'Anthony. Tant pis, Mads allait l'attendre. Il allait en profiter pour trouver des arguments… Et il savait comment. Si Anthony avait arraché des aveux à sa sœur avec des photos, il allait faire pareil. Il se doutait bien que son ancien ami avait gardé quelques souvenirs du Brésil… Le problème étant que son manoir était sûrement bardé de sortilèges en tout genre. Mais qu'importe, avec son passé de chasseur de trésor et briseur de sortilèges, il avait appris à passer outre les secrets ; excepté en Egypte, un pays bien trop protégé par une famille locale. Un manoir en cours de rénovation ne lui faisait pas peur !
Il lança un sort à sa baguette qui se transforma en boussole. Inspiré par le sortilège Pointe au Nord, au lieu de lui indiquer la position de ce qu'il cherchait. Pratique pour les objets protégés du sortilège d'Attraction. Mads passa devant les elfes de maison qui continuaient de couiner et de grogner, guidé par sa baguette. Il finit dans une sorte de bibliothèque, et fouilla dans un tiroir. Bingo. Il trouva ce qu'il voulait. Pour ajouter une touche de drame au tableau qu'il était en train de peindre, il alluma seulement la petite lampe à côté de lui et s'installa confortablement dans un fauteuil. L'un des elfes sortit de la bibliothèque en pleurant, l'autre continuait d'intimer à Mads de partir. Il ne voyait pas pourquoi obéir. Après tout, il était bien ici, n'est-ce pas ?
Son ouïe vampirique lui permit de savoir que quelqu'un approchait, malgré les grognements de l'elfe. « Mon maître n’aimerait pas que vous posiez vos pattes là-dessus. »« Tu ne veux pas te taire, un peu ? J'essaie de savoir qui approche. » Pourtant, il avait bien une petite idée, reconnaissant ce rythme qu'il avait fréquenté pendant plus d'un mois il y a 10 ans… Il y a des marches que l'on n'oublie pas. « Que fais-tu ici, Mads ? » Le vampire haussa un sourcil face à la baguette tendue vers lui. Anthony croyait vraiment qu'il avait une chance contre lui ? Certes, c'était un sorcier très doué, mais il n'avait pas plus de 90 ans. Mads inclina légèrement la tête et lui offrit un sourire narquois. « Bouh. »
Nullement impressionné, Anthony le regarda de haut en bas, avant de comprendre ce qu'il tenait entre ses mains. « Tu fouilles dans mes affaires maintenant ? En quoi regardaient ces clichés t’importaient pour entrer par effraction chez moi ? » Mads soupira, comme si il s'ennuyait déjà de la conversation à venir. « Il fallait que je te parle. »« Nous sommes désolés mon maître. Mais ce sorcier est tellement impertinent et arrogant que Bolpy n’a pu le contraindre à partir. » Bolpy, donc. Mads n'avait rien contre les elfes de maison, mais celui-là était décidément très bruyant. Heureusement, Anthony lui demanda, d'un signe de tête, de partir de là, avant de le regarder à nouveau. « Dois-je appeler les autorités pour cette violation de domicile ? Ou préfères-tu affronter quelques-unes de mes connaissances pour ce que tu es ? »« Ce que je suis ? » Demanda innocemment Mads. « Tu n’es pas le bienvenue ici, vampire. » Et voilà, ils y étaient.
Finalement, Anthony lui facilitait pas mal la tâche en abordant directement le sujet. Bon, cela paraissait évident. Finalement, son ami était très prévisible, du moins sur ce sujet-là. Toutefois, il oubliait que Thyra et Mads pouvaient l'être également. Ce dernier se contenta de prendre une photo dans le tas, et de la regarder. « Sur cette photo, vous étiez parti en randonnée. Quelques heures avant la prise de la photo, tu étais tombé et tu saignais. Thyra t'avait soigné en riant. Et pourtant, tu es là, à poser à côté d'elle, à la dévorer des yeux. Pas un seul instant tu avais pu soupçonner qu'elle luttait contre ses envies de boire ton sang. » Mads jeta la photo par terre, aux pieds d'Anthony pour qu'il puisse admirer le cliché, avant d'en attraper un autre. « Sur celle-là, tu te moquais d'elle parce qu'elle avait une mine maladive, et tu avais cru que c'était sa gueule de bois, alors que tu savais très bien qu'elle n'en avait jamais. En réalité, elle mourrait littéralement de faim. Enfin, littéralement…. Disons qu'elle était au bord de la folie. Et pourtant, elle attendait, toujours en riant et en faisant la fête, que tu t'écroules de sommeil pour aller chasser un animal dans la forêt et assouvir sa faim. Sauf que le sang d'animal ne rassasie jamais totalement. » Une nouvelle fois, Mads jeta le cliché, et commençait à faire défiler les photos une par une, en les jetant par terre. « Ici, elle a sauvé la vie d'un enfant qui avait manqué de se noyer dans la mer, là, elle te faisait goûter du mathé pour la première fois… Je continue ou tu as compris ? » D'un seul geste, Mads fit voler toutes les photos avant de reposer ses bras sur les accoudoirs du fauteuil. Le but de Mads était de mettre Anthony en face de ses propres contradictions. Il savait très bien qu'il pensait que les vampires étaient des monstres, sa sœur et lui compris. Pourtant, il avait vécu avec eux plusieurs semaines sans rien soupçonner.
Mads fixait Anthony du regard. Il ne savait pas quel effet avait ses paroles et son petit geste théâtral sur son ancien ami. Le vampire savait très bien qu'Anthony avait eu la même éducation que lui, avant sa transformation : ne jamais laisser ses émotions paraître. Impossible pour lui de savoir si ses paroles le touchaient… Ou si ce n'était qu'un coup de baguette dans l'eau. Il finit par soupirer, pour conclure. Il voulait simplement lui donner un petit coup, histoire de le réveiller. « J'étais venu te rappeler tous ces bons moments que vous avez eus, au Brésil, et même maintenant quand elle est revenue. Elle m'a raconté comment elle s'est bien amusée chez toi ou au bal… Avec toi. » Mads se levait du fauteuil, les mains dans les poches, comme prêt à partir. « Elle t'a déjà ouvert son cœur et t'a expliqué toute sa souffrance. Je ne vais pas te le répéter, mais juste te prévenir. Es-tu réellement prêt à perdre une amitié comme la votre juste pour quelques préjugés ? » Mads lui jeta un dernier regard éloquent, avant de commencer à sortir de la pièce. Comme à la morgue de sa sœur, il passa près de lui, comme pour lui remettre un dernier coup de pression, mais garda ses canines bien rangées dans sa bouche. En revanche, il fit attention à contourner les photos à terre, pour ne pas marcher dessus.
ຊ Mercredi 25 septembre 2002
« Je n'ai aucune idée de qui a pu faire ça. » « Ça ne fait pas longtemps que je travaille ici. Peu de personne savent que je suis vampire, hormis mon chef, qui se sert de ça pour combler les trous, comme je ne dors pas. » « On me traite de meurtrière sanglante alors que j'ai étudié la Médicomage 70 ans. Je peux bosser dans n'importe quelle branche. » Je n'avais pas lu l'article de journal qui parlait de moi, mais je me souvenais très bien de mes déclarations à la presse hier, qui s'était précipitée alors que je parlais avec les Aurors.
J'ai toujours aimé aller au travail. Mais ce matin, j'y étais vraiment allée à reculons. Hier, ma morgue avait été massacrée. Tous mes papiers étaient par terre, des tags avaient été inscrits sur les murs, mes blouses avaient été déchirées. Et je savais très bien pourquoi j'avais été visée : parce que j'étais une vampire. Je n'avais pas vraiment tout fait pour cacher ma nature, mais je ne l'avais dis à personne au boulot, sauf à mon boss ; et à mes amis. Normalement, personne ne pouvait le savoir… Sauf si certains s'étaient penchés sur l'histoire familiale des Thorvaldsen. Mais ça intéressait qui, au final ?
Face au saccage de mon lieu de travail, je me sentis découragée. Déprimée, encore plus qu'hier. Parce que je comprenais que je n'avais pas rêvé ce massacre. Je jetais à la poubelle la Gazette que j'avais achetée. J'avais pris l'habitude de l'acheter directement à l'hôpital les jours où je travaillais, mais je n'avais pas le cœur de la lire, alors que ma photo était imprimée. Au même moment, j'entendis quelqu'un arriver derrière moi. Je pensais qu'il s'agissait de Mads, qui venait prendre des nouvelles, ou de cet étudiant en Médicomagie, Mattéo Black, qui venait de temps en temps me taper la discussion, mais…
Je vis Anthony Scott. Par Merlin, mais que faisait-il ici ? « Toi aussi, tu viens me dire de partir dans un autre pays, ou pire, de me jeter dans un feu avec un pieu dans le cœur pour mettre fin à ma vie ? » Après tout, il avait été très clair. Notre amitié était désormais terminée. Je ne l'avais même plus vu depuis août. Il était trop occupé à chercher sa future femme, selon les journaux, et moi, j'étais trop occupée à profiter de ma nouvelle colocation pour mettre un pied dans le monde Sang-Pur. J'attendais la rentrée, pour ça. Bref, je ne pensais pas revoir le jeune homme avant plusieurs semaines, et encore moins sur mon lieu de travail personnel. Dans un service où j'aidais, ok, pourquoi pas. Mais à la morgue ? Il y avait mon nom -maintenant tâché de rouge- sur la porte, je ne pensais pas qu'il viendrait.
Pourtant, Anthony était là, à me regarder, puis regarder les lieux. Je vis son regard se poser sur ma chaise renversée, les tâches de peinture rouge sur les tables d'autopsie, les réfrigérateurs ouverts, où l'on pouvait voir apparaître, dans certains, les pieds des maccabés dans l'attente de leur enterrement, ou leur autopsie. Il descendit lentement les quelques marches qui séparaient l'entrée à la salle avant de se mettre à genoux et… De ramasser les feuilles par terre. Pardon. Anthony Scott qui ramasse quelque chose par terre autre qu'une bouteille d'alcool ou mon maillot sur la plage ? Je n'avais jamais vu ça. « Au nom de toute la royauté danoise, mais qu'est-ce que tu fais ? » Il ne me répondit pas, se contentant de jeter un oeil aux différentes feuilles pour faire des tas. Je ne savais pas trop comment il triait, mais bon… De toute façon, j'allais devoir refaire tous les dossiers de mes morts, de mes patients en vie, de mes papiers de travaux, de mes ordonnanciers vierges détruits…
Je le regardais faire pendant encore quelques secondes avant de m'y mettre moi aussi. Un silence s'installa entre nous, à la fois étrange, malaisant, mais en même temps… relaxant. Comme si nous avions retrouvé quelque chose qui nous manquait. Alors qu'il n'avait toujours pas décroché un mot… Je laissais Anthony s'occuper des papiers, et je m'occupais des meubles. Hormis les tables mortuaires, tout avait été renversé. A l'aide de ma force vampirique, je relevais mon imposant bureau, sa chaise, mes lampes à pied, mon canapé, la table d'auscultation, les quelques bibliothèques, le porte-manteau. J'aurai pu utiliser la magie, mais… Ça aurait été trop rapide. Je voulais laisser le temps à Anthony de prendre la parole.
Je finis par reprendre ma baguette pour lancer les sortilèges de réparation sur mes blouses blanches, qui redevenaient comme neuves. Je les accrochais au porte-manteaux, avant de lancer un sortilège de nettoyage sur mes tables d'autopsie, quand… Quand Anthony pris enfin la parole. Toujours en regardant mes papiers, mais au moins, il parlait. Il me demandait surtout ce qu'il s'était passé ici. « Les tags sur le mur ne te donnent pas d'indice ? » Mon ton était un peu sec, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Il avait beau m'aider à ranger, je ne savais toujours ce qu'il faisait ici. Mais je me repris, en essayant de contrôler ma colère, pour répondre plus doucement : « Hier matin, tout allait bien quand je suis arrivée. Hier après-midi, je suis allée aider en chirurgie pour une opération. En revenant à la morgue… Tout était dans cet état. Je ne sais pas qui est venu, et comment ils ont su pour ma… Nature. » Je prononçais prudemment ce dernier mot. Je savais très bien ce qu'il en pensait, et je ne voulais pas en rajouter une couche.
« J'ai prévenu les Aurors, qui sont venus voir. L'enquête est en cours, ils me tiendront au courant. Et on m'a donné quelques jours de congé, le temps que je range tout ça. » Et que je prenne du temps pour moi, mais je ne comptais pas lui dire. Et puis, le rangement allait plutôt vite avec lui qui prenait le temps de ramasser mes papiers… Tout en parlant, j'effaçais magiquement les tags du mur, et je fermais les portes réfrigérées. En espérant que mes morts n'avaient pas trop décomposé, du moins, ceux que je n'avais pas encore autopsier… « Merci. D'avoir ramassé tous les papiers. » Je dûs m'approcher de lui pour jeter un oeil aux tas qu'il avait fais. Même si j'allais devoir repasser derrière lui pour les ranger dans les bonnes pochettes, il m'avait pas mal avancée. « T'es vraiment pas obligé de rester, tu sais. Je sais combien ça te coûte d'être en ma présence, alors… » J'avais bien remarqué sa position défensive, quand il m'avait confrontée sur mon passé. Je l'avais vu tendu les deux fois où j'avais dû le soigner. Et pourtant, il me proposa de venir boire un verre chez lui. J'haussais un sourcil en me tournant vers lui. J'étais plus que surprise, j'étais carrément choquée. « T'es sérieux ? » J'hésitais un instant. Est-ce que c'était un piège ?
Pourtant, en le regardant, je ne voyais aucune trace de malice, ou de danger. Il proposait ça… Sérieusement. Je finis par hausser les épaules. « Pourquoi pas, après tout. Je comptais déjà aller terminer une bouteille au bar… » Autant que ce soit chez Anthony, qui avait de très bons alcools. « Attends, je fais un dernier nettoyage… » Je repris ma baguette pour jeter un dernier sort sur la porte d'entrée, où se trouvait mon nom tâché. J'avais encore un peu de rangements à faire demain, mais je ne voulais pas voir ça en arrivant. Puis je fis bien attention à fermer la porte à clé, avant de rejoindre Anthony. « Je suis prête. » Le jeune homme me tendit un bras, presque hésitant, comme si il regrettait déjà son invitation. Alors, le plus doucement possible, je posais ma main dessus, et on transplana.
On arrivait à son manoir. Je ne pensais pas revenir un jour ici. Silencieusement, je le suivis, à travers l'entrée, puis dans un salon. Machinalement, je regardais la décoration autour de moi pendant qu'Anthony préparait les verres. Une pile de papiers colorés m'interpella. En m'approchant, je me rendis compte que c'était des photos. Des photos de nous au Brésil. Je ne pus m'empêcher de prendre la pile pour les regarder une par une. « Je vois que tu as gardé ça… Tu cherchais des pistes qui auraient pu te dire qui j'étais, déjà à cette époque, avant de les jeter théâtralement au feu pour dire adieu à ces souvenirs ? » Je me moquais, un peu amèrement. Parce que si j'avais raison, ça me brisait un peu plus le cœur dans cette rupture. Parce que moi, je ne comptais pas renoncer à ça. Sauf que sa réponse me surprit. « Ces photos ont été trouvées par Mads ? Il est venu ici ? Mais quand ? » Jamais mon frère ne m'en avait parlé.
ຊ Samedi 5 octobre 2002
Un repas bien Sang-Pur avait été organisé. Il semblait immense, avec multiples familles invitées. Moi la première, j'avais reçu mon carton d'invitation. Mads avait décliné, pourtant, je décidais d'y aller. Seule ? Je pourrais, telle la femme forte et indépendante que j'étais. Et pourtant, j'avais un cavalier, et pas n'importe lequel. Andrew Scott, alias le démon blanc, l'aîné de sa famille.
Ça n'avait même pas été calculé. Après avoir reçu l'invitation, j'étais dans notre colocation et je cherchais avec Aliénor une robe pour ce soir-là. Andrew était venu pour rendre visite à Karoline, et de fil en aiguille, il m'apprit qu'il était aussi invité à cette soirée. Ce qui semblait évident. Par contre, j'étais un peu surprise quand il me proposa de l'accompagner… Lui aussi était seul. Pourquoi pas, après tout. Il fallait bien faire parler tout ce monde-là ! Et je sus que j'avais fais le bon choix quand on arriva dans la salle de banquet. Il était splendide dans son smoking, avec beaucoup de charisme. Quand à moi… Je savais que j'étais super sexy. Je portais une robe noire courte avec des talons gigantesques qui mettaient en valeur mes longues jambes. Je m'étais maquillée généreusement, pour me faire des yeux de chat de sorcière, avec un rouge à lèvre rouge, qui rappelait ma nature vampirique.
Après l'accident qu'il y avait à la morgue, je voulais prouver à tous que cela ne m'avait pas brisée. Bien au contraire. Maintenant, j'assumais totalement qui j'étais. Alors, c'est la tête haute que je suivais le serveur qui nous accompagnait à nos places. Il y avait un plan de table, qui restait inconnu, et qui se dévoilait au fur et à mesure de l'arrivée des invités. Andrew et moi-même étions les premiers à notre table, alors, nous bavardions le temps que d'autres arrivent.
« Votre table, madame, messieurs. Nous avons pensé judicieux de vous placer à côté de votre fils et de sa cavalière, Mr. Scott. » Andrew et moi levions les yeux… Et nous aperçûmes Arthur Scott, accompagné de sa femme, et de son fils Anthony. Merde. « Je vous souhaite une très belle soirée, mesdames, messieurs. » Andrew, en bon gentleman, se leva pour saluer ses parents. « Mère, Père, Anthony, il me semble que vous connaissez Miss Thyra Thorvaldsen, qui a accepté d'être ma cavalière de ce soir. » Toujours assise sur ma chaise, je leur souris. Selon l'étiquette Sang-Pur, il était toujours poli que les plus jeunes se lèvent pour saluer les arrivants les plus anciens. Chose que j'aurais faite, deux mois auparavant. Mais comme je savais très bien que j'étais plus vieille que Arthur Scott, je ne bougeais pas mes fesses. « Arthur, quel plaisir de vous voir ! C'est donc avec vous que nous allons dîner ? Je suis ravie de cette nouvelle… Oh, pardonnez-moi si je vous appelle par votre prénom, mais c'est l'usage, quand deux personnes sont de la même génération… Ou presque. » Andrew cacha son sourire, et se rassit à côté de moi après avoir aidé sa mère à s'asseoir. Les deux autres Scott en firent autant.
Arthur Scott… Je n'avais jamais apprécié nos rencontres. La première fois, il m'avait parlé comme si j'étais une jeune fille naïve qui venait de faire ses débuts dans le monde. La seconde fois, il avait déclaré devant tous nos interlocuteurs que même si j'étais la cavalière de son fils, je n'étais que provisoire. Comme si je n'étais qu'un passe-temps. Maintenant, j'avais la haine contre lui et ce qu'il représentait : tous ces pères de famille Sang-Pur qui se pensent tous supérieurs à tout le monde. Maintenant, il était temps de renverser la tendance. Oui, j'étais une femme célibataire. Oui, j'étais une vampire. Mais j'avais de l'expérience, un bon métier et surtout, un cerveau, contrairement à ce que la plupart des hommes pensaient. Il était donc temps de bien replacer les choses, et surtout, le remettre à sa place.
Avec un grand sourire, je me tournais vers la matriarche Scott. « Lucy, c'est cela ? Je suis ravie de vous rencontrer. Andrew me disait justement que vous aviez 6 enfants… Je suis admirative ! » Je me tournais vers Arthur, toujours mon grand sourire plaqué sur le visage. « J'aurai dû rester en Angleterre, j'aurai pu voir avec vous tous vos enfants grandir… Ça donne presque envie d'en avoir nous-même ! » Pour cacher… je ne sais pas, son sourire, son amusement, Andrew attrapa son verre de vin pour en boire une gorgée, avant de se tourner vers son frère. « Comment s'est passée la rentrée ? » Ah oui, c'est vrai que Anthony était professeur, maintenant… Je plaquais un sourire poli sur mon visage, tout en sirotant mon propre verre. « Quant à moi, je suis toujours occupé au bureau. Malgré ma défense du Maître du Jeu, mon agenda ne désemplit pas. Et les Fondateurs occupent bien mon temps, également. » Ah, le grand avocat bien occupé… Il n'était pas aussi guindé, à la colocation. En le regardant de plus près, je me rendis compte qu'il était un peu plus tendu qu'à notre arrivée. A cause de ses parents ? Mads m'avait déjà confié qu'être l'héritier d'une famille n'était pas toujours évident.
La conversation marqua une pause quand les assiettes apparurent sur les tables, comme par magie. Autour de moi, des bruits de couverts commencèrent déjà. J'étais l'une des seuls à ne pas avoir d'assiettes, mais un grand verre à pied opaque. Face au regard interloqué de ses parents, Andrew expliqua : « L'organisation a fait la différence entre les sorciers et les vampires. C'est un bar qui a fourni les cuisines. » Mon sourire s'agrandit. « C'est fou comme la société évolue, vous ne trouvez pas, Arthur ? A mon époque et la votre, nous, les vampires, étions invisibles… Maintenant, nous sommes toujours aussi mal vus, mais heureusement que nous avions des soutiens… » J'attrapais mon verre opaque pour le porter à mes lèvres. « Que les choses changent, en 70 ans ! » Je jetais un regard à la famille Scott. Alors, comment allez-vous réagir, désormais ? :copyright:️ Justayne
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ຊ It was love, in your eyes, Now it haunts me every night ຊ
Nous sommes le mercredi 28 août 2002. Anthony est issu de la célèbre famille de sorciers au sang-pur, les Scott. Jumeau d'Alice, cadet d'Andrew et Calvin, et aîné d'Angelo, Anthony vient tout juste de terminer ses études à Poudlard. Bien décidé à apprendre de nouvelles choses avant son entrée à l'université, il a pris une année sabbatique pour voyager sur le continent américain.
It's Saturday night ! I swear to God, I ain't ever gonna repent
Mads paraissait nullement impressionné. Il ignorait superbement la baguette qu’Anthony pointait sur lui. Après tout, il était un vampire. Anthony se rappelait très bien des avertissements de ses aïeuls sur ces créatures : rapides, fortes, agiles, manipulatrices. Il devait rester sur ses gardes, car une baguette ne faisait clairement pas le poids face à ce type de créatures.
Les doigts du vampire parcoururent les photos éparpillées sur la table.
« Sur cette photo, vous étiez parti en randonnée. » dit-il en en prenant une. « Quelques heures avant la prise de la photo, tu étais tombé et tu saignais. Thyra t'avait soigné en riant. Et pourtant, tu es là, à poser à côté d'elle, à la dévorer des yeux. Pas un seul instant tu avais pu soupçonner qu'elle luttait contre ses envies de boire ton sang. »
Mads eut un sourire avant de lancer la photo au sol, juste aux pieds d’Anthony. Ce dernier sentit les battements de son cœur s’accélérer. Il n’osait pas baisser les yeux vers le cliché pourtant il se souvenait comme s’il s’agissait d’hier la blessure qu’il avait récolté en randonnée. Ils étaient partis explorer sur le sentier du Corcovado pour explorer la ville de Rio en son sommet. Et maintenant qu’il se faisait la réflexion, il ne s’était jamais senti en danger aux côtés de Thyra.
Ce jour-là, elle avait plaisanté sur cette blessure « de guerre » disant que cela enthousiasmerait certaines filles. Elle n’avait montré aucune difficulté. Pas de crocs, pas d’yeux injectés de sang. Rien. Elle s’était montrée aussi professionnelle que la dernière fois qu’il était allé se faire soigner par elle. Mais à la différence que là-bas, Anthony et elle étaient seuls. Ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines. Il n’y aurait eu aucun témoin si elle l’avait vidé de son sang. Anthony aurait simplement disparu. Elle aurait pu le tuer. Elle aurait pu céder à son envie. Pourquoi ne l’avait-elle pas fait ?
« Sur celle-là, tu te moquais d'elle parce qu'elle avait une mine maladive » poursuivit Mads. « …, et tu avais cru que c'était sa gueule de bois, alors que tu savais très bien qu'elle n'en avait jamais. En réalité, elle mourrait littéralement de faim. Enfin, littéralement…. Disons qu'elle était au bord de la folie. Et pourtant, elle attendait, toujours en riant et en faisant la fête, que tu t'écroules de sommeil pour aller chasser un animal dans la forêt et assouvir sa faim. Sauf que le sang d'animal ne rassasie jamais totalement. »
Un poids tomba dans son estomac et Anthony déglutit. Il se sentait idiot de n’avoir jamais fait le lien avec sa condition auparavant. Il y avait tellement de signes. Et pourtant, ce que disait Mads n’avait aucune raison logique. Rien ne correspondait avec ce qu’on lui avait enseigné des vampires. Là, à l’écouter déblatérer sur les photos de leurs souvenirs, à les jeter à ses pieds, il se rappelait combien il avait toujours trouvé Thyra bienveillante. Elle était plus qu’une femme sexy, désirable et intelligente. Elle était douce, patiente et remplie de bonnes intentions. C’était pour cela qu’au départ, Anthony n’avait pas souhaité lui parler des Scott, de sa famille, de la guerre contre les Moldus. Et encore moins aujourd’hui, il n’avait souhaité lui parler de son passé de Mangemort. Si elle l’avait appris, cela aurait brisé ses rêves. Elle avait toujours vu le meilleur en lui et c’était ce qu’il aimait le plus chez elle : sa capacité à toujours croire en les autres.
Mais cela ne collait pas avec l’image des vampires qu’on lui avait inculqué. Rien ne collait. Essayait-on de le manipuler ? C’est ce qu’aurait dit son père. Que les vampires cherchaient à lui embrouiller l’esprit pour qu’il leur fasse confiance et qu’il frappe au moment où il se relâcherait le plus. Mais quand il avait été blessé lors de cette randonnée, ou bien quand elle mourrait de faim, n’aurait-elle pas pu s’abreuver de lui ? Pourquoi lui avait-elle laissé la vie sauve ? Dans quel but ? Attendait-elle quelque chose de lui ou était-ce … encore une fois de la bienveillance ?
Deux sentiments s’opposaient en lui : devait-il croire ce que l’on lui avait toujours indiqué sur les vampires et considérer que Thyra avait profité de son amitié avec Anthony dans un but précis ? Ou bien devait-il laisser tomber ses préjugés et se fier à son instinct, celui qui lui disait que Thyra avait toujours eu une bonne âme ?
« Ici, elle a sauvé la vie d'un enfant qui avait manqué de se noyer dans la mer, là, elle te faisait goûter du mathé pour la première fois… Je continue ou tu as compris ? »
Mads fit voler les dernières photos à ses pieds et Anthony plissa les yeux. Le vampire était excédé mais ne manifestait aucun signe de violence ou d’agressivité. Pourtant, Anthony maintenait toujours sa baguette entre eux, comme une barrière qui se révélerait inefficace.
« Où veux-tu en venir ? » grinça-t-il.
Il voulait l’entendre. Il voulait savoir pourquoi Mads était là, à défendre l’intérêt de sa sœur.
« J'étais venu te rappeler tous ces bons moments que vous avez eus, au Brésil, et même maintenant quand elle est revenue. Elle m'a raconté comment elle s'est bien amusée chez toi ou au bal… Avec toi. »
Si Thyra avait voulu tirer profit de leur amitié … dans quel but ? Jamais elle ne s’était servie de lui. Il avait beau fouillé dans sa mémoire, rien de pertinent ne lui venait. Jamais elle ne s’était servie de sa relation avec lui. C’était le même contraire. Elle était juste … heureuse d’être là.
Anthony resserra sa poigne sur la baguette, comme se faisant violence pour ne rien laisser paraître sur son visage.
« Et donc toi, tu es le preux frère venant défendre sa cause ? »
Il ne trouvait rien à répondre. Rien de pertinent. Rien de son arrogance habituelle. Il ne parvenait qu’à sortir une pauvre phrase du genre. Les paroles de Mads avaient fait mouche mais il ne voulait rien laisser paraître. Le vampire soupira mais se leva finalement du fauteuil.
« Elle t'a déjà ouvert son cœur et t'a expliqué toute sa souffrance. » dit-il. « Je ne vais pas te le répéter, mais juste te prévenir. Es-tu réellement prêt à perdre une amitié comme la vôtre juste pour quelques préjugés ? »
Leurs regards se croisèrent. Ce regard qu’Anthony avait tant aimé, admiré et jalousé parfois. Mads avait cette assurance naturelle qu’Anthony enviait. Il comprenait aujourd’hui que c’était des décennies de travail. Et une nouvelle fois, Anthony n’avait rien à répondre à Mads. Il laissa retomber sa baguette mollement contre lui alors que le vampire passait à côté de lui, évitant soigneusement de marcher sur les photos au sol. Anthony ne se retourna pas quand il entendit la porte se refermer doucement derrière lui, puis la voix de Bolpy qui suivait Mads surement jusqu’à la porte d’entrée.
Mads était parti. Sans boire son sang. Sans l’attaquer.
Juste pour parler.
Anthony se pencha au sol et prit entre ses doigts le premier cliché que le vampire lui avait désigné. Thyra était aussi belle qu’aujourd’hui, éternellement d’une beauté époustouflante. Elle soutenait Anthony d’un bras sur son épaule tandis qu’il la regardait sourire. Déjà à ce moment-là, il craquait pour elle. Mais ce n’était pas tant son physique. C’était tout chez elle qui lui plaisait. Plusieurs fois il avait pensé qu’elle était la femme qu’il aurait aimé épouser. La seule. L’unique.
Et elle était vampire.
Mercredi 25 septembre 2002
Un mois s’était écoulé depuis la visite de Mads Thorvaldsen. Anthony s’était efforcé de mettre dans un coin de son esprit Thyra et tout ce qui le reliait à elle pour se concentrer sur la rentrée des classes.
Une nouvelle année avait débuté et Anthony avait pris ses fonctions au château en tant que professeur de Runes. Préparer les cours, corriger les évaluations, donner des points à ceux qui répondaient justes. Anthony s’ennuyait à mourir. Rien de tout ça n’était son élément. Pourtant, il prenait autrefois un malin plaisir à repérer les jeunes recrues et à pousser d’autres dans la faute. Mais depuis cet été particulier, il semblait avoir perdu tout ce qui animait son quotidien. Même pénétrer dans l’esprit des autres ne l’amusait plus. De plus, l’arrivée du « Sauveur » dans le tableau de Grande-Bretagne venait perturber tous les plans d’Angelo Scott qui était d’une humeur massacrante depuis.
Et puis, hier matin, au petit-déjeuner où les hiboux arrivaient dans la Grande Salle pour déposer le courrier, Anthony avait vu s’afficher à la Une de la Gazette l’attaque qu’avait subi Thyra Thorvaldsen. Sa morgue avait été vandalisée et des inscriptions racistes avaient été inscrites sur chaque mur de son bureau. Cette nouvelle aurait dû réjouir Anthony, ou du moins lui donnait une petite satisfaction. Remettre un vampire à sa juste place faisait parti de son travail, de ses valeurs même ! Mais en voyant la photo de Thyra en noir et blanc, regarder autour d’elle d’un air désemparé, il ne ressentait aucune joie, ni aucun plaisir. Son esprit s’agitait, comme réclamant de l’entourer d’une présence réconfortante, de connaître ce qu’elle ressentait.
Une vampire … une vampire n’avait pas de sentiments. C’était ce qu’on lui avait inculqué. Mais Thyra en avait toujours eu. Oui, ça Anthony en était sûr. Depuis sa discussion avec Mads, il y avait beaucoup réfléchi. Thyra était peut-être une vampire différente des autres ? Tout le monde n'était pas à mettre dans le même sac. Thyra était … Thyra était différente. Et peut-être que cet article lui signifiait qu’il était temps d’arrêter cette mascarade ?
Aussi, ce matin-là, après avoir annulé sa session de cours particuliers, Anthony avait quitté Poudlard pour se rendre à Londres, à l’hôpital Sainte-Mangouste. Pour la première fois de sa vie, il n’avait aucune idée de ce qu’il allait pouvoir dire ou faire. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il devait se rendre sur place. Après la presse, après la visite des Aurors et Brigadiers.
Il était 10h30 quand il avait emprunté l’ascenseur qui menait au sous-sol, où se trouvait la morgue de Thyra. Il était venu là plusieurs semaines auparavant dans un tout autre état d’esprit. L’ascenseur sonna et les portes s’ouvrirent. Anthony franchit le seuil et commença à avancer dans le couloir aux lumières sombres et glauques. Une odeur de brûlé commençait à se faire sentir et Anthony ne tarda pas à arriver devant le bureau. Le nom de Thyra avait été barré d’une peinture rouge et la porte avait été comme carbonisé avec un sortilège de feu. A l’intérieur du bureau, Thyra était là, jetant violemment un exemplaire de la Gazette à la poubelle. Presque aussitôt, elle sentit sa présence. Sans doute normal pour une vampire. Leurs regards se croisèrent et immédiatement, Thyra plissa les yeux, sur ses gardes.
« Toi aussi, tu viens me dire de partir dans un autre pays, ou pire, de me jeter dans un feu avec un pieu dans le cœur pour mettre fin à ma vie ? » lança-t-elle.
Cette phrase voulait signifier sa colère et son venin. Mais elle apparaissait surtout lassée et déprimée.
Les mains dans les poches, Anthony l’observa un instant avant de parcourir le reste de la morgue des yeux. Les chaises avaient été retournées, certaines ayant un pied cassé. Les blouses blanches de Thyra étaient étalées sur le sol, certaines déchirées, d’autres brûlées. Des inscriptions avaient été écrites sur les murs. On pouvait y lire des insultes désignant familièrement le terme de vampire, mais des menaces avaient été aussi peintes. Un corps avait dû être sorti du réfrigérateur quelques heures plus tôt : des pieds dépassaient encore. Les meubles avaient été renversés et les manuels et parchemins s’étalaient sur le sol dans un fouillis sans nom.
Les vandalistes n’y avaient pas été de main morte. Anthony ignorait totalement de qui il s’agissait. Des Blue Dragons ? Ou des gens lambdas ? Peu importait après tout. Même si Anthony pensait en son for intérieur qu’il aurait certainement pris plaisir à reproduire la même chose sur leurs corps.
Il descendit finalement les marches et, en silence, commença à ramasser les feuilles de parchemins éparpillées au sol.
« Au nom de toute la royauté danoise, mais qu'est-ce que tu fais ? » s’agaça Thyra au-dessus de lui.
C’était surement une surprise. Anthony ne se baissait quasiment jamais. Jamais.
Il ne répondit pas, lèvres pincées, et continua à rassembler les papiers en un tas. Les papiers n’allaient certainement pas ensemble. Certains abordaient le nom d’un certain Harry Jonkins, tandis qu’un autre parlait du couple Clare décédé dans un incendie. Qu’importait. Il faudrait certainement que Thyra use d’un sortilège de tri pour reranger tout dans ses dossiers. Le tout était de ramasser les papiers au sol pour pouvoir passer un bon coup de balai ensuite.
Au bout d’un moment, Thyra cessa de l’observer et se mit aussi à ranger. Sans qu’ils n’aient besoin de communiquer, ils s’appliquèrent chacun à une tâche. Anthony ramassait les papiers, s’efforçant de faire un premier tri peu évident pour une personne extérieure à la Médicomagie, tandis que Thyra remettait les meubles sur pied et essayait de nettoyer les tâches de peinture rouge.
Plusieurs minutes passèrent sans qu’aucune parole ne soit échangé. Pourtant, quand Anthony se redressa pour poser sur le bureau récemment remis à sa place, il leva les yeux vers Thyra qui remettait les blouses en place. Elle lui tournait le dos. Ses cheveux noirs tombaient en cascade dans son dos et ses gestes étaient précis pour ranger correctement. Mais sans être Légilimens, il pouvait sentir toute la tension qui émanait de son corps. Sa présence ne devait pas aider. Il devait tenter quelque chose …
« Les dégâts sont assez conséquents. » observa-t-il en se concentrant sur les papiers à trier. « Que s’est-il passé exactement ? »
Thyra se tourna vers lui.
« Les tags sur le mur ne te donnent pas d'indice ? » lança-t-elle d’un ton claquant. « Hier matin, tout allait bien quand je suis arrivée. Hier après-midi, je suis allée aider en chirurgie pour une opération. En revenant à la morgue… Tout était dans cet état. Je ne sais pas qui est venu, et comment ils ont su pour ma… Nature. »
Anthony hocha la tête et ramassa un nouveau paquet de feuilles sur le sol pour les poser sur le bureau, essayant de faire des piles équilibrées.
« J'ai prévenu les Aurors, qui sont venus voir. L'enquête est en cours, ils me tiendront au courant. Et on m'a donné quelques jours de congé, le temps que je range tout ça. » « C’est une bonne chose. » répondit-il seulement.
Son ton était froid, détaché. Il n’arrivait pas à parler avec la chaleur qui caractérisait autrefois leurs échanges. Pourtant, il désirait y arriver. Elle aussi était en colère et prudente. Normal. Chacun d’eux était sur ses gardes. Était-il vraiment possible d’arranger encore les choses entre eux ?
« Merci. D'avoir ramassé tous les papiers. »
Anthony leva enfin les yeux vers elle. D’un coup de baguette, elle avait retiré les inscriptions racistes et les portes des réfrigérateurs s’étaient refermées d’un coup sec. Encore une fois, Anthony ne trouva pas quoi répondre et inclina seulement la tête.
La jeune femme le regarda avant de s’avancer vers lui. Tout son corps se tendit pourtant il ne recula pas. Elle dut le sentir puisqu’elle s’arrêta à une distance raisonnable avant d’observer les tas qu’il avait fait.
« Ce n’est surement pas ta méthode de rangement … mais c’est un petit avancement. » dit-il.
Il tenta son fameux sourire en coin mais ce n’était surement pas une grande réussite. Encore une fois, Thyra dut sentir ses réticences puisqu’elle déclara :
« T'es vraiment pas obligé de rester, tu sais. Je sais combien ça te coûte d'être en ma présence, alors… »
Un tic nerveux tressauta sur la joue d’Anthony lorsqu’il releva ses yeux vers le visage de Thyra. Il y avait des mois maintenant qu’il n’avait pas été aussi proche d’elle.
Il était étrange de voir tout son corps se tendre, comme la raison qui voulait prendre possession de lui. Vampire semblait être inscrit sur le front de Thyra comme un néon d’avertissement. Pourtant, autre chose en lui l’intimait de se calmer. Les paroles de Mads flottaient autour de lui et le manque qu’il ressentait depuis des mois revint se ficher au creux de sa gorge.
« Est-ce que … tu veux venir boire un verre à la maison ? » proposa-t-il. « T'es sérieux ? » répondit-elle, étonnée.
Autrefois Anthony avait fait une croix sur Thyra et sur l’espoir d’être son amant. Thyra aimait les femmes et rien ni personne ne changerait cela. Aussi, si Anthony s’était fait une raison là-dessus, il pouvait désormais s’en faire une sur sa condition ? Elle était lesbienne. Et elle était vampire. C’était ainsi. Il ne pourrait rien y changer. Mais elle resterait sa meilleure amie. Celle avec qui il aimait plaisanter jusqu’aux petites heures du matin. Celle avec qui il aimait danser aux soirées mondaines. Celle avec qui il se sentait entier et lui-même.
« Je ne te le proposerai pas sinon. » dit-il seulement.
Thyra hésita un court instant avant de déclarer :
« Pourquoi pas, après tout. Je comptais déjà aller terminer une bouteille au bar… »
Il eut un sourire, cette fois-ci plus naturel que le précédent. Il reconnaissait bien là Thyra.
« Attends, je fais un dernier nettoyage… »
Elle jeta un nouveau sortilège de nettoyage sur la porte tandis qu’Anthony la précédait dans la sortie. Un nœud persistait dans sa gorge comme un rappel des choses qu’il ne disait pas. Mais son esprit semblait se réjouir de l’idée d’accueillir Thyra chez lui. Il flottait autour de la tête de la jeune femme comme désirant connaître ses sentiments là-dessus. Était-elle nerveuse elle aussi ? Inquiète ? En colère ? Joyeuse ?
Lui avait-il manqué ?
« Je suis prête. » déclara-t-elle finalement.
Dans le couloir du sous-sol, ils étaient seuls. Elle pourrait très bien le plaquer contre un mur et boire jusqu’à la dernière goutte de son sang. Elle pourrait.
Anthony tendit son bras vers elle. Il devait trembler légèrement mais pourtant il était sûr de son geste. Elle posa sa main sur son bras, ses yeux noirs plongés dans les siens, et Anthony transplana.
Ils arrivèrent à Fort Williams, en Ecosse, devant le manoir d’Anthony. Ici le temps était brumeux et une brise froide plaquait leurs cheveux dans le dos et le cou. Ils s’engouffrèrent à l’intérieur sans un mot. Anthony remarquait alors qu’il n’entendait pas les pas de Thyra. C’était comme si elle flottait derrière lui. Silencieuse … dangereuse. Un vampire avait ces caractéristiques mystiques. S’il se penchait assez vers elle, il n’entendrait aucun battement de cœur. Rien.
Ils entrèrent dans le salon et Anthony se dirigea machinalement vers la table basse sur laquelle les elfes de maison laissaient toujours des verres propres. Occupé à verser un peu d’Hydromel aux épices brésiliennes, il ne vit pas Thyra s’approcher du meuble sur lequel il avait laissé les photos que Mads avait retrouvé lors de sa dernière visite.
« Je vois que tu as gardé ça… »
Anthony redressa la tête et reposa le premier verre sur la table basse.
« Tu cherchais des pistes qui auraient pu te dire qui j'étais, déjà à cette époque, avant de les jeter théâtralement au feu pour dire adieu à ces souvenirs ? »
Son ton était amer mais le regard qu’elle portait sur les photos était plein de nostalgie.
« Pas vraiment, non. » répondit-il. « C’est Mads qui les a sortis d’un carton. »
La visite du vampire lui avait laissé un drôle de sentiment.
« Il a dû fouiller longtemps. » ajouta-t-il, pensif. « Je pensais les avoir remisés au dernier étage. » « Ces photos ont été trouvées par Mads ? » l’interrompit Thyra. « Il est venu ici ? Mais quand ? »
Elle leva un regard surpris vers lui et il fronça les sourcils.
« Il ne t’a rien dit ? »
Puis il lâcha un rire sans joie.
« Evidemment que non, il ne t’a rien dit. »
Il baissa les yeux pour remplir le deuxième verre avant de s’approcher de Thyra. Il tendit le verre vers elle et leurs doigts se frôlèrent. Les siens étaient froids, comme à leur habitude.
« Je crois que son intention première était de me décapiter pour t’avoir causé de la peine. Mais il semblerait qu’il se soit assagi puisqu’il a simplement voulu discuter. »
Il déglutit. Malgré sa touche d’humour, il avait encore du mal à regarder Thyra, même s’ils étaient proches physiquement. Un malaise persistait, comme si chacun savait qu’au moindre faux pas, leur paix fragile volerait en éclats.
Anthony se décala pour se laisser choir un fauteuil près de l’âtre avant de faire léviter son verre d’un claquement de doigts.
« Il est venu peu avant la rentrée de septembre. Il s’était incrusté chez moi sans invitation et a failli rendre fou mes elfes de maison. » expliqua-t-il. « Ça ressemble bien à Mads … »
Son doigt au-dessus du verre initiait un mouvement de rotation dans le liquide avant qu’il ne se décide à en boire une gorgée. Thyra intervint une nouvelle fois, insistant pour savoir ce qu’il lui avait dit. Cette fois-ci Anthony leva les yeux vers elle.
« Me dire que j’étais un idiot. Entre autres. Mais, ça, tu le savais déjà. »
Son regard se fit plus profond tandis qu’il penchait légèrement le menton en avant.
« Je … »
Et voilà qu’il perdait ses mots. Il ne se laissait jamais avoir par l’émotion. Jamais. C’était interdit. Il se racla la gorge et reprit après une inspiration :
« Depuis que je suis enfant, j’ai toujours appris à haïr les moldus et les créatures. C’est … mon éducation. Et, je pense que cela va te choquer … ou pas … je ne sais pas en faites. Mais je dois te le dire : c’est aussi ce que j’ai appris à accepter de penser. »
Il se força à la regarder droit dans les yeux pour lui dire ça. Il voulait être sincère avec elle. Ne plus cacher ce qu’il était, ce qu’il pensait.
« Laisse-moi parler. S’il te plait. »
Il leva une main entre eux, l’intimant à l’écouter avant de dire quoi que ce soit d’autre.
« Mes frères, ma sœur et moi avons toujours fonctionné ainsi. Nous sommes les Scott. Nous avons une réputation. Un entourage puissant. Des demeures impressionnantes. Un patrimoine à respecter. »
Il leva les bras au-dessus de lui. Un sourire de fierté illuminait son visage. Il était facile de comprendre à quel point il aimait sa vie et ses richesses.
« J’aime ce que je suis. Et je ne changerai certainement jamais. Mon tort a été de te taire mes opinions. Mais peut-être que cela aurait causé plus rapidement la fin de notre amitié. Je ne t’ai jamais dit par exemple que j’ai été un Mangemort. J’ai torturé. J’ai tué aussi. J’ai très peu de remords. J’en ai. J’en fais des cauchemars. Mais … j’aime ma vie et je ne la changerai pour rien au monde. Je suis aussi ravi d’être très bientôt fiancé et de faire ce pour quoi je suis venu au monde. »
Il déglutit. C’était la première fois qu’il exprimait tout cela à voix haute. Et il n’était pas certain que Thyra voudrait encore lui parler ensuite. Mais il devait continuer.
« Tout ça pour dire que c’est ce que je suis. Mais … je ne peux pas nier que tu me manques. Que ton amitié m’a été précieuse. Et que ses souvenirs … »
Il désigna de sa main les photos derrière eux.
« … me sont chers. Mads a raison. Tu n’es pas un vampire comme ceux que j’ai appris à détester. Et je dois bien admettre que Mads, malgré certains aspects de sa personnalité, a l’air d’être un vampire à peu près sérieux. »
Il secoua la tête, comme chassant les souvenirs qui lui venaient en tête. Mads aimait la fête et il préférait sans doute ignorer les fêtes qu’il se réservait en tant que vampire.
« Tu es une personne merveilleuse, Thyra. Ma meilleure amie en faites. J’ai toujours aimé ta douceur, ta bonté, ta gentillesse. Tu es empathique et je suis forcé de constater que tu as toujours su maîtriser tes pulsions de vampire. Jamais je ne me suis senti en danger à tes côtés. »
Il déglutit.
« Je me doute que ce que je suis te dégoûte. Mais je voulais que tu saches que … j’aimerais te retrouver. Si tu me donnes une nouvelle chance. Je sais que je ne la mérite pas. Avec toi, je n’ai jamais mérité la façon dont tu me regardais ni tout ce que tu m’as offert. Tu es une perle et je l’ai toujours dit. Je regrette ce que je t’ai dit et j’aurai du prendre le temps de mieux réfléchir. »
Un silence tomba entre eux. Anthony avait les yeux perdus dans le vague en analysant tout ce qu’il venait de dire tandis que Thyra devait sans doute préparer sa réponse. Aussi, avant qu’elle n’ouvre la bouche, Anthony se leva.
« Attends, j’ai une dernière chose à te montrer. »
Il avait pris sa décision. Il devait le faire. Il poussa un soupir et lança un sortilège d’Attraction.
« Je ne te montre pas ça pour que tu me prennes en pitié. Tu sais très bien que je déteste ça. Juste … je veux que tu comprennes. Je … j’ai été élevé dans la haine des créatures et les sangs impures. Mais … »
Il ne réussit pas à terminer sa phrase. Une grande bassine entra par la porte du salon. C’était une sorte de grand saladier en marbre blanc qui vint se poser sur la table basse. Une étrange substance flottait à l’intérieur, mi-liquide, mi-vaporeux. Une pensine. A côté, une fiole l’accompagnait. Anthony la versa à l’intérieur et invita Thyra à se pencher pour explorer ce souvenir. Tous deux plongèrent alors dans les souvenirs d’Anthony …
Mardi 21 avril 1987
Anthony et Thyra atterrirent dans une bibliothèque. Le soleil éclairait les rayons mais la pièce paraissait déserte.
« Nous sommes chez mes parents. » informa Anthony.
Alors un adolescent pénétra à l’intérieur. C’était Anthony à l’âge de 14 ans bientôt. Il n’était pas encore bien grand et ses cheveux – bien plus longs qu’aujourd’hui – couvraient ses oreilles et chatouillaient son cou. Un sourire malicieux s’étalait sur son visage alors qu’il semblait chercher quelque chose. Anthony et Thyra le suivirent entre les rayons quand l’adolescent se stoppa d’un seul coup dans un rayon.
« Qu’est-ce que … »
Anthony et Thyra regardèrent par-dessus son épaule ce que le garçon avait vu. Deux femmes s’embrassaient à pleine bouche. L’une, blonde aux cheveux longs et raides était collée contre l’étagère, tandis que la deuxième avec des cheveux ondulés au carré caressaient son corps de gestes sensuels. En entendant la voix fluette d’Anthony, elles se détachèrent rapidement l’une de l’autre mais Anthony avait déjà tout vu.
La première affichait un air horrifié.
« Je … je vais m’en aller. » déclara-t-elle.
Elle devait approcher de la trentaine.
« Attends, Anna. » s’écria la deuxième. « Il ne dira rien, ne t’inquiètes pas. »
Anna regarda l’adolescent avant de tourner les yeux vers son amante, interdite.
« Il faut que je rentre m’occuper des enfants de toute façon. Fais ce que tu as à faire. »
Puis elle s’enfuit par la porte aux baies vitrées qui donnaient sur le jardin des Scott.
« Qui c’était ? » s’écria vivement Anthony. « Tony … viens je vais t’expliquer. »
Le garçon au visage horrifié se laissa guider par la femme. Elle était jolie avec ses grands yeux verts. Elle dégageait la même aura caractéristique des Scott. Tous deux s’assirent sur un des fauteuils de la bibliothèque et, après que la jeune femme ait vérifié qu’il n’y avait personne d’autre autour d’eux et ait lancé un sortilège de confidentialité, commencèrent à discuter.
« Tony. Il ne faut pas que tu en parles à qui que ce soit. Surtout pas aux parents. Tu comprends ? »
Anthony avait le cœur qui battait à tout rompre. Celui actuel serrait une étagère dans ses mains, ses articulations devenant blanches sous l’effort. Il y avait des années qu’il n’avait pas revu ce souvenir.
« Mais, Ayana, père a dit que tu allais te marier ! » dit-il. « Je ne comprends pas. Tu es … dans ta tête … il y a plein d’amour … pour une fille ?! »
La jeune femme avait baissé la tête, un sourire flottant sur ses lèvres, le même qu’avait Anthony parfois.
« Tu crois que c’est mal d’aimer une fille ? » demanda-t-elle d’une voix douce.
Anthony avait froncé les sourcils, comme pris en faute.
« Non … enfin … je ne sais pas … Je pense surtout que c’est mal quand on n’écoute pas ce que dit père. » « Et quand père ne nous écoute pas, ce n’est pas mal ? »
Anthony pinça les lèvres mais ne trouva pas quoi répondre.
« Père a décidé de que je devais épouser William Macnair, simplement parce que notre grand-mère en est une et qu’on doit resserrer les liens entre nos deux familles. Tu trouves cela juste, toi ? »
Elle pencha la tête sur le côté et vint serrer ses mains autour de celles d’Anthony.
« J’aime Anna. Elle est … incroyable. Elle est belle, courageuse, forte. »
Anthony n’y tint plus.
« Mais c’est une Sang-de-Bourbe ! » s’écria-t-il. « Je l’ai vu dans son esprit ! Ses parents étaient des moldus et ils étaient pourchassés par le Seigneur des Ténèbres ! C’est interdit d’aimer des gens comme ça. »
Le regard d’Ayana se fit plus froid soudain.
« Et moi je t’interdis d’utiliser cette insulte. C’est une Née-Moldue, mais c’est aussi une sorcière. Et je l’aime. »
Son ton était dur et sans appel. Anthony referma la bouche et se ratatina sur place. Ayana était la seule à savoir le remettre à sa place, surtout parce qu’elle était la seule à l’apprécier et à le défendre quand il le méritait. Elle avait toujours été de son côté et s’était montrée juste avec lui. Ce fut sans doute pour cela qu’Anthony changea sa manière d’aborder les choses.
« Je … je ne comprends pas. Comment peut-on aimer quelqu’un d’autre que celui que père et mère ont choisi pour nous ? » « Anthony, c’est ça l’amour. C’est quelque chose qu’on ne choisit pas, qu’on ne comprend pas toujours non plus. Mais c’est le sentiment le plus fort qui existe. Quand on aime suffisamment une personne, on a envie de tout faire pour la rendre heureuse. » « Et … toi tu veux la rendre heureuse ? »
Ayana porta une main à sa tête, comme si un bourdonnement avait commencé dans son esprit.
« Tony, je t’ai déjà dit de ne pas pénétrer dans l’esprit des personnes sans leur autorisation. »
L’adolescent se renfrogna.
« Mais oui. Je veux la rendre heureuse et … pour cela je dois m’en aller. » « Quoi ?! » s’écria Anthony, oubliant sa vexation. « Mais tu ne peux pas partir ! » « Si. Je le dois. Sinon, je ne pourrais jamais vivre avec elle. Père ne serait jamais d’accord pour ça et … je doute qu’il accepte que je vive au même endroit que lui. »
Les battements de cœur du jeune Anthony s’étaient accélérés.
« Tu comprends maintenant ? Tu ne dois rien dire aux parents. A personne. Ce sera notre secret. »
Elle désigna leurs mains scellées. Anthony garda un instant le silence. Les yeux dans le vague comme s’il pesait le pour et le contre. Puis il releva finalement le regard vers elle et déclara d’un ton très sérieux :
« Notre secret. »
La scène s’évanouit soudain et Anthony et Thyra furent plongés dans le noir. L’étagère sur laquelle il s’était appuyé disparut avant qu’un nouveau décor ne prenne vie.
Jeudi 18 juin 1987
Ils étaient désormais dans le salon. Un grand feu brûlait dans l’âtre devant laquelle Arthur Scott faisaient les cents pas. Devant lui, assis sur un fauteuil, se tenait Lucy, la mère d’Anthony. Et sur le canapé, assis eux aussi, Calvin, Anthony et Alice. Andrew était devant la fenêtre, le regard tourné vers l’extérieur, tandis qu’Angelo se tenait nonchalamment appuyé contre le mur du fond.
Dehors il faisait nuit et une tempête semblait se préparer. L’orage grondait et des éclairs striaient le ciel.
Le garçon de 11 ans obéit mais jeta un regard noir à son père.
« Que se passe-t-il, père ? »
Calvin s’impatientait, en témoignait sa jambe qui ne cessait de tressauter à côté d’Anthony. Lui savait ce qu’il y avait. Quelques heures auparavant, il avait reçu un hibou d’Ayana l’informant de son départ. Mais il n’avait rien dit, comme sa sœur le lui avait demandé. Il lança un regard vers Andrew qui refusait de regarder qui que ce soit. Connaissait-il lui aussi les vraies raisons derrière cette réunion de famille ? Ou son père l’avait-il pris à part, en tant qu’aîné de la famille, pour le soutenir ?
« Ecoutez bien. » commença Arthur. « Si je vous ai fait venir de Poudlard – de l’UMS pour Andrew, c’est pour vous informer d’un changement dans notre famille. » « Où est Ayana ? » demanda Alice.
Le regard d’Arthur se fit soudain plus noir.
« Son nom ne sera plus prononcé à partir d’aujourd’hui. » « Quoi ? » s’écria Alice.
Elle échangea un regard perplexe avec Calvin tandis qu’Angelo s’était rapproché, posant ses deux mains sur le dossier du canapé, comme sentant qu’il allait y avoir de l’animation.
« Ayana et moi nous sommes disputés. Elle n’a pas respecté cette famille, ni sa réputation, ni ses membres. » déclara Arthur d’une voix dure où chaque mot était soigneusement articulé. « De ce fait, je l’ai renié de notre famille. Ayana Scott n’existe plus pour nous. Me suis-je fait comprendre ? »
Une dispute … c’était donc cela que leur père avait déclaré. Une vague explication. Sans plus. Calvin avait serré les poings, tout comme Andrew. Mais aucun n’avait ajouté quoi que ce soit. Quand leur père parlait, il valait mieux se taire. Lucy quitta soudain la pièce et Anthony n’eut qu’à effleurer son esprit pour saisir son chagrin. Elle ne pleurait jamais devant ses enfants. Arthur l’ignora et son regard parcourut chacun des enfants de la pièce.
« Anthony. Combien as-tu de sœur ? »
L’adolescent sursauta alors que les regards de ses frères et sœur convergeaient vers lui.
« Je … »
Il lança un regard vers Calvin, puis vers Andrew, ses aînés, ses soutiens. Mais Ayana avait toujours tenu cette place pour lui. C’était elle qui le soutenait. Elle qui le défendait. Elle qui venait à sa rescousse. Ses frères pincèrent les lèvres.
« Je n’ai qu’une sœur. Elle s’appelle Alice. » répondit Anthony.
La scène disparut une nouvelle fois.
Anthony et Thyra remontèrent à la surface, revenus en septembre 2002. Anthony regardait Thyra, le cœur battant, l’impression de revivre cette scène.
« Je suis resté en contact avec Ayana. Elle va bien. Elle est heureuse. » expliqua-t-il. « Mais jamais on ne parle d’elle. J’ai toujours tu son secret. Elle est ma sœur. Et jamais personne n’y changera quoi que ce soit. »
Il déglutit.
« Et tu es ma meilleure amie. Qu’importe ce que tu es. »
Samedi 5 octobre 2002
« Note bien les idées de décorations, Anthony. Je tiens à ce que notre soirée de charité soit bien plus impressionnante que la leur. »
Anthony hocha machinalement la tête face à sa mère qui avait le regard qui furetait de partout. Les Zabini aimaient étaler leur richesse bien qu’ils étaient désormais tombés en désuétude. Malgré tout, cette soirée se voulait impressionnante, somptueuse et élégante. Sa mère ne faisait que critiquer chaque pot de fleur ou chaque tableau. Elle les jalousait en vérité bien qu’il n’y avait rien à jalouser face à une famille tombée aussi bas. Arthur, lui, bombait le torse et saluait chacun des hommes et femmes qui croisaient son regard. Il semblait prêt à exploser dans son costume. Il n’admettait toujours pas qu’il avait pris du poids et qu’il était temps de réajuster son costume. Ridicule à souhait.
Anthony n’écoutait pas les babillages de ses parents. Coincé entre eux deux, il espérait que le placement à table lui permettrait d’être avec des cousins ou du moins des personnes de sa génération. Drusilla n’était elle pas visible. Un rictus moqueur s’étala sur ses lèvres avant que la voix du serveur ne reprenne, arrêté à une table circulaire déjà occupée par deux personnes.
« Votre table, madame, messieurs. Nous avons pensé judicieux de vous placer à côté de votre fils et de sa cavalière, Mr. Scott. »
Anthony haussa un sourcil et se décala pour apercevoir Andrew, son aîné. Il était impeccable dans son smoking, reflétant le charisme des Scott. Mais le plus beau joyau était sans nulle doute sa cavalière, Thyra Thorvaldsen. Vêtue d’une courte robe noire, elle ne cachait nullement ses jambes ni sa nature à présent révélée. Elle portait encore des lentilles, lui donnant des pupilles noires. Mais ses lèvres étaient maquillées d’un rouge sang.
« Je vous souhaite une très belle soirée, mesdames, messieurs. » déclara le serveur avant de se retirer.
Andrew se leva aussitôt et serra une poigne de main ferme à Arthur puis à Anthony avant d’embrasser sa mère sur la joue.
« Mère, Père, Anthony, il me semble que vous connaissez Miss Thyra Thorvaldsen, qui a accepté d'être ma cavalière de ce soir. »
Anthony haussa un sourcil. Ses rapports avec Thyra s’étaient améliorés depuis leur dernière discussion. Mais il ne pensait pas la retrouver sitôt à un événement Sang-Pur, encore moins au bras de son frère aîné. Une pointe de jalousie perça dans sa gorge.
« Arthur, quel plaisir de vous voir ! » chantonna Thyra avec un sourire hypocrite qu’Anthony connaissait bien. « C'est donc avec vous que nous allons dîner ? » « Il semblerait, oui. » gronda Arthur d’un ton qui s’efforçait d’être poli. « Je suis ravie de cette nouvelle… Oh, pardonnez-moi si je vous appelle par votre prénom, mais c'est l'usage, quand deux personnes sont de la même génération… Ou presque. »
Andrew aida leur mère à s’installer à sa gauche, tandis que Thyra resta à sa droite. Arthur s’installa à la gauche de sa femme, ce qui ne laissait qu’une place pour Anthony entre son père et Thyra.
« On a du mal à le croire. » remarqua sa mère en lissant sa robe, veillant à une apparence impeccable.
Son ton était grinçant. Anthony savait que ses parents n’appréciaient pas que Thyra soit présente, encore moins qu’Andrew s’affiche en sa compagnie. Malgré son Sang-Pur, du moins c’est ce que tout le monde croyait, Thyra restait un vampire et n’était pas la bienvenue dans les cercles les plus fermés des Sang-Purs. Il fallait croire que les Zabini avaient tant besoin de se racheter qu’ils invitaient n’importe qui.
« Lucy, c'est cela ? » nota Thyra. « Je suis ravie de vous rencontrer. »
Sa mère ne lui offrit qu’un pauvre sourire.
« Andrew me disait justement que vous aviez 6 enfants… Je suis admirative ! »
Anthony leva les yeux vers son frère qui ne bronchait pas. Néanmoins, Anthony n’avait qu’à effleurer son esprit pour noter son amusement. A ce moment-là, Andrew leva la tête et croisa son regard. Il savait toujours quand son cadet usait de son pouvoir sur lui. Anthony ne baissa les yeux, affichant clairement son mécontentement (et sa jalousie) de voir Thyra à ses côtés. Que cherchait-il à faire ? A provoquer un conflit avec les parents ? A punir Anthony ? C’était bien le genre d’Andrew …
« J'aurai dû rester en Angleterre, j'aurai pu voir avec vous tous vos enfants grandir… » continuait Thyra, ayant visiblement des comptes à régler. « Ça donne presque envie d'en avoir nous-même ! »
Arthur s’étouffa dans son verre tandis que Lucy devenait livide. Anthony essaya alors de capter le regard de Thyra. Elle devait cesser ce jeu-là. Anthony savait qu’elle voulait se venger et même s’amuser un peu. Mais s’en prendre à ses parents, à sa famille lui déplaisait.
« Comment s'est passée la rentrée ? »
Anthony tourna la tête vers Andrew qui venait de reposer son verre de vin après en avoir bu une gorgée.
« Bien. La nouvelle génération a clairement un niveau médiocre comparé à ce qu’on nous enseignait dix ans auparavant. Mais j’imagine qu’ils feront l’affaire. »
Le ton d’Anthony était neutre, dénué d’émotions, détaché. Il se moquait bien de ses élèves et de leur niveau en vérité. Surtout quand il savait qu’Andrew posait cette question uniquement pour se vanter sur son travail.
« Les jeunes manquent de discipline. » commenta Arthur. « Tu dois leur inculquer la bonne façon de travailler et le goût d’apprendre. »
Anthony hocha la tête mais ne commenta rien.
« Quant à moi, je suis toujours occupé au bureau. » reprit Andrew. « Malgré ma défense du Maître du Jeu, mon agenda ne désemplit pas. Et les Fondateurs occupent bien mon temps, également. » « Tu dois être fier. » lança sa mère en tapotant sa mère sur la table. « J’ai lu un article dans Sorcières Hebdo qui mentionnait tes talents d’orateur. Certaines ont toutefois commenté que tu te laissais aller. »
Lucy grimaça.
« Attention à ton alimentation, mon grand. Tu dois rester beau et charismatique pour garder le public dans ta main. »
Les assiettes apparurent et Anthony ne se fit pas prier pour plonger sa fourchette dedans. Ce repas allait être long.
Néanmoins, il remarqua que son père ne cessait de jeter des coups d’œil dans la direction de Thyra. En effet, à la place d’une assiette, un grand verre était apparu devant elle. Sans doute du sang. Anthony s’efforça de réprimer un frisson et continua de manger, bien que son père restait bloqué là-dessus. Andrew choisit finalement d’expliquer :
« L'organisation a fait la différence entre les sorciers et les vampires. C'est un bar qui a fourni les cuisines. » « Le Blooddale, c’est ça ? » nota Anthony.
Andrew hocha la tête alors que Thyra souriait entre eux.
« C'est fou comme la société évolue, vous ne trouvez pas, Arthur ? A mon époque et la votre, nous, les vampires, étions invisibles… Maintenant, nous sommes toujours aussi mal vus, mais heureusement que nous avions des soutiens… »
Arthur qui tenait sa fourchette la reposa sur la table. Son visage était devenu rouge et le bouton de sa chemise semblait prêt à lâcher. Un mot de plus et cela allait mal se passer. Anthony essaya de faire passer le message à Thyra d’un coup de pied sous la table mais la jeune femme l’ignora.
« Que les choses changent, en 70 ans ! » dit-elle en levant son verre avant d’en boire une longue gorgée.
Ses lèvres se colorèrent d’un rouge encore plus foncé. Lucy afficha une grimace de dégoût tandis qu’Arthur semblait prêt à l’assassiner sur place.
« C’est tout simplement indécent ! » lança-t-il finalement en jetant sa serviette sur la table.
Il se leva et quitta la table pour se diriger vers l’entrée, voulant certainement faire un esclandre à l’hôtesse des lieux. Lucy, elle, mangeait du bout des lèvres, essayant d’afficher bonne figure face aux tables autour d’eux. Anthony redressa le menton et lança par-dessus la table.
« Karoline n’était pas libre pour une invitation ? » demanda-t-il à Andrew, la tête penchée sur le côté.
A ce même moment, Thyra décida de se lever de table pour aller prendre l’air, prétexta-t-elle. Andrew commença à se lever pour la suivre mais Anthony fut plus rapide.
« Je m’en occupe. » dit-il.
Et puis quoi encore ? Andrew comptait-il aussi prendre sa place auprès de Thyra ?
Il arriva près de l’entrée où la voix d’Arthur résonnait dans le hall. Mrs Zabini tentait de le raisonner, essayant de trouver un arrangement, mais cela ne plaisait pas à son père. Il devait être aussi rouge que le liquide dans le verre de Thyra. D’ailleurs où était-elle ?
Il finit par la trouver sur le balcon un peu plus loin. Il faisait froid à l’extérieur. Le vent frais d’automne n’était pas agréable pour les humains. Mais Thyra ne devait pas craindre quoi que ce soit.
« Tu y es allée un peu fort ce soir … » dit-il.
Les mains dans les poches, il la regardait. Elle était magnifique. Il s’approcha finalement d’elle et s’accouda à son tour sur le balcon. La voilà qui présentait ses excuses avant d’exprimer sa joie de pouvoir avoir lâché tout ça.
« C’est ma famille, Thyra. »
Il leva les yeux vers elle, les dents serrées.
« Ma famille et … tu nous mets dans une position compliquée. Les apparences sont essentielles pour nous. Mon père semblait prêt à faire une crise cardiaque et ma mère à vomir sur la table. »
Il croisa le regard de Thyra mais ne put continuer plus longtemps. Il lâcha un rire et secoua la tête, désespéré par sa propre réaction.
« Mais oui, bordel … c’était plutôt jouissif. »
Il se laissa un peu plus à rire et regarda le paysage à l’extérieur. La nuit était noire. Il n’y avait pratiquement aucune lune.
« Pourquoi tu es venu avec Andrew ? » demanda-t-il, n’y tenant plus. « Entre tout les cavaliers possibles, il fallait que tu le choisisses lui. »
Il fit une grimace et secoua la tête.
« Je ne le déteste pas. C’est mon frère. Mais … il est si … »
Il ne trouvait pas les mots. Guindé ? Charismatique ? Incroyable ? Parfait ?
Andrew Scott était le fils parfait. Il avait un métier prestigieux, une réputation quasiment intacte, même pas entachée par les allusions d’Angelo dans son livre. Il plaisait à beaucoup de femmes et il avait toujours fait la fierté de ses parents.
Anthony finit par lâcher un soupir.
« Je pensais à quelque chose l’autre jour. »
Il tourna la tête vers Thyra, prêt à changer de sujet (Andrew n’était pas son sujet favori après tout).
« Je connais quelques sortilèges et runes de protection. Pour ta morgue je veux dire. Et … pour là où tu habites désormais. »
Elle ne lui avait pas encore parlé de ce lieu où elle vivait, pas en détails en tout cas. Elle ne devait peut-être pas encore lui faire assez confiance pour lui donner l’adresse.
« Ce n’est pas grand-chose, mais ce sont quelques combines que je connais. »