Mattéo Black-Peretti
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Contexte
I try to keep this pain inside but I will never be alright
@ Victoire
Nous sommes le mercredi 15 mai 2002. Mattéo Black-Peretti est fraîchement revenu en Angleterre, bien décidé à retrouver ses origines. Il habite à Southampton et commence un internat en Psychomagie après avoir validé sa Licence en candidat libre. Vampire, il cache pour l'heure encore sa véritable nature.
I try to keep this pain inside but I will never be alright
Mattéo releva la tête et croisa son reflet dans le miroir des vestiaires. Ses yeux rouges étaient cachés par des lentilles de contact noires. Son teint blafard avait pris quelques couleurs à l’aide de quelques sortilèges, dissimulant légèrement ses tâches de rousseur. Ses cheveux châtains foncés étaient le seul élément physique auquel il n’avait pas touché. En arrivant en Angleterre, Mattéo avait tenu à redémarrer une nouvelle vie et cela passait par une nouvelle identité : Mattéo Orion Black-Peretti. Armé de ces noms et prénoms, il se sentait plus confiant que jamais, déterminé à percer le secret de ses origines. Et cela allait commencer aujourd’hui.
Après avoir boutonné sa blouse, il ramassa le dossier qu’on lui avait confié la veille au soir. Aliénor Fontanges. Jeune sorcière française, elle avait mystérieusement disparu un soir d’octobre 2000 avant de se présenter voilà quelques jours à l’hôpital Sainte-Mangouste. Mattéo avait dû étudier son dossier de long en large toute la nuit et il fallait l’avouer, ce n’était pas une mince affaire. En tant que Sang-Pur, elle avait longtemps été la priorité de la police sorcière française qui avait alors envisagé un enlèvement puis un meurtre. Pourtant l’absence de corps ou d’indices rendait totalement flou l’enquête. Et puis, voilà qu’elle réapparaissait ce lundi dans un hôpital sorcier britannique avec sa fille sous le bras.
Avec les calculs que Mattéo avait entrepris, sa fille devait être née en avril 2001, ce qui signifiait qu’Aliénor était déjà enceinte lors de son enlèvement. Ou bien qu’elle était tombée enceinte de son ravisseur, à coup sûr un vampire, puisque sa fille s’était révélée être une demi-vampire.
Oui, cette histoire était complexe. Mattéo avait été plutôt heureux d’être mis sur ce dossier, même s’il avait dû forcer le destin pour qu’un jeune étudiant se charge d’une victime au cas aussi compliqué. En étudiant le dossier, Mattéo avait découvert le nom des proches d’Aliénor, mais aussi des sorciers et sorcières ayant travaillé aux recherches. L’un d’eux l’avait immédiatement frappé : Lorenzo Peretti. En tant que sorcier italien, ce nom n’était pas très rare dans le pays. Pourtant, il s’agissait d’une piste pour Mattéo. Un Italien venu travailler en Angleterre, ça pouvait peut-être avoir un lien avec son histoire. Et s’il travaillait avec Aliénor, il pourrait certainement en apprendre plus sur elle et son bienfaiteur. Ainsi, il saurait s’il devrait creuser davantage ou bien s’il faudrait qu’il recherche une nouvelle piste.
La porte du vestiaire s’ouvrit et trois internes en chirurgie entrèrent en riant. L’un se vantait de l’opération à laquelle il avait pu assister avec l’un des Médicomages les plus renommés de l’hôpital, tandis que les deux autres se moquaient de son manque de sang-froid lorsqu’hémorragie il y avait eu. Mattéo leva les yeux au ciel et attrapa le dossier pour sortir. Cependant l’un d’eux l’arrêta.
« Hey, attends ! je t’ai vu l’autre jour mais on ne s’est pas présenté. »
Le jeune homme qui l’avait arrêté était fin et ne semblait pas quoi faire de ses longs bras. Ses cheveux bouclaient sur le sommet de son crâne et ses tout petits yeux le rendaient vicieux.
« Tyler Cremer ! » se présenta-t-il en tendant sa main. « Tu fais ton internat dans quelle branche ? »
Tyler Cremer
La sorcière qui l’accompagnait, une rouquine aux grands yeux chocolat, lâcha un rire.
« Il n’est qu’en psychomagie … »
Le troisième pouffa lui aussi de rire. Il était bien connu que la branche de la Médicomagie incitait toujours à la compétition. Et les internes en chirurgie se prenaient toujours pour les rois du monde, comme si les autres branches étaient bien ridicules à côté de ce que les autres faisaient. Mattéo les détailla chacun d’entre eux, prenant le temps d’enregistrer leurs visages dans sa mémoire. Tyler tendait toujours sa main vers lui, un sourire amusé sur les lèvres.
A son tour, Mattéo laissa apparaître un large sourire sur ses lèvres, comme s’il se joignait à l’hilarité générale.
« Mattéo Black. » répondit-il en désignant son badge sur la poitrine où il avait volontairement retiré le nom de Peretti.
Il serra la main de Tyler. La pression qu’il exerça sur la main fut un peu plus forte que celle qu’il s’était habitué à présenter aux simples humains. Mais Tyler méritait bien un peu de compétition. L’intéressé grimaça et retira vivement sa main, comme électrocuté. La fille avait en revanche poussé un gémissement plaintif à l’entente de ce nom.
« C’est vrai, je ne suis qu’en psychomagie. Faire mu-muse avec ma baguette n’est pas franchement la voie que je voulais explorer mais je comprends que certains ne soient cantonnés qu’à cette branche. Il faut sans doute avoir une autre ouverture d’esprit pour entreprendre d’explorer le cerveau humain. »
Son sourire ne quittait pas ses lèvres alors qu’il regardait tour à tour chacun des trois internes. Le troisième, un homme d’une trentaine d’années aux épaules carrées, crispa la mâchoire.
Alexander Bennington
« Ou bien avoir raté son concours d’entrée en chirurgie. » argua-t-il. « Ils ne prennent que les meilleurs. »
« Si ça te plait de le croire. Néanmoins, je me permets d’en douter pour un sorcier capable de tourner de l’œil en pleine opération. »
L’homme déglutit et commença à s’approcher de Mattéo qui ne bougea pourtant pas d’un poil. Il avait l’habitude de ce genre de démonstration de force. Les vampires de son clan ressemblaient beaucoup à ce genre de profil et un simple humain était loin de l’effrayer.
« Fais pas trop le malin, Black. »
Il cracha ce nom, son nez à quelques centimètres de celui de Mattéo qui haussa un sourcil arrogant.
« Alex … » gémit la jeune femme.
Son regard avait changé du tout au tout en prenant conscience du nom de Mattéo. Il était heureux de cette réaction. Les Black avaient su faire trembler le Royaume-Uni quelques générations auparavant. Ce nom avait disparu avec la mort de Sirius Black en 1996 mais à présent que Mattéo était de retour, il tenait bien à faire renaître la splendeur de ce nom.
A ce moment-là, la porte du vestiaire s’ouvrit à nouveau. Mattéo n’eut même pas besoin de tourner la tête pour savoir qu’un résident venait de pénétrer ici. Tyler et la fille s’étaient reculés, comme pris en faute.
« Alexander Bennington, qu’êtes-vous en train de faire ? » tonna une voix de femme.
L’intéressé déglutit et tourna la tête vers sa supérieure avant de reculer.
« On se présentait au nouveau. » dit-il en désignant Mattéo.
La femme tourna la tête vers Mattéo avant de lancer un long regard vers son interne. Mattéo choisit ce moment-là pour décider de s’éclipser.
« Ravi de ces présentations. » claironna-t-il. « Je dois cependant vous laisser. Un dossier urgent nécessite mon intervention. »
Il tapota le dossier papier, comme pour signifier que lui travaillait sur du concret, tandis qu’eux attendaient en vain qu’un Médicomage les choisisse pour une opération. Pauvres petits … Alex lui lança un regard noir mais ne bougea pas. Mattéo se dirigea vers la porte, saluant d’un air aimable la résidente, avant de quitter le vestiaire.
Encore une rencontre intéressante … Mattéo n’avait jamais été bien doué pour se faire des amis. Mais en avait-il vraiment l’utilité de toute façon ? Être ami avec un impulsif Alex ou un crétin dans la trempe de Tyler ne présentait dans l’immédiat aucun avantage. En revanche, la rouquine avait su éveiller son intérêt. Elle semblait connaître son nom et l’influence qu’il représentait. Quant à sa chevelure, elle n’était pas sans lui rappeler une personne qu’il avait aimé … Il ne pouvait cependant penser à elle pour le moment. Alors qu’il marchait dans les couloirs de l’hôpital, il reprit le dossier d’Aliénor. Ils avaient tous les deux rendez-vous à 11h00 ce matin-là, soit dans deux minutes. Aussi, Mattéo commença à presser le pas, prenant soin à marcher à allure humaine. Il saluait de manière charmante les supérieurs qu’il croisait, tenant à garder une bonne réputation au sein de ceux qui pourraient avoir une influence sur son avenir.
Il arriva alors devant la chambre où avait dormi Aliénor et sa fille depuis deux nuits déjà. La main sur la poignée, il se stoppa aussitôt et tendit l’oreille. Il ne tenait pas à rencontrer Peretti dans l’immédiat et de ce qu’il avait compris, c’était un homme qui prenait très à cœur la santé de celle qu’il avait recherché durant des mois. Aussi se pouvait-il qu’il soit dans la chambre avec Aliénor. Cependant, les Médicomages avaient insisté pour faire toute une batterie d’examens entre hier et aujourd’hui afin qu’Aliénor puisse quitter au plus vite l’hôpital. Mais cette sortie ne serait accordée qu’avec l’aval d’un Psychomage. En l’occurrence celui de Mattéo, une fois qu’il en aurait fait rapport auprès de son tuteur de stage.
Deux battements de cœur se faisaient entendre. Deux souffles réguliers aussi. Aucun vampire. Aucun autre humain. Mattéo actionna la poignée et pénétra à l’intérieur. Le soleil du mois de mai dardait ses rayons sur la chambre à travers la fenêtre. Une jeune femme blonde était assise sur son lit médical, berçant doucement un bébé dans ses bras. A l’arrivée de Mattéo, elle releva la tête, alerte. Son teint était très pâle, comme n’ayant pas pris le soleil depuis très longtemps. De lourds cernes creusaient ses yeux autrefois surement très beaux. Ses cheveux blonds étaient ternes. Si elle paraissait presque apaisée avec son bébé près d’elle, ses épaules se tendirent immédiatement à la vue de Mattéo.
« Bonjour, miss Fontanges. » dit-il d’une voix polie, se positionnant devant son lit, les bras croisés derrière le dos. « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? »
Ne jamais dire les phrases banales « ça va ? » « comment allez-vous ? ». C’était trop cliché et les personnes y répondaient souvent machinalement. En revanche, quand on leur demandait de mettre des sentiments, des sensations dans une réponse, cela leur demandait une seconde de réflexion.
« Je suis le docteur Black, interne en Psychomagie. » se présenta-t-il. « J’aurai souhaité m’entretenir un moment avec vous. Voulez-vous qu’on aille dans mon bureau ? Qu’on reste dans votre chambre ? »
Il cligna plusieurs fois des yeux, se rappelant des gestes simplement humains qu’il avait été forcé d’adopter. Il y avait longtemps, Adrian Dwight avait commencé à lui enseigner les TOC que les humains avaient l’habitude de faire. Mais tout le reste, il l’avait appris en observant Clarissa ou encore lors de son expédition en Amérique.
« Tout me convient. » répondit-il en venant attraper un fauteuil de la chambre dans lequel il s’installa.
Il posa alors le dossier d’Aliénor sur une petite tablette, bien en évidence, et étudia un instant le regard de la jeune femme sur celui-ci.
« Les Médicomages m’ont informé que vous vous apprêtiez à rentrer chez vous. Comment vous sentez-vous à cette idée ? »
Il la laissa répondre, prenant soin de ne pas l’interrompre. Il laissa volontairement quelques secondes après la fin de sa phrase, comme s’il lui laissait l’occasion d’ajouter encore quelque chose.
« Revoir vos parents et vos sœurs a du être éprouvant pour vous. Que ressentez-vous à leur sujet ? Leur faites-vous confiance ? »
Il était intriguant de savoir ce qu’Aliénor avait vécu durant tous ces mois où personne n’avait trouvé de trace d’elle. Elle s’était simplement volatilisée. Rien ne laissait croire à aucune piste. Cela avait été une affaire hors norme. Et pourtant, une seule chose faisait sens dans l’esprit de Mattéo : un vampire. Seul un vampire pouvait être capable de faire ça. Elevé dans le clan Dwight, Mattéo avait vu de quoi ses congénères étaient capables. Être fort, discret. Ne pas dormir. Réfléchir énormément. Penser à tout. Entendre tout. Sentir tout. Bien sûr, il fallait déjà des compétences innées pour véritablement être capable d’organiser un enlèvement aussi parfait. Mais avec les qualités d'un vampire, c'était possible. La question était : que s’était-il passé durant tous ces mois ? Comment Aliénor s’était-elle échappée ? Et pourquoi était-elle réapparue maintenant ?
« Votre fille a l’air d’être un véritable soutien pour vous. » nota-t-il en désignant du menton le bébé. « Elle s’appelle Nina, c’est cela ? D’où lui vient son prénom ? »
Il écouta avec attention la réponse de la jeune femme, conscient qu’il allait devoir prendre quelques notes.
« Me permettez-vous de prendre en note vos réponses ? » dit-il en attrapant une plume et un parchemin vierge du dossier. « Il s’agit simplement pour vous de mieux m’y retrouver dans votre histoire afin que je puisse au mieux vous aider. Nous allons être amené à nous voir un petit moment pour que votre retour en société se passe au mieux, pour vous et votre fille. »
Il laissa un sourire apparaître sur ses lèvres, un sourire doux et charmant, le genre qui faisait craquer à chaque fois Clarissa.
« Pouvons-nous aborder le sujet de ces derniers mois ? » demanda-t-il d’un ton prudent. « Pouvez-vous me raconter ce qui vous est arrivé ce soir d’octobre 2000 et ce que vous avez ressenti. »
A nouveau, il offrit un sourire encourageant à la jeune femme afin qu’elle se laisse aller à se confier. Ce qui ne semblait pas pour autant gagner …
Mattéo souriait face aux notes qu’il avait reçues ce matin-même. Il validait sa Licence et poussait dès lors commençait une 4ème année en septembre à l’université. Tout se passait comme il le voulait. Sa main vint serrer l’étoffe sur ses épaules.
« J’espère que tu es fière de moi, mamma*. »
*maman en italien
Ses doigts vinrent s’enrouler autour de la cape qui avait autrefois appartenu à sa mère. Cependant, cet instant d’intimité fut interrompu par deux coups à la porte. Le sourire de Mattéo disparut instantanément et il rangea rapidement la lettre dans son enveloppe, laquelle fut glissée dans un des tiroirs de son bureau. Il partageait la pièce avec son tuteur de stage mais avait eu droit à son propre bureau pour ranger ses dossiers. Le docteur Jensen, son référent, ne travaillait pas les lundis et mercredis, journée que Mattéo devait effectuer en solo.
« Entrez. »
Une tête rouquine passa la tête dans l’entrebâillement de la porte. Si son cœur battait encore, il aurait certainement effectué un saut périlleux dans sa poitrine en imaginant que Clarissa était venue le trouver. Mais ce n’était que Chloé, l’interne en chirurgie.
Chloé Crabbe
« Tu as un moment ? » chantonna-t-elle.
Mattéo lui fit un signe de main pour qu’elle rentre. Après leur première rencontre, Chloé était revenue le trouver. Comme il l’avait remarqué, elle s’était beaucoup intéressée à son nom de famille, se demandant de quelle branche il provenait. Mattéo n’avait pu que lui confier une partie de la vérité : il ignorait encore qui était son père mais il allait bientôt le découvrir. Depuis la découverte qu’Edmund Prewett avait fait pour lui, la liste de candidats s’était restreinte à quelques noms.
Orion Black, le père de Sirius et Regulus, avait 36 ans en 1965, date de naissance de Mattéo. Les tromperies étaient monnaie courante dans le milieu, aussi n’écartait-il pas la possibilité qu’Orion soit son père, bien que Walburga était visiblement renommée pour sa cruauté et sa rigueur qui aurait dissuadé tout mari de lui causer du tort, notamment en pondant un enfant avec une autre. Le frère de celle-ci, Alphard, était un homme dont Mattéo n’avait su recueillir bien d’éléments, tellement il était perçu comme le mouton noir de la famille. A sa mort en 1979, il avait légué toute sa fortune à Sirius Black. Il y avait peu de chance d’être son descendant car alors, il aurait cédé son héritage à son fils, non ? Restait le troisième frère, Cygnus, qui avait 30 ans lors de la naissance de Mattéo. Il avait pu apercevoir plusieurs de ses portraits dans de vieilles archives et se trouvait une ressemblance avec l’homme. Père de trois filles, il était étonnant qu’il n’ait pas reconnu Mattéo à sa naissance, seul garçon de sa portée, même s’il était d’une autre femme. Or, aucune trace n’indiquait qu’il avait eu un garçon, même disparu.
Si on écartait les jeunes hommes, il fallait ensuite remonter à une génération plus haut où on trouvait Pollux Black avec ses 55 ans ou Marius Black à 52 ans. Mattéo avait totalement exclus Phineas Black, bien trop vieux pour être cette silhouette qu’il avait vu dans le miroir.
« Tu as l’air songeur … »
Chloé l’interrompit une nouvelle fois, venant écarter sa chaise du bureau pour s’installer sur ses genoux. Elle était devenue bien plus gentille et serviable depuis qu’elle savait qu’il avait un lien avec les Black. Elle-même portait le nom de Crabbe, une des dernières familles de Sang-Pur. Pour elle, épouser un Black devait signifier beaucoup. Elle ignorait cependant que Mattéo n’avait aucune intention de se marier, surtout avec une pâle copie de son véritable amour.
Ne répondant pas à sa remarque, il vint s’emparer de sa bouche. Les bras de Chloe vinrent se resserrer autour de son cou alors qu’elle tentait de presser son corps contre le sien. Il ne ressentait guère de chose, là, entre ses bras. C’était davantage mécanique que du véritable désir. Non, il préférait imaginer là qu’il venait presser ses lèvres contre celle de Clary. Qu’il venait fourrager dans sa longue chevelure rousse. Que ses formes parfaites venaient épouser les siennes.
D’un geste rapide, il se releva et vint poser la jeune femme sur le bureau, bousculant plusieurs dossiers qui tombèrent au sol. Ses baisers s’accentuèrent alors qu’il venait appuyer son corps contre les cuisses de Chloé afin qu’elle le laisse passer. Penser à Clarissa était ce qui l’aidait le mieux. Il la voulait. Il la désirait. Il n’y avait qu’elle qui comptait. Lorsqu’elle envahissait ses pensées, il en oubliait presque de limiter ses mouvements rapides et brusques. Peu de personnes savait qu’il était un vampire. Il n’avait pu le cacher entièrement mais avait su présenter les choses de façon à ce que les autres taisent son secret. Être une créature de la nuit n’était jamais très bien perçue au Royaume-Uni …
Il avait entrepris de déboutonner le pantalon de Chloé quand on toqua à nouveau à la porte. Un grondement monta de la poitrine de Mattéo tandis que la jeune femme gloussait. En croisant son regard, il se rendit compte que la magie était rompue. Elle n’avait pas ce regard noisette que Clarissa possédait, ni ses tâches de rousseur qui le faisaient craquer à coup sûr. Avec un soupir, il s’écarta d’elle et s’empressa de remettre ses habits en ordre avant d’aller ouvrir.
« Monsieur. »
C’était Thomas, le secrétaire du cabinet du docteur Jensen. Au vu de l’odeur qu’il dégageait et de sa tête difforme, Mattéo était convaincu qu’il avait du sang de gobelin. Sa petite taille ne trompait pas, ainsi que ses lunettes en demi-lune perchaient sur son nez pointu. Toutefois, malgré ce physique ingrat, il faisait son travail de manière convenable.
Thomas (Toby Jones)
« Thomas. Que se passe-t-il ? »
« Votre rendez-vous est arrivé, monsieur. »
Mattéo plissa les yeux avant de comprendre. Aliénor Fontanges !
« Êtes-vous certain ? »
Après tout, Aliénor l’avait planté tellement de fois qu’il était assez peu probable qu’elle soit véritablement ici. Depuis quelques temps, elle évitait soigneusement leurs entretiens, comme si elle sentait qu’au prochain rendez-vous, elle risquait de faire tomber ses remparts. C’était sur cela que Mattéo comptait de toute manière. Il avait essayé tant bien que mal de la faire parler de son enlèvement et de ces derniers mois, sans grand succès. La jeune femme préférait toujours la fuite. Littéralement, pour le coup.
« Oui, elle s’est installée dans la salle d’attente depuis une quinzaine de minutes déjà. »
« Oh. »
Mattéo jeta un coup d’œil à la pendule derrière Thomas. Elle était arrivée avec cinq minutes d’avance et Mattéo avait dix minutes de retard.
« Merci Thomas. Offrez-lui quelque chose à boire et dites-lui que je suis à elle dans une minute. Expliquez-lui que mon précédent rendez-vous a pris plus de temps que prévu et que je m’en excuse. »
Thomas hocha la tête et retourna voir Aliénor dans la salle d’attente. Mattéo referma la porte alors que Chloé gloussait une nouvelle fois en finissant de rattacher son chemisier. Mattéo ne se rappelait même pas l’avoir déshabillé à ce niveau-là. C’était dire combien Clarissa occupait toutes ses pensées.
« Ton précédent rendez-vous peut-il revenir ce soir ? »
Immobile, Mattéo la regarda. Il savait qu’il devait garder une attitude charmante. Chloé satisfaisait bien certains besoins, mais en plus de cela, elle avait un pied dans le monde très fermé des Sang-Purs. Il allait encore avoir besoin d’elle. Et bizarrement, il sentait que Chloé était le genre de filles susceptible de se vexer à la moindre contrariété. Un sourire se plaqua sur ses lèvres alors qu’il s’approchait d’elle.
« Pas ce soir, trésor. » dit-il en posant ses deux mains sur ses bras. « J’ai des dossiers urgents à traiter. Mais pourquoi je ne te rejoindrai pas demain soir chez toi ? »
Ce serait l’occasion d’explorer certaines de ses affaires pendant qu’elle dormirait. Cela parut plaire à Chloé qui s’illumina d’un grand sourire. Elle l’embrassa et sortit après un dernier au-revoir. Mattéo poussa un long soupir lorsque la porte fut refermée et se dépêcha de ranger. Les sortilèges ménagers n’étaient guère sa spécialité, aussi devait-il tout faire à la main.
Les pots de crayon remis en place et les dossiers également, il se passa une main dans les cheveux face au miroir, reposa la cape de sa mère sur le porte-manteau et enfila sa blouse de Psychomage avant de sortir du bureau. Aliénor était là, assise sur cette chaise de la salle d’attente. Depuis leur tout premier entretien, elle avait repris quelques couleurs et son regard était moins hanté. Néanmoins, des démons persistaient toujours en elle et l’agitation de sa main témoignait encore du long chemin qui lui restait à parcourir.
« Miss Fontanges ? »
Aliénor releva la tête vers lui et il lui fit alors signe de le suivre. Ils marchèrent en silence jusqu’à son bureau, quelques portes plus loin et Mattéo la laissa entrer en première avant de refermer la porte.
« Installez-vous … où vous le souhaitez. »
Il désigna la chaise devant son bureau ou le petit canapé parfois plus accueillant pour certains patients. Lorsqu’elle eut fait son choix, il s’installa de façon à être en face d’elle.
« Thomas vous a-t-il offrir à boire ? Voulez-vous autre chose à nouveau ? »
Ses yeux étudièrent le visage d’Aliénor et il laissa quelques secondes en suspens avant de reprendre.
« Alors, Aliénor, qu’est-ce qui vous a décidé à venir aujourd’hui ? »
Un léger sourire amusé flotta sur ses lèvres avant d’explorer le dossier d’Aliénor sous ses yeux.
« Vous avez annulé nos trois derniers rendez-vous. En vérité, je pensais même que vous ne viendriez pas à celui-là. Mais vous voilà. Et j’en suis heureux. J’ai l’impression que vous avez envie de parler. Que vous avez envie d’un changement. »
Il prenait le temps de prononcer ses paroles, comme étudiant les réactions de la jeune femme à chacun de ces mots.
« Et vous, Aliénor, comment vous sentez-vous à présent que vous êtes ici ? »
Pour éviter l’immobilité du vampire, Mattéo se réinstalla un peu mieux dans son fauteuil, lui laissant le temps de reprendre avant d’ajouter :
« Qu’attendez-vous de moi, au juste ? »
Il voulait que l’aide vienne d’elle. Il pouvait l’aider et elle pouvait l’aider, à sa façon. Mais c’était à elle de l’exprimer. Cela ne pouvait fonctionner que si elle en faisait la demande. Si cela venait d’elle, elle serait ainsi plus à même d’accepter ce qu’il lui dirait. Son rôle ensuite serait de la rassurer et de la guider au mieux. De lui donner des conseils, de l’amener à réfléchir sur certaines périodes de sa vie, de libérer sa parole … jusqu’à ce qu’elle lui en dise plus sur ce Peretti qui gravitait toujours autant dans sa vie. Qui était-il ? Pour elle … et pour Mattéo ?
Après avoir boutonné sa blouse, il ramassa le dossier qu’on lui avait confié la veille au soir. Aliénor Fontanges. Jeune sorcière française, elle avait mystérieusement disparu un soir d’octobre 2000 avant de se présenter voilà quelques jours à l’hôpital Sainte-Mangouste. Mattéo avait dû étudier son dossier de long en large toute la nuit et il fallait l’avouer, ce n’était pas une mince affaire. En tant que Sang-Pur, elle avait longtemps été la priorité de la police sorcière française qui avait alors envisagé un enlèvement puis un meurtre. Pourtant l’absence de corps ou d’indices rendait totalement flou l’enquête. Et puis, voilà qu’elle réapparaissait ce lundi dans un hôpital sorcier britannique avec sa fille sous le bras.
Avec les calculs que Mattéo avait entrepris, sa fille devait être née en avril 2001, ce qui signifiait qu’Aliénor était déjà enceinte lors de son enlèvement. Ou bien qu’elle était tombée enceinte de son ravisseur, à coup sûr un vampire, puisque sa fille s’était révélée être une demi-vampire.
Oui, cette histoire était complexe. Mattéo avait été plutôt heureux d’être mis sur ce dossier, même s’il avait dû forcer le destin pour qu’un jeune étudiant se charge d’une victime au cas aussi compliqué. En étudiant le dossier, Mattéo avait découvert le nom des proches d’Aliénor, mais aussi des sorciers et sorcières ayant travaillé aux recherches. L’un d’eux l’avait immédiatement frappé : Lorenzo Peretti. En tant que sorcier italien, ce nom n’était pas très rare dans le pays. Pourtant, il s’agissait d’une piste pour Mattéo. Un Italien venu travailler en Angleterre, ça pouvait peut-être avoir un lien avec son histoire. Et s’il travaillait avec Aliénor, il pourrait certainement en apprendre plus sur elle et son bienfaiteur. Ainsi, il saurait s’il devrait creuser davantage ou bien s’il faudrait qu’il recherche une nouvelle piste.
La porte du vestiaire s’ouvrit et trois internes en chirurgie entrèrent en riant. L’un se vantait de l’opération à laquelle il avait pu assister avec l’un des Médicomages les plus renommés de l’hôpital, tandis que les deux autres se moquaient de son manque de sang-froid lorsqu’hémorragie il y avait eu. Mattéo leva les yeux au ciel et attrapa le dossier pour sortir. Cependant l’un d’eux l’arrêta.
« Hey, attends ! je t’ai vu l’autre jour mais on ne s’est pas présenté. »
Le jeune homme qui l’avait arrêté était fin et ne semblait pas quoi faire de ses longs bras. Ses cheveux bouclaient sur le sommet de son crâne et ses tout petits yeux le rendaient vicieux.
« Tyler Cremer ! » se présenta-t-il en tendant sa main. « Tu fais ton internat dans quelle branche ? »
Tyler Cremer
La sorcière qui l’accompagnait, une rouquine aux grands yeux chocolat, lâcha un rire.
« Il n’est qu’en psychomagie … »
Le troisième pouffa lui aussi de rire. Il était bien connu que la branche de la Médicomagie incitait toujours à la compétition. Et les internes en chirurgie se prenaient toujours pour les rois du monde, comme si les autres branches étaient bien ridicules à côté de ce que les autres faisaient. Mattéo les détailla chacun d’entre eux, prenant le temps d’enregistrer leurs visages dans sa mémoire. Tyler tendait toujours sa main vers lui, un sourire amusé sur les lèvres.
A son tour, Mattéo laissa apparaître un large sourire sur ses lèvres, comme s’il se joignait à l’hilarité générale.
« Mattéo Black. » répondit-il en désignant son badge sur la poitrine où il avait volontairement retiré le nom de Peretti.
Il serra la main de Tyler. La pression qu’il exerça sur la main fut un peu plus forte que celle qu’il s’était habitué à présenter aux simples humains. Mais Tyler méritait bien un peu de compétition. L’intéressé grimaça et retira vivement sa main, comme électrocuté. La fille avait en revanche poussé un gémissement plaintif à l’entente de ce nom.
« C’est vrai, je ne suis qu’en psychomagie. Faire mu-muse avec ma baguette n’est pas franchement la voie que je voulais explorer mais je comprends que certains ne soient cantonnés qu’à cette branche. Il faut sans doute avoir une autre ouverture d’esprit pour entreprendre d’explorer le cerveau humain. »
Son sourire ne quittait pas ses lèvres alors qu’il regardait tour à tour chacun des trois internes. Le troisième, un homme d’une trentaine d’années aux épaules carrées, crispa la mâchoire.
Alexander Bennington
« Ou bien avoir raté son concours d’entrée en chirurgie. » argua-t-il. « Ils ne prennent que les meilleurs. »
« Si ça te plait de le croire. Néanmoins, je me permets d’en douter pour un sorcier capable de tourner de l’œil en pleine opération. »
L’homme déglutit et commença à s’approcher de Mattéo qui ne bougea pourtant pas d’un poil. Il avait l’habitude de ce genre de démonstration de force. Les vampires de son clan ressemblaient beaucoup à ce genre de profil et un simple humain était loin de l’effrayer.
« Fais pas trop le malin, Black. »
Il cracha ce nom, son nez à quelques centimètres de celui de Mattéo qui haussa un sourcil arrogant.
« Alex … » gémit la jeune femme.
Son regard avait changé du tout au tout en prenant conscience du nom de Mattéo. Il était heureux de cette réaction. Les Black avaient su faire trembler le Royaume-Uni quelques générations auparavant. Ce nom avait disparu avec la mort de Sirius Black en 1996 mais à présent que Mattéo était de retour, il tenait bien à faire renaître la splendeur de ce nom.
A ce moment-là, la porte du vestiaire s’ouvrit à nouveau. Mattéo n’eut même pas besoin de tourner la tête pour savoir qu’un résident venait de pénétrer ici. Tyler et la fille s’étaient reculés, comme pris en faute.
« Alexander Bennington, qu’êtes-vous en train de faire ? » tonna une voix de femme.
L’intéressé déglutit et tourna la tête vers sa supérieure avant de reculer.
« On se présentait au nouveau. » dit-il en désignant Mattéo.
La femme tourna la tête vers Mattéo avant de lancer un long regard vers son interne. Mattéo choisit ce moment-là pour décider de s’éclipser.
« Ravi de ces présentations. » claironna-t-il. « Je dois cependant vous laisser. Un dossier urgent nécessite mon intervention. »
Il tapota le dossier papier, comme pour signifier que lui travaillait sur du concret, tandis qu’eux attendaient en vain qu’un Médicomage les choisisse pour une opération. Pauvres petits … Alex lui lança un regard noir mais ne bougea pas. Mattéo se dirigea vers la porte, saluant d’un air aimable la résidente, avant de quitter le vestiaire.
Encore une rencontre intéressante … Mattéo n’avait jamais été bien doué pour se faire des amis. Mais en avait-il vraiment l’utilité de toute façon ? Être ami avec un impulsif Alex ou un crétin dans la trempe de Tyler ne présentait dans l’immédiat aucun avantage. En revanche, la rouquine avait su éveiller son intérêt. Elle semblait connaître son nom et l’influence qu’il représentait. Quant à sa chevelure, elle n’était pas sans lui rappeler une personne qu’il avait aimé … Il ne pouvait cependant penser à elle pour le moment. Alors qu’il marchait dans les couloirs de l’hôpital, il reprit le dossier d’Aliénor. Ils avaient tous les deux rendez-vous à 11h00 ce matin-là, soit dans deux minutes. Aussi, Mattéo commença à presser le pas, prenant soin à marcher à allure humaine. Il saluait de manière charmante les supérieurs qu’il croisait, tenant à garder une bonne réputation au sein de ceux qui pourraient avoir une influence sur son avenir.
Il arriva alors devant la chambre où avait dormi Aliénor et sa fille depuis deux nuits déjà. La main sur la poignée, il se stoppa aussitôt et tendit l’oreille. Il ne tenait pas à rencontrer Peretti dans l’immédiat et de ce qu’il avait compris, c’était un homme qui prenait très à cœur la santé de celle qu’il avait recherché durant des mois. Aussi se pouvait-il qu’il soit dans la chambre avec Aliénor. Cependant, les Médicomages avaient insisté pour faire toute une batterie d’examens entre hier et aujourd’hui afin qu’Aliénor puisse quitter au plus vite l’hôpital. Mais cette sortie ne serait accordée qu’avec l’aval d’un Psychomage. En l’occurrence celui de Mattéo, une fois qu’il en aurait fait rapport auprès de son tuteur de stage.
Deux battements de cœur se faisaient entendre. Deux souffles réguliers aussi. Aucun vampire. Aucun autre humain. Mattéo actionna la poignée et pénétra à l’intérieur. Le soleil du mois de mai dardait ses rayons sur la chambre à travers la fenêtre. Une jeune femme blonde était assise sur son lit médical, berçant doucement un bébé dans ses bras. A l’arrivée de Mattéo, elle releva la tête, alerte. Son teint était très pâle, comme n’ayant pas pris le soleil depuis très longtemps. De lourds cernes creusaient ses yeux autrefois surement très beaux. Ses cheveux blonds étaient ternes. Si elle paraissait presque apaisée avec son bébé près d’elle, ses épaules se tendirent immédiatement à la vue de Mattéo.
« Bonjour, miss Fontanges. » dit-il d’une voix polie, se positionnant devant son lit, les bras croisés derrière le dos. « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? »
Ne jamais dire les phrases banales « ça va ? » « comment allez-vous ? ». C’était trop cliché et les personnes y répondaient souvent machinalement. En revanche, quand on leur demandait de mettre des sentiments, des sensations dans une réponse, cela leur demandait une seconde de réflexion.
« Je suis le docteur Black, interne en Psychomagie. » se présenta-t-il. « J’aurai souhaité m’entretenir un moment avec vous. Voulez-vous qu’on aille dans mon bureau ? Qu’on reste dans votre chambre ? »
Il cligna plusieurs fois des yeux, se rappelant des gestes simplement humains qu’il avait été forcé d’adopter. Il y avait longtemps, Adrian Dwight avait commencé à lui enseigner les TOC que les humains avaient l’habitude de faire. Mais tout le reste, il l’avait appris en observant Clarissa ou encore lors de son expédition en Amérique.
« Tout me convient. » répondit-il en venant attraper un fauteuil de la chambre dans lequel il s’installa.
Il posa alors le dossier d’Aliénor sur une petite tablette, bien en évidence, et étudia un instant le regard de la jeune femme sur celui-ci.
« Les Médicomages m’ont informé que vous vous apprêtiez à rentrer chez vous. Comment vous sentez-vous à cette idée ? »
Il la laissa répondre, prenant soin de ne pas l’interrompre. Il laissa volontairement quelques secondes après la fin de sa phrase, comme s’il lui laissait l’occasion d’ajouter encore quelque chose.
« Revoir vos parents et vos sœurs a du être éprouvant pour vous. Que ressentez-vous à leur sujet ? Leur faites-vous confiance ? »
Il était intriguant de savoir ce qu’Aliénor avait vécu durant tous ces mois où personne n’avait trouvé de trace d’elle. Elle s’était simplement volatilisée. Rien ne laissait croire à aucune piste. Cela avait été une affaire hors norme. Et pourtant, une seule chose faisait sens dans l’esprit de Mattéo : un vampire. Seul un vampire pouvait être capable de faire ça. Elevé dans le clan Dwight, Mattéo avait vu de quoi ses congénères étaient capables. Être fort, discret. Ne pas dormir. Réfléchir énormément. Penser à tout. Entendre tout. Sentir tout. Bien sûr, il fallait déjà des compétences innées pour véritablement être capable d’organiser un enlèvement aussi parfait. Mais avec les qualités d'un vampire, c'était possible. La question était : que s’était-il passé durant tous ces mois ? Comment Aliénor s’était-elle échappée ? Et pourquoi était-elle réapparue maintenant ?
« Votre fille a l’air d’être un véritable soutien pour vous. » nota-t-il en désignant du menton le bébé. « Elle s’appelle Nina, c’est cela ? D’où lui vient son prénom ? »
Il écouta avec attention la réponse de la jeune femme, conscient qu’il allait devoir prendre quelques notes.
« Me permettez-vous de prendre en note vos réponses ? » dit-il en attrapant une plume et un parchemin vierge du dossier. « Il s’agit simplement pour vous de mieux m’y retrouver dans votre histoire afin que je puisse au mieux vous aider. Nous allons être amené à nous voir un petit moment pour que votre retour en société se passe au mieux, pour vous et votre fille. »
Il laissa un sourire apparaître sur ses lèvres, un sourire doux et charmant, le genre qui faisait craquer à chaque fois Clarissa.
« Pouvons-nous aborder le sujet de ces derniers mois ? » demanda-t-il d’un ton prudent. « Pouvez-vous me raconter ce qui vous est arrivé ce soir d’octobre 2000 et ce que vous avez ressenti. »
A nouveau, il offrit un sourire encourageant à la jeune femme afin qu’elle se laisse aller à se confier. Ce qui ne semblait pas pour autant gagner …
Lundi 10 juin 2002
Mattéo souriait face aux notes qu’il avait reçues ce matin-même. Il validait sa Licence et poussait dès lors commençait une 4ème année en septembre à l’université. Tout se passait comme il le voulait. Sa main vint serrer l’étoffe sur ses épaules.
« J’espère que tu es fière de moi, mamma*. »
*maman en italien
Ses doigts vinrent s’enrouler autour de la cape qui avait autrefois appartenu à sa mère. Cependant, cet instant d’intimité fut interrompu par deux coups à la porte. Le sourire de Mattéo disparut instantanément et il rangea rapidement la lettre dans son enveloppe, laquelle fut glissée dans un des tiroirs de son bureau. Il partageait la pièce avec son tuteur de stage mais avait eu droit à son propre bureau pour ranger ses dossiers. Le docteur Jensen, son référent, ne travaillait pas les lundis et mercredis, journée que Mattéo devait effectuer en solo.
« Entrez. »
Une tête rouquine passa la tête dans l’entrebâillement de la porte. Si son cœur battait encore, il aurait certainement effectué un saut périlleux dans sa poitrine en imaginant que Clarissa était venue le trouver. Mais ce n’était que Chloé, l’interne en chirurgie.
Chloé Crabbe
« Tu as un moment ? » chantonna-t-elle.
Mattéo lui fit un signe de main pour qu’elle rentre. Après leur première rencontre, Chloé était revenue le trouver. Comme il l’avait remarqué, elle s’était beaucoup intéressée à son nom de famille, se demandant de quelle branche il provenait. Mattéo n’avait pu que lui confier une partie de la vérité : il ignorait encore qui était son père mais il allait bientôt le découvrir. Depuis la découverte qu’Edmund Prewett avait fait pour lui, la liste de candidats s’était restreinte à quelques noms.
Orion Black, le père de Sirius et Regulus, avait 36 ans en 1965, date de naissance de Mattéo. Les tromperies étaient monnaie courante dans le milieu, aussi n’écartait-il pas la possibilité qu’Orion soit son père, bien que Walburga était visiblement renommée pour sa cruauté et sa rigueur qui aurait dissuadé tout mari de lui causer du tort, notamment en pondant un enfant avec une autre. Le frère de celle-ci, Alphard, était un homme dont Mattéo n’avait su recueillir bien d’éléments, tellement il était perçu comme le mouton noir de la famille. A sa mort en 1979, il avait légué toute sa fortune à Sirius Black. Il y avait peu de chance d’être son descendant car alors, il aurait cédé son héritage à son fils, non ? Restait le troisième frère, Cygnus, qui avait 30 ans lors de la naissance de Mattéo. Il avait pu apercevoir plusieurs de ses portraits dans de vieilles archives et se trouvait une ressemblance avec l’homme. Père de trois filles, il était étonnant qu’il n’ait pas reconnu Mattéo à sa naissance, seul garçon de sa portée, même s’il était d’une autre femme. Or, aucune trace n’indiquait qu’il avait eu un garçon, même disparu.
Si on écartait les jeunes hommes, il fallait ensuite remonter à une génération plus haut où on trouvait Pollux Black avec ses 55 ans ou Marius Black à 52 ans. Mattéo avait totalement exclus Phineas Black, bien trop vieux pour être cette silhouette qu’il avait vu dans le miroir.
« Tu as l’air songeur … »
Chloé l’interrompit une nouvelle fois, venant écarter sa chaise du bureau pour s’installer sur ses genoux. Elle était devenue bien plus gentille et serviable depuis qu’elle savait qu’il avait un lien avec les Black. Elle-même portait le nom de Crabbe, une des dernières familles de Sang-Pur. Pour elle, épouser un Black devait signifier beaucoup. Elle ignorait cependant que Mattéo n’avait aucune intention de se marier, surtout avec une pâle copie de son véritable amour.
Ne répondant pas à sa remarque, il vint s’emparer de sa bouche. Les bras de Chloe vinrent se resserrer autour de son cou alors qu’elle tentait de presser son corps contre le sien. Il ne ressentait guère de chose, là, entre ses bras. C’était davantage mécanique que du véritable désir. Non, il préférait imaginer là qu’il venait presser ses lèvres contre celle de Clary. Qu’il venait fourrager dans sa longue chevelure rousse. Que ses formes parfaites venaient épouser les siennes.
D’un geste rapide, il se releva et vint poser la jeune femme sur le bureau, bousculant plusieurs dossiers qui tombèrent au sol. Ses baisers s’accentuèrent alors qu’il venait appuyer son corps contre les cuisses de Chloé afin qu’elle le laisse passer. Penser à Clarissa était ce qui l’aidait le mieux. Il la voulait. Il la désirait. Il n’y avait qu’elle qui comptait. Lorsqu’elle envahissait ses pensées, il en oubliait presque de limiter ses mouvements rapides et brusques. Peu de personnes savait qu’il était un vampire. Il n’avait pu le cacher entièrement mais avait su présenter les choses de façon à ce que les autres taisent son secret. Être une créature de la nuit n’était jamais très bien perçue au Royaume-Uni …
Il avait entrepris de déboutonner le pantalon de Chloé quand on toqua à nouveau à la porte. Un grondement monta de la poitrine de Mattéo tandis que la jeune femme gloussait. En croisant son regard, il se rendit compte que la magie était rompue. Elle n’avait pas ce regard noisette que Clarissa possédait, ni ses tâches de rousseur qui le faisaient craquer à coup sûr. Avec un soupir, il s’écarta d’elle et s’empressa de remettre ses habits en ordre avant d’aller ouvrir.
« Monsieur. »
C’était Thomas, le secrétaire du cabinet du docteur Jensen. Au vu de l’odeur qu’il dégageait et de sa tête difforme, Mattéo était convaincu qu’il avait du sang de gobelin. Sa petite taille ne trompait pas, ainsi que ses lunettes en demi-lune perchaient sur son nez pointu. Toutefois, malgré ce physique ingrat, il faisait son travail de manière convenable.
Thomas (Toby Jones)
« Thomas. Que se passe-t-il ? »
« Votre rendez-vous est arrivé, monsieur. »
Mattéo plissa les yeux avant de comprendre. Aliénor Fontanges !
« Êtes-vous certain ? »
Après tout, Aliénor l’avait planté tellement de fois qu’il était assez peu probable qu’elle soit véritablement ici. Depuis quelques temps, elle évitait soigneusement leurs entretiens, comme si elle sentait qu’au prochain rendez-vous, elle risquait de faire tomber ses remparts. C’était sur cela que Mattéo comptait de toute manière. Il avait essayé tant bien que mal de la faire parler de son enlèvement et de ces derniers mois, sans grand succès. La jeune femme préférait toujours la fuite. Littéralement, pour le coup.
« Oui, elle s’est installée dans la salle d’attente depuis une quinzaine de minutes déjà. »
« Oh. »
Mattéo jeta un coup d’œil à la pendule derrière Thomas. Elle était arrivée avec cinq minutes d’avance et Mattéo avait dix minutes de retard.
« Merci Thomas. Offrez-lui quelque chose à boire et dites-lui que je suis à elle dans une minute. Expliquez-lui que mon précédent rendez-vous a pris plus de temps que prévu et que je m’en excuse. »
Thomas hocha la tête et retourna voir Aliénor dans la salle d’attente. Mattéo referma la porte alors que Chloé gloussait une nouvelle fois en finissant de rattacher son chemisier. Mattéo ne se rappelait même pas l’avoir déshabillé à ce niveau-là. C’était dire combien Clarissa occupait toutes ses pensées.
« Ton précédent rendez-vous peut-il revenir ce soir ? »
Immobile, Mattéo la regarda. Il savait qu’il devait garder une attitude charmante. Chloé satisfaisait bien certains besoins, mais en plus de cela, elle avait un pied dans le monde très fermé des Sang-Purs. Il allait encore avoir besoin d’elle. Et bizarrement, il sentait que Chloé était le genre de filles susceptible de se vexer à la moindre contrariété. Un sourire se plaqua sur ses lèvres alors qu’il s’approchait d’elle.
« Pas ce soir, trésor. » dit-il en posant ses deux mains sur ses bras. « J’ai des dossiers urgents à traiter. Mais pourquoi je ne te rejoindrai pas demain soir chez toi ? »
Ce serait l’occasion d’explorer certaines de ses affaires pendant qu’elle dormirait. Cela parut plaire à Chloé qui s’illumina d’un grand sourire. Elle l’embrassa et sortit après un dernier au-revoir. Mattéo poussa un long soupir lorsque la porte fut refermée et se dépêcha de ranger. Les sortilèges ménagers n’étaient guère sa spécialité, aussi devait-il tout faire à la main.
Les pots de crayon remis en place et les dossiers également, il se passa une main dans les cheveux face au miroir, reposa la cape de sa mère sur le porte-manteau et enfila sa blouse de Psychomage avant de sortir du bureau. Aliénor était là, assise sur cette chaise de la salle d’attente. Depuis leur tout premier entretien, elle avait repris quelques couleurs et son regard était moins hanté. Néanmoins, des démons persistaient toujours en elle et l’agitation de sa main témoignait encore du long chemin qui lui restait à parcourir.
« Miss Fontanges ? »
Aliénor releva la tête vers lui et il lui fit alors signe de le suivre. Ils marchèrent en silence jusqu’à son bureau, quelques portes plus loin et Mattéo la laissa entrer en première avant de refermer la porte.
« Installez-vous … où vous le souhaitez. »
Il désigna la chaise devant son bureau ou le petit canapé parfois plus accueillant pour certains patients. Lorsqu’elle eut fait son choix, il s’installa de façon à être en face d’elle.
« Thomas vous a-t-il offrir à boire ? Voulez-vous autre chose à nouveau ? »
Ses yeux étudièrent le visage d’Aliénor et il laissa quelques secondes en suspens avant de reprendre.
« Alors, Aliénor, qu’est-ce qui vous a décidé à venir aujourd’hui ? »
Un léger sourire amusé flotta sur ses lèvres avant d’explorer le dossier d’Aliénor sous ses yeux.
« Vous avez annulé nos trois derniers rendez-vous. En vérité, je pensais même que vous ne viendriez pas à celui-là. Mais vous voilà. Et j’en suis heureux. J’ai l’impression que vous avez envie de parler. Que vous avez envie d’un changement. »
Il prenait le temps de prononcer ses paroles, comme étudiant les réactions de la jeune femme à chacun de ces mots.
« Et vous, Aliénor, comment vous sentez-vous à présent que vous êtes ici ? »
Pour éviter l’immobilité du vampire, Mattéo se réinstalla un peu mieux dans son fauteuil, lui laissant le temps de reprendre avant d’ajouter :
« Qu’attendez-vous de moi, au juste ? »
Il voulait que l’aide vienne d’elle. Il pouvait l’aider et elle pouvait l’aider, à sa façon. Mais c’était à elle de l’exprimer. Cela ne pouvait fonctionner que si elle en faisait la demande. Si cela venait d’elle, elle serait ainsi plus à même d’accepter ce qu’il lui dirait. Son rôle ensuite serait de la rassurer et de la guider au mieux. De lui donner des conseils, de l’amener à réfléchir sur certaines périodes de sa vie, de libérer sa parole … jusqu’à ce qu’elle lui en dise plus sur ce Peretti qui gravitait toujours autant dans sa vie. Qui était-il ? Pour elle … et pour Mattéo ?
@ Victoire
Mattéo Black-Peretti